
accoutumée par conséquent à trouver aux ecclésiastiques à i’autei un
maintien pieux et recueiiii, c’est de voir ceux de ce pays-ci, iorsquiis
arrivent dans ie sanctuaire, se retourner vers les assistans, chercher de
l’oeil les personnes de leur connoissance, sourire aux uns, saluer .les
autres.... Il y a de quoi faire rougir d’étonnement !
J ’admirois cependant la décoration de cette petite église, toute tendue
d’étoffe de soie brochée d’o r , et très-bien éclairée par un nombre infini
de bougies et de cierges, lorsque des voix ravissantes se firent entendre :
trop douces/ trop claires pour des voix d’hommes, celles-ci avoient
une force et un ton grave qu’on ne trouve' jamais à aucune voix de
femme Ainsi donc, au Brésil comme en Italie, le luxe de la musique
porte les Portugais à faire usage de ces êtres mutilés que la nature désavoue,
tristes et déplorables victimes de la sensualité et de Ta barbarie
des hommes! II y a sûrement ici des personnes pieuses; je serois tenté-de
féliciter celles qui peuvent conserver du recueillement à de pareilles fêies.
Il est assez ordinaire de rencontrer des moines dans les rues de Rio
de Janeiro. Les portraits que Lesage fait de ceux d’Espagne, et que je
croyois chargés, reviennent à la mémoire en voyant de bons peres, gras
et fleuris, vêtus de fine laine, relevant avec grâce leur ample robe serrée
par une ceinture de soie garnie de riches glands, et laissant voir des
bas de soie blancs bien tendus. S’il faut en croire la chronique scinda^
leuse, ces moines quittent le soir leur habit monastique et prennent un
costume tout profane, avec lequel ils font des courses nocturnes fort peu
édifiantes. Peut-être ce sont leurs ennemis -qui disent cela, et qui assurent
les avoir entendus chanter à plein gosier dans leurs couvens les chansons
les plus exagérées de notre révolution. « J ’en ai vu beaucoup , dit
» M. Gabert, qui ne ressembloient à rien moins qu’à des ministres de
» Jésus-Christ; ils étoient mis comme de jeunes cavaliers, et avoient
» plutôt l’air de servans de Vénus que d’apôtres de la religion. Une fois il
» m’arriva d’en prendre un pour un officier de troupe, mais de ces vieilles
» moustaches qui ont passé la plus grande partie de leur vie dans les
» camps. Lui-même me détrompa fort à propos en m’apprenant sa qualité;
» sans cela je n’aurois jamais soupçonné qu’il pût appartenir à un ordre
» si respectable. «
On assure que, malgré ie désir qu’a l’évêque de réprimer ces désordres,
il n’a pu y parvenir encore , à cause de la richesse immense de ces
moines et de leur crédit à la cour. D. José Caetana-Coutinho est pourtant
un homme de beaucoup de mérite et généralement considéré. J ’allai
voir plusieurs fois ce prélat respectable, qui me reçut avec une extrême
bonté. Pénétré des devoirs de son état et de la dignité de son rang, il sait
allier aux vertus épiscopales le goût des lettres et de l’érudition : familier
avec nos bons auteurs non moins qu’avec ceux de l’ancienne Rome, il
m’étonnoit souvent par l’à-propos des citations qu’il se plaisoit a faire des
poëtes qui ont illustré la France. Il avoit fait, en amateur de l’histoire
naturelle, un voyage diocésain dans l’intérieur du Brésil ; et cette circonstance
augmenta les regrets que la brièveté de notre relâche me fit
éprouver de ne pouvoir jouir plus long-temps des charmes de sa conversation
, que sa belle mémoire rend aussi substantielle qu’intéressante.
Si j’eusse su assez bien le portugais, j’aurois désiré d’entendre le père
San-Payo, franciscain, prédicateur du roi, qui jouit également ici d’une
grande réputation. « Les Portugais le citent, dit encore M. Gabert,
» comme le Màssiifon de leur pays, et l’aiment beaucoup. Il est chéri du roi
» et recherché par tous les grands. Mais, d’un autre côté, il est détesté de
» ses confrères, auxquels son mérite fait ombrage. Le père San-Payo a un
» penchant invincible pour les Français et en parle toujours avec admi-
» ration ; manie qui déplaît très-fort à ses compatriotes. J ’allai un jour
» dans son monastère; il me reçut avec une aimable civilité, me conduisit
» par la main dans sa cellule, où je ne vis qu’une table, un lit et une
» superbe bibliothèque. Celle - ci étoit presque entièrement composée
» de livres français ; on y trouvoit réunis nos meilleurs auteurs, tels
» que Bossuet, Fléchier, Massillon, Bourdaloue, Fénélon, Corneille,
» Racine, Molière, Boiieau, Jean-Baptiste et Jean-Jacques Rousseau,
» &c. Il m’assura qu’il en faisoit ses délices, et que le peu de réputation
» qu’il avoit acquise dans la chaire, il la devoit principalement aux cinq
» premiers de ces orateurs célèbres, dans lesquels il avoit eu soin de
» puiser. » On avouera qu’il pouvoit faire pis.
Le 22 janvier, nos expériences les plus intéressantes étant terminées à
l’observatoire, et l’époque de notre départ approchant, je me déterminai à
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