
» Quelle malheureuse idée ai-je eue de vous suivre !.. Ah! si le commandant
» m’avoit refuséla permission de venir avecvous !...» S’il avoiteui’extréme
bonté, lui dis-je en riant, d’accompagner.son refus d’un grand coup de
pied!... « Oui certainement, jeîevoudroisbien;pIûtàDieu qu’il l’eût fait!...»
me répondit-il sérieusement. Cette singulière imitation, dans les déserts
de la Nouvelle-Hollande, du que diable alloit-ilfaire dans cette galère! me
paroissoit plus piquante que la scène de Molière ; elle appartenoit à un
drame qui nous intéressoit à juste titre , et dont M. Gabert sur-tout en-
visageoit le dénouement avec une amertume bien autrement excusable.
Qu’il eût voulu alors,
.............................. au toit de ses aïeux,
Près des objets chéris presens à sa mémoire , -
. Coulant des jours obscurs, sans péril et sans gloire ,
N’avoir jamais iaissé son pays ni ses dieux!
De L a m a r t in e , Nouvelles Méditations poétiques.
» Cependant une idée me tracassoit ; le fusil dont j’étois armé ne
m’appartenoit pas , il m’avoit été.prêté par un de nos amis , qui est l’obligeance
même : «Ce brave Peiiion, disois-je , va perdre son fusil par mon
imprudence. »
», A deux heures après midi, arrivés au fond du havre, nous prîmes
quelques instans de repos; M. Gabert, très-fatigué et n’en pouvant plus,
abandonna, non*ans regret, son fusil, sa giberne, et une corne d’amorce
dont il étoit muni. Nous suivîmes le soleil couchant, à travers un
nouvel étang desséché et des champs couverts de broussailles qui nous
barroient le chemin et n’offroient de toute part à nos regards que la
monotonie la plus accablante. Malheureusement encore, éloignés des
bords du havre Montbazin, nous étions privés de ces bains salutaires
sans lesquels déjà nous eussions indubitablement péri ; mais l’espérance
nous soutenoit.
» Enfin, nous découvrîmes la mer,... l’île Dirck-Hatichs,... la corvette!..
Nous voilà sauvés!.... fut notre première exclamation.... Nous sommes
dans les bras l’un de l’autre, et nous tombons à genoux pour remercier
Dieu !
» II étoit presque nuit lorsque nous arrivâmes au camp. Nous marchions
encore d’un pas rapide ; mais la soif nous accabloit ; notre langue
aride étoit chargée de cet enduit nSirâtre qu’on remarque dans les fièvres
adynamiques ; nous respirions difficilement et avec douleur ; paies, défaits,
les yçux caves, nous paraissions si accablés ,~que nos camarades furent
effrayés de notre état. MM. Labiche, Requin et Railliard, que nous
trouvâmes à terre, nous prodiguèrent tous les soins de l’amitié ; mais il
nous - fut impossible de manger : notre soif étoit inextinguible ; nous
bûmes très-abondamment du thé, de la limonade et de l’eau vineuse :
encore nous ménageoit-on beaucoup. » r
MM. Gaimard et Gabert passèrent la nuit.au camp, et ne revinrent
que le lendemain, 2 1 septembre, à bord de ï Uranie. A midi, MM. Fer-
rand, Arago, Bonnet, &c., furent de retour eux-mêmes à l’observatoire:
ils avoient trouvé, sur les bords du havre Montbazin, les débris du pantalon
de M. Gaimard, et en avoient conçu beaucoup d’inquiétude ; ils
partagèrent la joie commune que nous faisoit éprouver l’heureuse issue de
la course périlleuse de nos amis.
Le même jour encore, M. Duperrey revint de sa mission dans le havre
Hameiin. Les vents avoient beaucoup contrarié ses projets , et i’avoient
forcé de borner son examen à la partie occidentale du havre et aux côtes
de l’île Faure, d’où il nous avoit rapporté une énorme tortue du poids
de i 20 livres , qui fut un régal pour nous. La force du vent ne lui avoit
pas permis de se charger d’une plus grande quantité de ces précieux
animaux.. Quant aux observations hydrographiques qui avoient été le
résultat de cette course intéressante, j’en ai rendu compte ailleurs.
Jusqu’alors M. Gaudichaud n’avoit herborisé que dans le voisinage
ou à peu de distance de notre observatoire : il voulut s’avancer davantage
vers l’intérieur des terres; mais en vain -chercha-t-il un compagnon de
voyage; il lui fallut partir seul. S’étant donc dirigévers les étangs Montbazin
, il mit en fuite , en s’avançant, plusieurs kanguroos. « Ces animaux ,
dit-il, marchent avec une telle promptitude, que je n’ai pu en distinguer
exactement les formes ; ils sont plus gros que des lièvres, d’un gris sale,
et courent d’une manière si singulière, qu’ils semblent rouler. Je vis
également beaucoup de petits rats à poil argenté ; leur nombre , à en