
Filles publiques,
concubines.
Préférence
donnée
aux femmes
de couleur.
parmi les gens de couleur ; iis iui sacrifienjgiout ; les esclaves mêmes ne
sont pas exempts de cette manie. Les noirs «Yoloffs, libres et chrétiens,
affectent aussi beaucoup de luxe dans leuî parure : rien n’est si bizarre
que de voir des femmes noires comme de l’ébène, vêtues et coiffées à
l’instar des Européennes les plus élégantes. C’est au bal sur-tout quelles
étalent toute la somptuosité de leurs ajustemens.
Il n existe dans l’île aucune fille publique proprement dite : sans
doute un étranger peut louer une négresse esclave; mais on ne connoît
aucune maison où le premier venu puisse aller frapper avec la certitude
d être admis en payant. Les femmes de couleur libres sont, il est vrai ,
fort adonnées à la galanterie ; néanmoins elles y mettent une sorte de
retenue : les engagemens de coeur qu’elles contractent, n ont lieu qu’avec
des hommes qui leur sont connus , et une espèce de stipulation préalable
assigne une certaine durée à ces unions illicites.
Dans nos contrées, cet état de concubinage est considéré comme
ignominieux : au contraire, il n’a rien que de naturel aux yeux des
mulâtresses. L opinion qui met une si grande distance entre les blancs
et les gens de sang mêlé, la loi qui défend le mariage entre eux, tout les
porte à embrasser sans scrupule un genre de vie établi par l’usage : c’est
donc par un pur sentiment de préférence qu’elles cèdent aux poursuites
d un blanc, à qui elles s’attachent, avec lequel elles desirent avoir des
enfans ; car c est la que tendent tous leurs voeux. Certes, l’intérêt entre
bien pour quelque chose dans les liaisons de cette nature; mais pouvoir
dire, Mes enfans sont blancs, est la prérogative qui les flatte le plus.
Cependant toutes les filles mulâtresses ne vivent pas ainsi en concubinage
: quelques-unes, sur-tout celles qui , comme nous l’avons dit,
descendent de parens indiens, se mariént avec les créoles mulâtres; peu
sont portées au libertinage. Malheureusement celles-ci ne forment pas
le plus grand nombre.
«Les Européens, dit M. Thomy Pitot (i), se trompent, s’ils pensent
que la Vénus noire a moins d’adorateurs dans les colonies que sa belle
rivale. Il faut convenir, à notre honte, que trop souvent on lui donne
la pomme. Soit qu’effrayés des soins longs et assidus qu’il faut rendre
(1) Dans les notes qu’il a bien voulu rédiger à ma demande.
LIVRE II. — Du B r é s i l à T im o r i n c l u s i v e m e n t . 397
aux créoles blanches, des obstacles qu il faut surmonter, des risques
qu’il faut courir, avant d’obtenir un regard moins hautain que celui dont
les étrangers se plaignent presque tous , les créoles et les Européens eux-
mêmes vont s’adresser de préférence à ces beautés, vénales à-la-fois et voluptueuses,
qui ne donnent la fatigue de soupirer long-temps, ni à
l’Adonis qui n’a que des désirs à faire valoir, ni au Midas qui fait briller
l’or à leurs yeux. Faut-il l’avouer encore, et ne rendrai-je pas bien sévère
le jugement que la morale et la décence porteront contre les colons, si
j’ajoute que trop souvent les liaisons passagères formées avec des mulâtresses
libres, deviennent de véritables mariages (aux engagemens légal
et religieux près), et que l’imprudent qui croit ne former quun lien
fragile et de peu de jours finit par y rester enlacé le reste de sa vie l
» Plusieurs causes contribuent à cet effet, trop funeste pour la morale
publique, pour l’avantage général de la,société, et même peut-être pour
l’existence future de la colonie : la première est l’attrait irrésistible que
tous ceux qui ont habité les colonies reconnoissent à cette espèce de
femmes, dont la première pensée fut pour la volupté, dont l’éducation
n’eut en vue que la volupté, et qui, par inclination, par besoin et par
état, dévouées au culte du dieu des jardins, en font 1 unique étude, le
seul bonheur et la première gloire de leur vie. Ajoutez à une morale semblable
un physique plein d’élégance et de grâces, des formes dont le
statuaire grec eût embelli les oeuvres de son génie, une démarche pleine
de mollesse, un costume séduisant, une propreté exquise, des talens
agréables, des soins pleins de tendresse, enfin toutes les qualités du coeur
que permet encore l’absence de la pudeur, et le rigoriste le plus sévère
concevra du moins, s’il ne l’excuse pas, l’empire que ces femmes exercent
et conservent si long-temps sur leurs adorateurs.
« Ce n’est guère qu’à défaut de liaisons avec les blancs que les mulâtresses
libres consentent à s’unir aux hommes de leur classe : elles s’honorent
bien plus d’être les maîtresses des jeunes colons ou des Européens
que les épouses légitimes des libres, dont la conduite, généralement déréglée
, ne leur promet guère de bonheur dans leurs ménages.
>» On a vu des mulâtresses donner des bals où le luxe étoit poussé
beaucoup plus loin que dans ceux qui ont lieu chez les premiers négocians
Bals.