
ne trouvâmes qu’avec la plus grande peine un point moins difficile où
nous pussions enfin débarquer.
» Il étoit alors plus de minuit : notre prëmier soin fut d’allumer un
grand feu pour nous sécher et pour nous dégourdir ; car la fraîcheur excessive
des nuits, qui succède ici à la chaleur du jour, se faisoit vivement
sentir. Nous nous couchâmes sous des touffes de mimosas.
» Le 1 5 , la brise se trouva trop forte encore pour nous permettre
d’appareiller de bonne heure, comme nous en avions l’intention. Obligés
d attendre, et sachant que nous ne pouvions nulle part trouver d’aiguade
sur la cote, nous avisâmes à différens moyens d’augmenter notre petite
provision d eau : un trou creusé dans le sol nous parut le plus convenable.
L opération se fit au bas d’une dune et dans un enfoncement où
la végétation étoit plus active et la terre moins sèche; cependant nous
n’obtînmes aucun résultat satisfaisant : ce ne fut par-tout qu’une aridité
désespérante ; force nous fut d’abandonner çe travail, et de faire, vers
onze heures du matin, une nouvelle tentative d’appareillage.
»^Parvenus à une lieue de la côte, nous donnâmes dans un banc de
poissons du genre des spares-dorades ( 1 ), dont nous prîmes une douzaine.
Cette pêche heureuse, tout en nous amusant, assura notre nourriture
, et nous fit rejeter le chien de mer que nous avions pris, et qui
étoit alors notre unique ressource alimentaire.
» Nous continuâmes de naviguer heureusement, comme la veille, jusqu’au
milieu à-peu-près du trajet que nous avions à parcourir; mais là
encore l’agitation de la mer et la force du vent nous obligèrent à rétrograder.
II fallut donc revenir à terre, où nous essuyâmes, pouf y aborder,
des difficultés encore plus grandes que celles de la veille. L ’aridité du sol
étoit aussi plus hideuse; nous n’eûmes pas même ici la ressource des
arbrisseaux qui, la nuit précédente, nous avoient offert un abri : avec les
voiles du canot, on fit une tente où nous nous retirâmes, bien décidés
à ne plus faire de tentative d’appareillage , à moins que le temps, ne
s’embellît tout-à-fait; nous étions dans la persuasion qu’on nous enverroit
bientôt du bord les secours dont nous avions besoin.
( 1 ) C’est le même qui, dans l’expédition du capitaine Baudin aux Terrés australes.,
avoit /été nommé rouge-bossu.
LIVRE II. — ■ Du B r é s i l à T im o r in c lu s i v e m e n t . 4 5 2
» Je m’occupois à empailler quelques oiseaux, lorsqu’il me vint en
mémoire que S. Basile; après un naufrage, parvint à se procurer de
l’eau douce par l’ébuilition de l’eau de mer dont il recueilloit la vapeur
avec des éponges. Cette idée nous parut un trait de lumière , et le moyen
fut adopte et mis en oeuvre aussitôt que proposé. Une casserole pleine
d’eau de mer, placée sur le feu, voilà l’alambic; ie réfrigérant se composa
d’un baril défoncé par une de ses extrémités , posé presque sur la
casserole, et suspendu au moyen de piquets ; à la partie supérieure de
ce baril étoient fixées des éponges qu’on venoit de ramasser sur la grève,
où. elles se trouvent, en abondance. La machine installée, une demi-heure
s’écoula avant qu’on en vérifiât les produits, qui furent quatre gouttes d’eau
aussi salée que celle qu’on auroit puisée à la mer. Nous ne perdîmes
pas courage; cette, salure fut attribuée à l’eau de mer elle-même dont
les éponges étoient déjà imprégnées, quelques soins que nous eussions
pris pour l’en extraire. L’expérience fut renouvelée avec la précaution
de descendre ces épongés jusqu’à l’embouchure du baril, afin qu’elles
reçussent plus directement la vapeur ; rien ne réussit, et deux heures
employées à ce travail ng nous laissèrent que des regrets. Je suis loin
d’en conclure cependant que la méthode soit essentiellement mauvaise ;
mais il nous eut fallu des éponges parfaitement dessalées, et probablement
aussi une union plus intime du baril avec le vase en cuivre
qui portoit directement sur le feu; vase d’ailleurs trop petit iuî-même,
en raisort de la capacité du baril où se répandoit la vapeur.
», Le 1 6 , la mer nous parut si belle, qu’on ne pouvoit douter que le
calme ne régnât également au large : l’appareillage eut donc lieu en toute
hâte; et quelque temps après notre départ, nous aperçûmes à l’horizon
les voiles de l’embarcation qui venoit à notre recherche. Dans la persuasion
où nous fûmes qu’elle apportoit ce dont nous avions besoin, nous
ne pûmes résister au désir d’épuiser ce qui nous restoit de liquides:
notre espoir ne fut pas trompé ; tout avoit été prévu, et nos amis avoient
poussé la~ complaisance jusqu’à nous envoyer le linge de corps et les
habits dont ils jugeoient que nous pouvions avoir besoin. M. Pellion
en particulier, par ses prévenances et ses soins affectueux , contribua
beaucoup à nous dédommager des privations dont nous avions eu à