
Habitans
primitifs.
« Ceux de dedans, dit de Léry, qui sauent lés destroits par où ils
>> peuuent aller sans s’offenser, sortans dessus, les rembarrent de telle
» façon que, soit qu’ils veulent fuir ou combattre , parce qu’ils se piquent
» bien fort les pieds, il en demeure tousiours quelques vns sur la place,
» desquels les autres font des carbonnades. »
De Léry a vu une armée de Toupinambas composée de huit à dix
mille combattans, sans compter les femmes, destinées à porter le bagage
et les vivres. Le commandement étoit partagé entre les guerriers
à-ia-fois les plus âgés et les plus braves. Ces troupes n’observoient d’ailleurs
aucun ordre, si ce n’est que les plus vaiilans étoient à l’avant-
garde, et que tous marchoient assez serrés.
La première attaque avoit lieu ordinairement par surprise ; on dçta-
choit les plus hardis et les plus habiles pour aller en embuscade dans
les bois, où souvent ils restoient cachés pendant vingt-quatre heures, et
se trouvoient bien dédommagés quand ils parvenoient à enlever quel-,
ques-uns de leurs ennemis pour servir à leurs abominables régals.
Surprenoient-ils un village ennemi, ils en massacroiént tous les habitans
sans pitié , et jetoient ensuite tout entiers sur leurs boucans les
hommes, les femmes et même des enfans à la mamelle.
Quand les deipc armées en venoient aux mains, le combat étoit cruel
et terrible. Une distance de demi-lieue les séparoit encore, qu’ils com-
mençoient à pousser des hurlemens affreux qui alloient en redoublant à
mesure qu’ils se rapprochoient. Arrivés à deux ou trois cents pas , ils se
lançoient des nuées de flèches, et les blessés eux-mêmes ne laissoient
pas d’avancer avec un si merveilleux courage, un si grand acharnement,
que, tant qu’ils pouvoient remuer bras et jambes, ils combattoient opi-
niâtrément sans reculer ni tourner le dos. Dès qu’ils étoient assez près,
iis se chargeoient les uns les autres à coup de tacapés avec une inconcevable
furie ; la mêlée quelquefois ne duroit pas moins de trois heures.
Les prisonniers faits à la guerre étoient nourris des meilleures viandes :
on donnoit des femmes aux hommes ; mais, ce qui est assez singulier,
quoiqu’il soit possible de l’expliquer cependant, on ne donnoit point de
maris aux femmes : le vainqueur ne faisoit même pas difficulté d’accorder
sa propre fille ou sa soeur en mariage à son captif. On gardoit
LIVRE I.cr — D e F r a n c e a u B r é s i l in c l u s iv e m e n t . ijç>
ensuite.,pj|is ou moins de temps ces malheureuses victimes du sort des
àrmes : « tant y a neantmoins, dit de Léry, qu’après les auoir en-
» graissez comme pourceaux en l’auge , ils sont finalement assommez et
» mangez.» ,
Avertis du jour fatal, hommes, femmes et enfans arrivoient en foule
des villages voisins. On commençoit d’abord à danser et à boire du
caouin pendant la matinée ; et le déplorable objet de cette horrible solennité,
bien convaincu de sa destinée prochaine, étoit emplumassé comme
Rio de Janeiro.
Habitans
primitifs.
les autres, sautoit et buvoit-comme eux, n’étoit pas enfin celui qui
montroit le moins de joie. Après s’être ainsi régalé et avoir chanté six
ou sept heures durant, deux ou trois des plus estimés de la troupe
semparoient de lui et le lioient par le milieu du corps avec des cordes,
sans qu’il fît la moindre résistance, quoiqu’on lui laissât les bras libres.
Pendant quelque temps, on le promenoit en cet état dans le village :
mais il ne baissait pas pour cela la tête; au contraire, il montroit une
audace et une assurance incroyables, se vantoit de ses prouesses passées,
du nombre de parens de ses vainqueurs tués et "dévorés par lui, et assu-
roit que les siens vengeroient un jour sa mort.
Dès que le prisonnier avoit été tué, ce qui se faisoit ordinairement d’un
seul coup de tacapé assené adroitement et avec force derrière l’oreille,
s il arrivoit qu on lui eut donne une femme, « elle se mettant auprès du
» corps, dit de Léry, fera quelque petit dueil : je di nommément petit
» dueil, car... après que ceste femme aura fait ses tels quels regrets et ietté
» quelques feintes larmes sur son mari mort, si elle peut, ce sera la
» première qui en mangera. Cela fait, les autres femmes et principale-
» ment les vieilles (lesquelles plus conuoiteuses de manger de la chair
» humaine que les ieunes, solicitent incessammént tous ceux qui ont
des prisonniers de les faire vistement ainsi depescher), se presentans
» auec de l’eau chaude qu’elles ont toute preste, frottent et eschaudent
» de telle façon le corps mort, qu’en ayant leué la première peau, elles
» le font aussi blanc que les cuisiniers par-deça scauroyent faire vn co-
» chon de laict prest à rostir. »
Le corps étoit ensuite dépecé par quartiers; et « ces barbares, ajoute
» de Léry, à fin de tant plus inciter et acharner leurs enfans, les prenans