
débutâmes par une anglaise ; mais la chaleur étoit si intolérable, et ce
genre de danse est si actif, que nous ne pûmes continuer. Plusieurs
dames alors se mirent à exécuter de très-jolies danses timoriennes ; et
le gouverneur nous prouva, par un menuet dont il se tira à merveille,
que, dans sa jeunesse, il dut être un fort bon danseur. Nous ne rentrâmes
à bord que très-tard.
Le 20 novembre fut consacré a 1 embarquement des vivres que nous
avions demandés : ils consistoient en trois cents volailles , plusieurs
buffles, six milliers de riz, et du maïs pour nourrir nos bestiaux. Nous
complétâmes aussi riütre provision d’eau, qui nous fut apportée par des
embarcations du pays. Cette eau est bonne, mais peu commode à faire,
car il faut la retirer d’un puits. Nous aurions pu reprendre ce soir-là
meme la mer, si le tabac pour les besoins de l’équipage eut pu m’être
fourni assez tôt ; mais il fallut attendre encore jusqu’au lendemain.
Ce retard fut cause que nous reçûmes une nouvelle invitation à dîner
de notre bon gouverneur, qui voulut absolument recevoir chez lui celles
des personnes de mon état-major qu’il n’avoit pu réunir la précédente
fois. Le festin ressembla beaucoup à celui dont j ’ai parlé plus haut, tant
pour le nombre que pour le rang des convives ; du reste, même profusion,
même élégance. En sortant de table, nous accompagnâmes tous le gouverneur,
dans un beau jardin qu’il fait cultiver hors de la ville : on y
remarquoit des plantations de café et de cannes à sucre qui réussissent
très-bien. Pendant que nous étions en marche, des musiciens faisoient
entendre de temps.en temps, derrière nous, une musique un peu discordante.
Sur beaucoup de points, le terrain de Dillé est humide et même marécageux;
mais les environs en sont pittoresques. Le gouverneur nous
montra, sur te penchant d’un coteau, un site charmant qu’il a choisi
pour y ' faire bâtir une maison de campagne. L’aspect général du pays
est moins riche que celui de Rio-de-Janeiro ; mais la végétation y paroît
fort active, maigre la rareté cfeau courante.
J ’avois annoncé au gouverneur que j’appareillerois très-positivement
te lendemain matin : cette résolution iparut contrarier beaucoup te capi-
tao mor, qui comptait ce jour-la nous recevoir chez lui; mais voyant
LIVRE II. — Du B r é s i l k T im o r in c l u s iv e m e n t . 5 19
qu’il ne pouvoit me faire changer de résolution, il voulut au moins que
nous lui promissions d’aller te soir même prendre le thé chez: lui. Nous
nous y rendîmes donc à l’issue de la promenade, accompagnés de la
société nombreuse avec laquelle nous étions.
Le couvert étoit mis, et l’on servit bientôt, non pas un thé, mais
te souper te plus somptueux, où la vaisselle d’argent et les cristaux
égaloient ce qu’on peut voir de mieux chez un riche particulier en
Europe. 11 étoit huit heures; nous avions dîné-à quatre : on juge bien
ce qui nous manquoit pour faire convenablement honneur à ce beau
repas. Aucun de nous ne put manger : mais des toasts devoient être portés,
et 1e furent un peu aux dépens de la tête d’un, des assistans, qui
devint d’une gaieté extraordinaire.
Le capitaô mor et sa femme firent avec beaucoup de grâce et d’affabilité
tes honneurs de cette réunion. On dansa après le souper, et 1e
bal s’anima si bien, qu’il étoit près de minuit lorsqu’on se retira. La majeure
partie de MM. tes officiers portugais nous accompagnèrent jusqu’aux
embarcations. Notre marche, éclairée par un nombre: considérable de
torchés portées par des hommes noirs presque nus, avoit quelque chose
de pittoresque et d’imposant.
M. 1e gouverneur, voulant me donner une marque de souvenir,
m’offrit deux petits garçons et deux petites filles esclaves, âgés de six
ou sept ans, nés au royaume de Failacor, dans l’intérieur de l’île Timor.
Ce seroit, disoit i l , une curiosité intéressante en Europe, où cette
race n’est point encore connue. Je refusai formellement et sans hésiter ;
mais, persuadé apparemment que c’étoit par pure politesse, il fit conduire
à mon bord ces quatre malheureuses petites créatures, que je me
hâtai de renvoyer à terre. En exprimant au gouverneur toute l’étendue
de ma gratitude, je tâchai de 1e convaincre qu’étant, en quelque sorte,
au début de mon voyage, la présence sur 1e vaisseau de quatre énfans
aussi jeunes seroit pour moi une surcharge des plus incommodes. Quelque
bonnes que fussent mes raisons, il ne s’y rendit pas tout-à-fait : il me
fallut, à moins de 1e désobliger sérieusement, garder sin des deux petits
garçons. Il fut baptisé à bord sous te nom de Joseph-Antonio. Je l’ai fait
peindre à Paris à l’âge de quatorze ans, dans te costume même qu’il portoit