
Colonie portug.
Janeiro est un pays où tout se fait lentement, ii ne faut pas trop se hâter
non plus de vendre ses marchandises ; ce seroit s’exposer à s’en défaire
avec perte. D’ailleurs , comme il peut s’écouler plusieurs mois avant
qu’on soit parvenu à faire un établissement convenable et à y réunir les
esclaves nécessaires, les fonds qu’on aurait ainsi recueillis prématurément
demeureroient oisifs sans objet.
Il conviendroit de diviser une somme de 60 000 francs, par exemple,
de la manière suivante : 10 0 0 0 francs pour l’acquisition d’une terre aux
environs de la ville, et assez proche pour qu’on soit à portée de recevoir
protection de la cour; car les vexations des autorités secondaires, dans
l’intérieur du Brésil, envers une personne qui n’est pas revêtue d’un titre
civil ou d’un grade militaire-, sont innombrables : 10 0 0 0 francs seraient
employés à bâtir, à acheter des outils, des ustensiles, & c .; on consacrerait
20000 francs pour se procurer des nègres; il convient de donner
la préférence aux nouveaux venus, sans exclure cependant ceux des
anciens qui seraient notoirement connus pour de bons sujets ; il est bien
utile aussi d’en avoir quelques-uns qui sachent un métier, tel que celui
de charpentier, de maçon, &c. : on garderait 10 000 francs pour couvrir
les premiers frais d’établissement, pour l’entretien des nègres, la nourriture
, l’habillement, & c ., jusqu’à ce que les cultures rapportassent ;
enfin, 10 0 0 0 francs demeureroient en réserve pour les cas imprévus , et
notamment pour réparer les pertes occasionnées par la mort des esclaves
ou des bestiaux, les maladies, &c.
En général, si l’on prend des esclaves du Congo ou de Cabinde,
provenant d’une cargaison saine, c’est-à-dire, qui, sur quatre cents individus
, n’en aura eu de morts que quatre ou cinq tout au plus pendant
trente ou quarante jours de traversée; des nègres gras, de bonne mine,
vaccinés en arrivant, soignés et habillés chaudement pendant les premiers
jours, on aura peu de pertes à redouter, de celles du moins que produisent
les maladies, qui sont d’ailleurs peu fréquentes à Rio de Janeiro,
lorsqu’on n’habite pas dans le voisinage des marais.
Quant au genre de culture qu’il faut adopter, le choix dépend des
localités où l’on veut s’établir. A trois ou quatre lieues de la ville, par
terre, l’herbe de capim, les légumes, les fruits, le bois, le charbon et le
LIVRE I.er — D e F r a n c e a u B r é s i l in c l u s i v e m e n t . 257
la it , sont d’excellens produits ; de quatre à dix lieues, ce seroient le
charbon, les fruits, les légumes secs,.et le café. Au-delà de dix lieues,
on pourroit entreprendre des cultures plus en grand, parce qu’on auroit
eu avec plus de facilité des terres d’une qualité probablement supérieure,
qu’on disposeroit de plus d'espace, que: le local seroit plus favorable.
Mais à moins qu’on ne pût communiquer par mer avec la ville, supposition
étrangère aux données que j’établis ic i, on rençontreroit là d’immenses
difficultés à vaincre pour procurer à ses denrées un écoulement
avantageux : à cette distance, en effet, il ne seroit pas aisé de fonder
son établissement à proximité d’une rivière navigable; on aurait à parcourir
des chemins affreux d’où les mulets eux-mêmes ont peine à se
retirer, à défricher des portions de forêts vierges, &c.
On doit se persuader qu’à moins de faire l’acquisition d’un domaine
rural où l’on établisse sa demeure habituelle, ou bien qui soit tout au
plus à quatre lieues de la ville, et qu’on puisse visiter deux ou trois
fois par semaine, on verra ses intérêts rapidement péricliter. En vain
espéreroit-on trouver à Rio de Janeiro une personne qui eût la probité
et les talens nécessaires pour être à la tête d’une habitation. Le parti le
moins hasardeux seroit d’instruire et de dresser promptement quelque
esclave fidèle en qui l’on auroit remarqué l’intelligence suffisante pour
diriger et commander les autres ; méthode excellente , mais rarement
suivie ici, tant il est rare de trouver des nègres capables d’inspirer de
la confiance. Eh ! comment ces homines posséderoient-ils ces vertus privées
, que la religion seule fait naître , lorsque leurs maîtres s’occupent si
peu de leur en inculquer les principes, et, au lieu de les édifier par de bons
exemples, ne leur donnent que trop souvent celui de la dépravation!
La culture du capim, pour la nourriture des chevaux et des mulets, est
et sera long-temps une excellente spéculation pour les propriétaires qui ne
sont éloignés de la ville qu’à une distance qui permette d’aller et de revenir
en moins d’une journée. La culture des légumes secs n’est fructueuse
qu’en grand et dans de très-bonnes terres, qui sont rares auprès de la
ville; on en trouve de première qualité, pour le café, sur les montagnes
qui la dominent. Avec des avances convenables, on peut avoir, au bout
de cinq à six ans, une plantation de café en plein rapport ; l’exploitation
Voyage de V Uranie. — Historique.
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