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Mars.
sans une brume épaisse et une pluie continuelle qui les empêchèrent d’être
témoins du beau spectacle dont on jouit ordinairement de ce point de
vue élevé. Ils furent consolés toutefois de ce contre-temps, par l’intérêt
des remarques et des collections qu’ils se trouvèrent à portée de faire.
Constance, ce coteau renommé dont on tire un des meilleurs vins du
monde, devoit, a plus d’un titre, piquer la curiosité de nos observateurs;
il devint aussi l’objet d’une excursion de la part de MM. Quoy, Bérard et
Gaimard. « Nous montâmes à cheval à neuf heures du matin, dit ce dernier,
et, tout en nous avançant vers le terme de notre petit voyage, nous
nous amusions à faire la chasse aux oiseaux, soit sur la route, soit dans
les champs voisins. J ’avois un cheval assez fougueux, qui se montroit
rétif et témoignoit son impatience à chaque coup de fusil qu’il entendoit.
Je venois de tuer une pie-grièche, lorsque à environ une demi-lieue de
Constance, et après avoir dépassé les premières vignes que l’on rencontre,
je fus attiré dans un champ labourable par une multitude de souï-
mangas , de promérops, &c. A peine eus-je fait feu sur un des plus
beaux de ces oiseaux, que mon cheval, doublement effrayé par le bruit
de l’explosion et par la vue d’un large fossé qui se trouvoit à ma droite,
partit comme un trait et me jeta à plusieurs pas de distance sur un terrain
sablonneux et heureusement peu dur. Je ne fus pas blessé de cette chute ;
et enfourchant de nouveau mon ombrageuse monture , je rejoignis mes
compagnons de voyage. Bientôt nous aperçûmes la propriété de M. Cloète,
nommée le Grand-Constance : elle est facilement reconnoissable à une
allée de très-grands arbres, et à ces mots, Groot-Constancia, écrits sur la
porte d’entrée. Nous ne tardâmes pas à arriver à la ferme de M. Colyn,
connue sous le nom de Petit-Constance, De longues allées de chênes y
conduisent.
» Notre premier soin, après avoir salué M. Colyn, fut de visiter ses
vignobles. II voulut bien nous donner un de ses gens pour nous accompagner.
Les vignes que nous parcourûmes sont entourées d’allées de
chênes et de pins , et les ceps, plantés à quatre pieds de distance les uns
des autres sur des lignes droites, ne sont pas soutenus par des échalas.
Toutes les années, on les taille, et l’on pioche le terrain d’alentour, qui
est de nature sablonneuse. Nous vîmes çà et là quantité de pêchers,
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r in c l u s iv e m e n t . 347
d’abricotiers, de pommiers, de poiriers, de citronniers, &c. & c ., et de
petits carrés où l’on cultivoit des plantes potagères.
» A notre retour , M. Colyn voulut absolument nous faire goûter les
diverses espèces de vin qu’il récolte, consistant en vin de Constance
proprement di t, blanc et rouge, en vin de Pontac, de Pierre et de Fron-
tignac (1).
» Le vin des autres localités , qui porte le nom particulier de vin
du Cap , est fait avec un raisin muscat de couleur paille fumée, qui
m’a paru préférable pour le goût au muscat de Provence.
» Nous venons de dire qu’il y a deux qualités de vin de Constance
, le blanc et le rouge ; ellës proviennent l’une et l’autre de raisins
muscat de couleurs différentes. Le Pontac, d une teinte très-foncée, est
le produit d’un raisin noir fort sucré, ressemblant assez à un de nos
raisins de Provence doux et fade. Le vin de Pierre est blanc; il se
rapproche , par le goût, du vin de Lune!, mais nous parut avoir un
bouquet préférable a ce dernier, dont nous avions apporté une bouteille
à Constance, pour servir de terme de comparaison : il est vrai que le
nôtre étoit échauffé. M. Colyn, qui le goûta, le trouva bon cependant,
mais inférieur au sien. Le raisin qui donne le vin de Pierre est blanc
et doux; c’est l’uni-blanc des Provençaux.
» Généralement on préfère, au Cap, le Frontignac à tous les autres
vins qui se récoltent sur le coteau de Constance; on Iifi trouve un fumet
plus fin et plus suave ; aussi l’alfraame en est-elle payée plus cher : sa
couleur est blanche et un peu terne. Quant à moi , le vin de Constance,
blanc ou rouge, indifféremment, est de tous celui que je préfère.
» Le cellier de M. Colyn est grand et commode ; nous le visitâmes
à l’instant où l’on s’occupoit à fouler le raisin. Je demandai quelques
renseignemens sur la préparation du Constance ; voici ceux qui me
furent fournis.
(1) Le prix du vin de Constance, dit Barrow ( second Voyage au Cap de Bonne-Espérance,
t. 2 , p. 6 1 , trad. franç.), est au Cap de 70 à 80 risdales [383 fr. 60 cent, à 438 fr. 48 cent. ]
le demi-tonneau, qui devrait contenir vingt gallons d’Angleterre [ quatre-vingts bouteilles de
France], mais qui n en contient pas plus de dix-huit, souvent même pas plus de seize. D’après
le même auteur (t. 2, p. 63 ), le prix moyen du demi-tonneau ou de I’alfraame étoit, pendant
les années 1799 à 1802, de 74 risdales 87/100 [4 io fr . 29 cent. ].
1818.
Mars.