
qui aujourd’hui est chargée de répondre aux saluts qui sont faits par ies
bâtimens de guerre : on i’appelie batterie Kumper, du nom du capitaine
anglais qui, à la tête de douze soldats, exécuta ce brillant fait d’armes.
En regardant autour de soi, on est étonné de découvrir tant de fertilité
et d’agrémens sur un sol presque dépourvu de terre végétale ; mais 1 art a
suppléé à tout. Ici ce sont de belles avenues de platanes, de peupliers;
ailleurs, des arbrisseaux d’espèces variées ou des parterres émaillés de
fleurs dont le parfiftn embaume l’air. On s’avance en montant vers un
amphithéâtre décoré de quelques fûts de colonnes champêtres, entourés
de lierre, et qui figurent les ruines d’un temple : c’est là qu’est placée la
statue pédestre du général Éliot (i), regardant fièrement du côté de la mer.
On diroit qu’il défie l’ennemi de venir attaquer encore Gibraltar , qu’il
défendit si courageusement en 1 78 2. Cette statue, grossièrement sculptée,
placée sur un piédestal circulaire, est entourée d’attributs guerriers.
A peu de distance de ce monument, et sur un plateau élégamment décoré,
s’élève un kiosque spacieux, construit en bois et en treillages, sous lequel
les promeneurs surpris par l’orage ou fatigués par l’ardeur du soleil peuvent
trouver un abri salutaire. Nous y rencontrâmes plusieurs Anglais, gravement
assis, que quelque opération commerciale occupoit peut-être plus
que le beau point de vue dont on jouit en cet endroit.
Les chemins qui coupent en divers sens cette campagne délicieuse, sont
sablés ou garnis dans leur milieu de petits graviers; des rigoles pavées
offrent de chaque côté un lit aux eaux pluviales et préviennent ies dégradations.
Tant de travaux ont dû coûter des sommes immenses, et
exigent un entretien journalier nécessairement fort dispendieux. On assure
que le produit d’une loterie est exclusivement destiné à y faire face.
Ce ne sont pas des considérations de pur agrément qui dirigent en cela
le gouvernement anglais. Il pense qu’en embellissant un sol jadis inculte,
il forcera les habitans et la garnison à prendre plus fréquemment
l’exercice de la promenade, si salutaire à-ia-fois et si agréable.
(1) George-Auguste Éliot, lord Heathfield, baron de Gibraltar, né dans le comté dé Rox-
burgh en Ecosse, d’une famille d’origine normande, fut élevé en France, à l’école royale du
génie de la Eère, Sa conduite militaire, et sur-tout sa défense de Gibraltar contre les forces
combinées de France et d’Espagne, l’ont placé justement au nombre des guerriers les plus
illustres.
LIVRE I.er — De F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . 1 9
Mais ce n’est pas tout de satisfaire aux besoins physiques : de nombreux
officiers livrés au désoeuvrement verroient bientôt s’altérer les habitudes
louables qui les distinguent ; l’occupation est le frein le plus puissant
pour empêcher de jeunes esprits de se vouer à ces pratiques coupables où
n’entraîne que trop le séjour ordinaire dès villes de garnison. Une bibliothèque
a donc été établie; destinée exclusivement aux militaires , et
*ans être très-nombreuse, elle contient cependant un choix d’ouvrages
utiles et récréatifs. Un ancien réfugié français, qui se fait également remarquer
par son urbanité et par son savoir, M. Charles Bouisson, en est
le bibliothécaire : c’est lui qui rédige la Gazette de Gibraltar. Il s’occupoit
aussi, depuis près de deux ans, d’un recueil d’observations météorologiques,
qu’il faisoit lui-même à diverses époques réglées de la journée. Il
seroit intéressant que ces observations fussent publiées, en tenant compte
toutefois de l’erreur qui doit résulter de l’emploi d’un baromètre dont le
niveau n’est pas constant. La courte durée de notre relâche ne m’a pas permis
d’examiner en détail le journal de cet observateur, et de profiter de
l’offre bienveillante qu’il m’avoit faite de me le communiquer.
Le bâtiment de la bibliothèque est d’une architecture simple, mais qui
n’est pas dépourvue d’agrément. A peu de distance est un jeu de paume
et un magnifique jeu de billard, également consacrés au passe-temps des
officiers de la garnison.
Le 13 octobre fut employé à une longue promenade, dont le but fut
l’examen de la montagne de Gibraltar et des belles et nombreuses batteries
dont elle est couverte. Conformément aux intentions du gouverneur ,
M. le capitaine du génie Macanley nous_ accompagna; nous n’avons eu
qu’à nous louer de sa complaisance et des attentions aimables qu’il a
eues pour nous.
Le rocher énorme de Gibraltar, qui forme l’extrémité australe de l’Europe,
tient, comme on sait, à l’Espagne par une langue de terre sablonneuse
extrêmement basse; il est coupé à pic de ce côté et de celui de l’Est, et n’a
pas moins, dit-on, de treize cent quarante pieds anglais [quatre cent
huit mètres] de hauteur à sa partie la plus élevée. Étant hérissé de fortifications,
il paroît absolument imprenable, du moins à force ouverte. Il y a
six cents pièces de canon en batterie, dont trois cent vingt sont placées au
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