
Le lendemain, nous entrâmes dans la vaste baie de Coupang; et à midi,
étant rendus au mouillage, nous laissâmes tomber l’ancre à petite distance
du fort Concordia.
L’aspect de ces terres élevées et fertiles sembloit nous rendre à la
vie ; nous admirions sur-tout ces amphithéâtres toujours verts, au-
dessus desquels dominoient des palmiers, arbres pittoresques des contrées
équatoriales. II faut cependant faire une remarque ; c’est que Timor et
les îles environnantes, quoique assez bien boisées, ne présentent pas
ce luxe de verdure qui se déploie sur beaucoup de points par les mêmes
latitudes, et même sur la très-petite île Kéra , située à l’entrée de la baie
deCoupang. Nous en indiquerons ailleurs la cause en parlant de la fertilité
du sol.
Nous ne tardâmes pas à recevoir la visite d’un Anglais qui, se disant
être attaché a 1 établissement de Coupang, nous apprit que le gouverneur,
ou plutôt le résident hollandais, étoit occupé à faire la guerre au
raja d’Amanoubang, qui, autrefois tributaire, combattoit aujourd’hui pour
son indépendance; et qu’en son absence, M. Tielman, secrétaire du
gouvernement, etoit charge de iexpédition des affaires.
Ce dernier ne voulut point consentir au salut d’usage, sous prétexte
que le résident avoit emporté les clefs de la poudrière; mais plutôt, à
ce qu’il semble, parce qu’il préférait conserver sa poudre pour une destination
plus utile, ce qui, dans les circonstances où étoit la colonie, me
parut une sage précaution.
L e ’ i o , après avoir rendu à M. Tielman la visite que nous devions au
chef de la colonie, j allai voir son respectable oncle, qui étoit la seule personne
encore vivante de celles que j’avois particulièrement connues dans
mes precedentes relâches a Timor. Ce vieillard parut satisfait de mon
attention ; et après m’avoir demandé nominativement des nouvelles de
la plupart de mes anciens compagnons de voyage, il me parla de ceux
de ses amis qui 1 avoient précédé dans la tombe. Lui-mêmé étoit alors
fort indisposé : sa maladie paroissoit être une sorte de lèpre ; il avoit
le corps couvert d une multitude de taches noirâtres d’un pouce à peu
près de diamètre, ce qui donnoit à‘ sa peau basanée une apparence tigrée
fort extraordinaire.
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 4 8 9
L’établissement de mon. observatoire et le ravitaillement du vaisseau
étant les deux choses les plus instantes dont j eusse a m occuper, je louai
deux maisons, tant pour mon logement et celui de mes officiers, que
pour l’installation des instrumens dont nous devions faire usage. Quant
au reste, toutes les mesures furent prises pour satisfaire à nos besoins;
mais déjà, il étoit aisé de le prévoir, l’état de guerre dans lequel se trou-
voit la colonie devoit rendre difficile l’achat des diverses denrées que
je demandois.
Ces dispositions préliminaires réglées, chacun de nous se livra à ses
occupations habituelles. Dès que la nuit arrivoit, nous aimions à nous
réunir chez M. le secrétaire Tielman : sa femme et lui mettoient tout en
oeuvre pour répandre quelque agrément sur les soirées que nous passions
près d’eux. Ordinairement on nous servoit du thé, du café, ou des rafraî-
chissemens ; la conversation rouloit alors sur les moeurs et les usages du
pays : de temps en temps, Mme Tielman nous faisoit assister à des concerts
exécutés par ses esclaves ; les sons peu mélodieux d’un violon et d’une
flûte qui avoient la manie de ne jouer, en les défigurant, que des airs
européens, étoient pour nous un passe-temps assez peu récréatif; mais
nous entendions toujours avec un nouveau plaisir une petite Timorienne
de douze ans , assez gentillequi pinçoit avec un goût étonnant une petite
harpe. La manière de tenir son instrument excitoit aussi notre attention :
assise sur un siège peu élevé, elle couchoit la harpe presque horizontalement
sur ses genoux, sans que cette posture singulière nuisit en rien au
charme de l’exécution. ( Voyei pl. 19.) Parfois aussi Mme Tielman jouoit
elle-même quelques airs sur le piano ; et quoiqu’elle s’en acquittât médiocrement
bien, nous lui tenions sincèrement compte de sa bonne
volonté et de son inépuisable complaisance.
C’est encore à, la même personne que je dois d’avoir appris un jeu de
combinaison qui ne ressemble a aucun des nôtres, mais qui est assez
piquant : il s’appelle ici tjonka, ou tchonka; on peut en voir un dessin sur
nos planches 18 et 2 5 ; plus tard j’en donnerai les règles.
Je rencontrai à ces soirées un jeune Chinois fort aimable, qui ne
manquoit pas d’une certaine instruction : il parle un peu l’anglais ; son air
v if et spirituel confirmoit l’idée qu’on a des personnes de cette nation ;
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