
Quoique ie littoral de la baie des Chiens-Marins eût été exploré avec
assez de détail lors de l’expédition du capitaine Baudin aux Terres
australes, il restoit encore une lacune importante à remplir dans la
partie orientale du havre Hamelin. Je chargeai M. Duperrey de compléter
ce travail hydrographique , autant du moins que pourroit le lui
permettre le petit nombre de jours que je lui accordois. II partit le
15 septembre de bonne heure dans la matinée, avec le grand canot de
la corvette : M. Dubaut lui fut adjoint.
Instruit par M. Labiche des difficultés qu’il avoit eues à trouver une
situation parfaitement convenable à l’installation de nos instrumens de
physique, je descendis à terre pour visiter moi-même les lieux, et fixer
d’une manière définitive l’assiette de notre observatoire. Une anse un
peu a 1 ouest de celle où l’on avoit abordé d’abord m’ayant paru préférable
, j’y fis transporter aussitôt tout le matériel de notre établissement.
Le même jour, quelques sauvages continuèrent à se montrer du
sommet des dunes; mais, plus craintifs encore qu’ils ne l’avoient été la
veille, ils refusèrent obstinément, malgré nos démonstrations amicales,
de se rapprocher de nous. Enfin, le lendemain, le bruit des armes à
feu que nos chasseurs leur firent entendre les ayant tout-à-fait effarouchés
, ils finirent par disparoître , et nous né les aperçûmes plus pendant
le reste de la relâche.
Cependant le canot expédié sur Dirck-Hatichs ne revenoit point; sa
mission, qui n’avoit dû être que de deux jours, duroit déjà depuis quatre:
ce retard me donna de l’inquiétude, et me fit prendre la résolution
d’envoyer à sa recherche; la chaloupe fut armée en conséquence, le 16
de très-bonne heure, et mon second, M. Lamarche, se disposa à aller
lui -même porter du secours à nos amis. Une indisposition soudaine
l’en ayant empêché, M. Pellion, dont le zèle m’étoit connu, le remplaça
, et s’éloigna bientôt de nous en forçant de voiles. Heureusement
nous ne tardâmes pas à le voir reparoître naviguant de conserve avec
l’autre embarcation, qu’il avoit rencontrée en route. Mais je laisse à
M. Quoy le soin de rendre compte lui-même de cette petite expédition.
« Pendant notre trajet depuis le bord jusqu’à Dirck-Hatichs, dit-il,
notre attention fut attirée par un spectacle aussi nouveau pour nous
qu il étoit remarquable. A la distance d’un mille de notre embarcation,
une baleine énorme , flottant à la surface de la mer, e'Ievoit très-haut la
partie postérieure de son corps, et frappoit.i’eau de sa queue à coups
redoublés : la violence du choc produisoit chaque fois un bruit semblable
à celui d’une pièce de canon de petit calibre tirée dans le lointain. L ’effroyable
agitation convulsive de ce cétacé dura environ une demi-heure,
sans qu’il nous fût Possible d’en découvrir la cause : aucun de ses ennemis
naturels ne se laissoit apercevoir autour d’elle; et cependant on sait que
l’espadon, qui est le plus terrible, décèle sa présence par les bonds qu’il
fait en assaillant son colossal adversaire. Vraisemblablement notre baleine
avoit à,se garantir des atteintes, d’un ennemi quelconque qui l’attaq
u o i t e n d e s s o u s .
». Arrivés.à terre, à midi, nous y fûmes bientôt installés .'MM. Fabré
et Ferrand montèrent sur le cap Levillain pour y faire des observations
astronomiques, tandis que nos matelots s’occupoient du dîner. Impatient,
je'me hâtai de parcourir* ies dunes de sable, en contemplant un pays si
nouveau pour moi; plus tard je me réunis à mes compagnons de voyage
pour faire avec eux'une course vers l’intérieur de l’île. A une chaleur
très-forte se joignoit l'incommodité de traverser des broussailles souvent
fort épaisses*? Nous cherchâmes à prendre des kangüroos, mais ce fut
en.vain; malgré les trous-, les sentiers et les. empreintes-nombreuses
laissées sur le' sable par cès, singuliers animaux , je fus le seul qui en
entrevis deux ; encore se glissèrent-ils si rapidement sous des arbrisseaux
que je ne pus. tirer dessus. . ’ .
» Après quelques instans de repos, nous profitâmes d’un superbe clair,
de lune pour parcourir la côte au bord même.de. la mer. Marchant.en
silence dans l’intention de surprendre les tortues qui auroient pu se
trouver sur la grève, -nous n’en vîmes cependant quune seule qui, sur
le point de.sortir de l’eau, fut épouvantée de notre approche. Les squelettes
de plusieurs autres et le cadavre de lune déliés nouvellement
morte', nous indiquèrent que cette plage leur etoit très-familière.
» Nous fîmes ainsi à-peu-près une lieue et demie sur un sable motivant,
quoique humide, obstrué quelquefois par des couches de plantes marines
qui, décomposées pour la plupart, laissoient échapper une odeur dam-
Voyage de VUranie. — Historique. M l ï l 111