
44 VOYAGE AUTOUR DU MONDE.
Rio de Janeiro, sans plus de préambule aux tentatives dont Rio de Janeiro a été le
Esquisse histor. T , A. ^ theatre.
Depuis plusieurs années, des armateurs de Normandie envoyoient
des navires ¿ans une baie voisine du cap Frio (i), d’où ils rapportoient
à Dieppe de riches cargaisons de bois de brayiL Leurs relations amicales
avec les sauvages de ces contrées, peu éloignées de Rio de Janeiro, les
avantages particuliers que ce dernier site paroissoit offrir, engagèrent
Nicolas Durand de Viliegagnon,. vice-amiral de la marine française, à
tenter de se créer sur ce point une souveraineté indépendante qui pût
servir d’asile aux calvinistes, dont il avoit adopté la religion. A la sollicitation
de l’amiral de Coligny, il obtint deux vaisseaux du Roi Henri I I ,
et partit du Havre-de-Gracc en i 5 5 5 * pour préparer son entrepiise.
Arrivé au cap Frio,' Viliegagnon fut reçu avec amitié par les Tupi-
nambas (2) et les Tamoyos, indigènes-de cette partie de la côte, lesquels
, prétendant avoir reçu des offenses des Portugais de la capitainerie
de San-Vincente, desiroient trouver une occasion de se venger de leurs
ennemis. L ’amiral français profita habilement de cette disposition des
esprits , et, promit aux sauvages de revenir bientôt, avec des forces plus
imposantes, pour les soustraire à l’oppression dont ils se plaignoient.
Viliegagnon, s’étant hâté de faire son retour en France, prépara, avec
beaucoup de célérité, un nouvel armement, et reparut, en 1556,
vers les mêmes rivages. II renouvela son alliance avec les Indiens, et,
ayant choisi Rio de Janeiro pour être le siège de sa colonie , il se rendit
dans ce havre, et débarqua d’abord sur la petite île Lage (3), avec le
projet d’y bâtir un fort. Cette île commande l’entrée de la rade, et, sous
ce rapport, elle étQit bien choisie ; mais, étant rocailleuse, basse, et,
le premier gouverneur général du Brésil, et doit être considéré comme le fondateur de l’empire
portugais dans le Nouveau-Monde. Jusqu’à lui, le plus grand désordre de moeurs avoit régné
dans une colonie composée en grande partie de scélérats déportés et de femmes perdues. Six
Jésuites, venus avec-.Thomé de Souza, et ayant à leur tête le célèbre Manoel dé Nobrega,
opérèrent la réforme, et répandirent avec elle, parmi les peuples indigènes, les lumières de la.
civilisation. :
(1) Par 44° 20 environ de longitude. ( Voyez pl. i .)
(2) Ou Topinambous ; de Léryles nomme Tououpinambaoults.
(3) Située:presque exactement à mi-canal entre les deux, pointes de 1 entrée de la baie.
( Voyez pl. 2. )
LIVRE I.er — D e F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . 4 5
pour ainsi dire, au niveau de la mer, on fut obligé de l’abandonner
comme trop incommode, et de se transporter sur une île plus en dedans,
où l’on s’établit enfin d’une manière définitive. Cette île porté aujourd hui
encore le nom de Viliegagnon : la forteresse que nos compatriotes y bâtirent
fut nommée par eux fort Coligny; et la colonie elle-même, France-Antarctique
(1). On fortifia également plusieurs points sur le contour de la rade,
à la grande satisfaction des Indiens , qui soupiroient après 1 expulsion
des Portugais établis à San-Vincente, etcomptoient beaucoup sur 1 amitié,
la discipline et la force de leurs nouveaux alliés. ■
En 1557, la colonie reçut un renfort assez considérable de protestans
qui furent amenés d’Honfleur sur trois batimens de guerre commandes
par Bois-le-Comte, neveu de Viliegagnon; dans le nombre se trouvoient
des ministres de la religion, cinq filles et une femme, qui furent les premières
personnes de leur sexe qui arrivèrent d Europe dans cette partie
de l’Amérique : «De quoi, dit de Léry, qui étoit de l’expédition, les
sauvages furent bien esb-ahis. »
Tout annonçoit un sort prospère à l’établissement, quand le caractère
ardent, bizarre et souvent irrésolu de Viliegagnon, commença à miner
son propre ouvrage. Les colons furent cruellement vexes par lui, sur-tout
lorsque, ayant déclaré qu’il vouloit rentrer dans le sein de l’église catholique
, il crut ne devoir garder aucune mesure, et commit de grandes
cruautés. Plusieurs personnes furent renvoyées en France; d autres s y
en allèrent volontairement; l’amiral enfin y repassa lui-même, laissant
dans le fort Coligny une centaine d’Européens seulement.
Quatre ans entiers s’étoient écoulés sans que les Portugais eussent paru
s’occuper de cette colonie naissante, quand les Jésuites du Brésil parvinrent
à éveiller, sur cet objet, l’attention de la cour de Lisbonne. On
sentit l’importance d’arrêter promptement les progrès des colons français,
qui, liés avec les indigènes, cherchoient, par tous les moyens, à aug-
(1) Il n’y a rien là qui ne paroisse assez naturel; Southey cependant a vu la chose sous
un point de vue bien différent, puisqu’ il dit ( History o f Braz.il., 1 . 1, p. 272) : « Les Français,
ai avec leur arrogance ordinaire, considérant déjà le continent entier comme leur propriété, lui
3> donnèrent le nom de France-Antarctique. » J ’avoue que je ne comprends pas bien qu’il soit
plus inconvenant de nommer un pays où l’on s’établit, France-Antarctique, que Nouveüe-
Angleterre ou NouvelIe-AIbion.