
i 8 i 8 .
» Tandis que nous nous observions ainsi ies uns les autres, ie
Septembre nombre des sauvages s accrut jusqu’à quinze. Cependant, je brûiois
détablir entre eux et nous des rapports plus intimes, qui me permissent
d’obtenir des renseignemens sur leur manière de vivre, sur leurs moeurs,
leurs usages, et peut-être aussi sur l’état physique du continent qu’ils
habitent. J ’avois quelques colliers de verre et d’autres menus objets
de peu d importance, que je fis briller à leurs yeux ; j ’ajoutai ces présens
à ceux que je leur avois déjà faits : mais il me fut encore impossible
de les engager à s’approcher de nous pour les prendre; il fallut se
décider à ies porter beaucoup plus près d’eux. Le fer-blanc fiit ce qu’ils
parurent priser davantage ; long-temps ils s’amusèrent à ie faire briller
au soleil. Celui qui s’empara de la bouteille la tint d’abord inclinée ;
mais voyant la liqueur se répandre, il la redressa bien vite en la regardant
tout autour. Quant au lard, nous leur fîmes signe qu’il falloit le faire
cuire pour le manger après ; mais ils nous donnèrent à entendre par ie
même procédé démonstratif, qu’ils s’en frotteraient les. bras et les jambes.
•» Plusieurs fois iis nous jetèrent leurs sagaies, en nous invitant par
gestes à y attacher nos présens et à les renvoyer ensuite; en même temps
ils nous montroient comment il falloit s’y prendre. Nous exécutâmes sans
doute gauchement ce qu’ils desiroient, car ils parurent se moquer de
nous. Je leur donnai un fichu à plusieurs couleurs vives, et leur indiquai,
en le mettant autour de ma tete, quil pouvoit leur servir d’ornement :
ce cadeau parut leur plaire ; aussi obtins-je en retour une sagaie et une
autre de leurs armes.
» Sur ces entrefaites , les hommes que j ’avois envoyés, en détachement
le matin vinrent nous rejoindre. Us n’étoient encore qu’à la pointe Sud
de l’anse où nous nous trouvions, lorsque un coup de fusil partit de ce
côté. Le premier mouvement de la plupart des naturels fût de prendre
la fuite; les autres se regardoient avec surprise, conféraient entre eux
d’un air inquiet, et paroissoient nous demander la cause de ce bruit
inconnu. Nos gens s’étant montrés au même instant, je profitai de cette
circonstance pour faire comprendre à ces Indiens que les personnes qui
venoient étoient des nôtres, et que l’explosion qui avoit causé leur effroi
partoit dune arme semblable a celle que je tenois dans mes mains. Je
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 453
fus bien aise de leur inspirer ainsi un certain respect pour nos moyens
de défense, sans leur en faire toutefois éprouver les terribles effets. Ils
se rassurèrent; ceux qui avoient fui se rapprochèrent de nouveau, et
les cris cessèrent.
» Lorsque tout notre monde fut rentré au camp, quelques échanges
eurent lieu encore : mais les sauvages: parurent mettre alors plus de
défiance dans leur manière • d’agir ; s’ils avançoient de notre côté , ce
n’étoit pas sans avoir préalablement sondé le sol devant eux avec leurs
sagaies; iis ne touchoient ensuite qu’avec précaution aux objets que nous
leur donnions.
» Un d’entre eux néanmoins se hasarda à descendre sur la plage,
mais se tenant toujours à une grande distance. Jallai a sa rencontre,
et lui présentai un miroir : il m’invita à le déposer par terre, et ne se
décida à venir l’y prendre qu’après que j’eus consenti i r a en tenir suffisamment
écarté. Il se montra si content de voir son image, que je crus
pouvoir l’engager à me donner en échange une de ses armes ; mais il
s’y refusa. Ayant alors fait deux pas en avant, il en fit autant en arrière ;
je reculai, il avança; enfin il se sauva vers les siens. M. Adam, un de nos
timoniers; leur donna un caleçon de toile blanche, qu’ils partagèrent de
suite en plusieurs morceaux-, j’en vis un mettre le sien sur sa tête, sans
doute pour singer l’effet du mouchoir dont je m’étois coiffé.
» Plus tard, huit ou dix de ces indigènes descendirent sur la plage ;
mais comme ils s’approchoient du camp, je marchai de leur côté, suivi de
nos hommes , et bientôt ils prirent la fuite. M. Arago arriva sur ces entrefaites
, et ne fut pas peu étonné de nous trouver en relation, sinon intime,
au moins pacifique, avec les habitans de ces contrées. II s’approcha d’eux
en faisant entendre ses castagnettes; et aussitôt un des sauvages l’accompagna
en frappant en cadence sur une sagaie, tandis qu’un des plus vieux
de la troupe se mit à danser. La planche n.° 1 2 de notre atlas représente
cet épisode historique, rendu avec autant d’esprit que d’intérêt.
» Ces hommes, plus dignes de pitié que de tout autre sentiment,
nous quittèrent au coucher du soleil , en nous faisant entendre qu’ils
reviendraient lorsque cet astre reparoîtroit de l’autre côté de la presqu’île.
»