
grand-juge si je n’acceptois pas à-la-fois chez iui ia table et le logement,
je jugeai convenable de céder.
M. Smith néanmoins ne se tint pas entièrement satisfait; il exigea
encore que mon secrétaire, et les deux officiers de service à l’observatoire,
prissent place chaque jour à sa table.
Comblé de tant de marques de bienveillance et de bonté, je me tran-
quiliisois par la persuasion de n’être pas long-temps à la charge de notre
digne et respectable hôte : vain espoir! l’indispensable nécessité nous
contraignit, comme on va le voir, de prolonger notre séjour au-delà du
terme prévu. J ’en témoignai tout mon regret à M. Smith, en le conjurant
de me dégager de ma promesse; mais il repoussa cette demande
avec une aimable véhémence ; et loin de s’attrister avec moi du contretemps
dont je lui parlois, il fit éclater de la manière la plus expressive
toute la joie qu’il en ressentoit. Il seroit difficile de dire jusqu’à quel
point je fus touché d’une conduite aussi délicate et aussi noble; mon
coeur en fut pénétré; et c’est aujourd’hui pour moi un devoir sacré d’en
exprimer hautement toute ma gratitude. Hélas ! celui qui me l’inspira
ne pourra recevoir ici bas mon hommage ! La mort, en privant la magistrature
d’un homme qui l’honoroit par ses talens et par son.carac-
tère, m’a enlevé un ami qui m’étoit infiniment cher I.....
De touchans souvenirs et des regrets bien légitimes m’ont entraîné
malgré moi dans une excursion que son motif fera facilement excuser;
je me hâte de reprendre le fil de ma narration.
Pendant qu’à l’observatoire nous nous occupions de nos travaux accoutumés
, on visitoit à bord toutes les parties du vaisseau, pour le
mettre promptement en état de reprèndre la mer. On ne tarda pas à
s’apercevoir que quelques feuilles de cuivre du doublage étoient enlçvées
de l’avant, près de la flottaison. D’abord on crut qu’il seroit possible de
les replacer en rade; mais des plongeurs chargés de reconnoître plus
exactement le mal, nous donnèrent enfin la douloureuse certitude qu’il
se prolongeoit jusqu’à la quille, et que non-seulement un grand nombre
de feuilles de doublage manquoient absolument, mais que beaucoup
d’autres encore étoieut percillées oonrnie de la dentelle. Une avarie aussi
grave, presque au début d’un long voyage et dans des mers où les
LIVRE II..— Du B r é s i l À T im o r i n c l u s i v e m e n t . 355?
tarets ( 1) sont très - multipliés, m’imposoit la fâcheuse obligation de faire
abattre le navire en carène pour le réparer, et de prolonger par conséquent
mon séjour à l’Ile-de-France bien au-delà du tempsqui m avoit ete fixé.
Les chantiers de M. Piston nous ayant offert tous les avantages désirables,
tant pour l’économie des dépenses que pour la perfection et la
célérité du travail, les marchés nécessaires furent passés, et 1 on hala
sans délai la corvette dans le Trou-Fanfaron, où, après l’avoir déchargée,
on procéda aux réparations nécessaires.
Ceux qui ne suivent pas les progrès des sciences physiques, se demanderont
peut-être d’où a pu provenir la détérioration d’une aussi
grande quantité de feuilles de cuivre. Nous l’attribuâmes d’abord nous-
mêmes à la qualité inférieure de celles qui nous avoient été fournies ;
mais on a su depuis, par les belles expériences que sir Humpry-Davy
publia en 1824 (2), qu’il ne failoit pas la chercher ailleurs que dans la
corrosion du cuivre par l’eau de mer, corrosion développée précisément
par la pureté même du métal; car le cuivre allié, ou seulement mis en
contact intime avec une petite portion d’étain, de zinc, &c., n’est pas
exposé à cet inconvénient.
Une conséquence immédiate des expériences dont nous venons de
parler, a été la pensée de doubler les vaisseaux, non pas en cuivre
pur, mais avec des feuilles de bronze dont l’alliage contiendroit quatre-
vingts parties de cuivre sur vingt parties d’étain. M. d’Arcet, de l’académie
des sciences, à qui l’on doit cette idée, a proposé de substituer
aussi aux clous de cuivre rouge, employés pour le bordage des bâtimens,
des clous fondus avec l’alliage précité. Ceux-ci seraient beaucoup plus
durables que les premiers ; et l’on sait en effet que les clous antiques
de bronze retrouvés dans la Méditerranée, étoient encore en fort bon
état après des siècles, tandis que le cuivre pur est promptement détruit
par la seule action de l’eau de mer.
(1) Sorte de vers marins qui piquent les bois, immergés. En quelques mois f ces vers peuvent
pénétrer dans la membrure^ d’un vaisseau qui n’est pas doublé en cuivre; et même, malgré
le doublage, ils parviendroient à la quille et de là aux varangues, si le cuivre ne recouvroit pas
la quille en entier.
(2) Voyez les Annales de chimie et de physique, par MM. Gay-Lussac et Arago; mai 1824,
tom, 26, pag. 84*
1818.
Mai.