un fidèle croyant ; après quoi elle mena le santon chez elle et lui donna des habits :
mais celui-ci les distribua aux pauvres.
Un santon appelé Cheykh Ahmed Abou Hadyd, ainsi nommé, disoit-on, à cause
d’une grande coupure au cou dont ilavoit guéri miraculeusement, mourut pendant
l’expédition ; c’étoit un de ces prétendus saints qui courent les rues de la ville tout
nus ou couverts de misérables haillons. Une troupe d’autres saints comme lui sui-
voit ses funérailles ; ils marchoient en rond et faisoient une foule de contorsions,
portant successivement la tête à droite et à gauche, et poussant de gros gémisse-
mens ou plutôt des hurlemens singuliers. La fatigue est telle, qu’ils en écument; le
visage est enflammé , les yeux sortent de la tête : cette pratique est la même
qu’à la fête de Mahomet.
Je terminerai ce paragraphe par une autre anecdote dont j’ai été le témoin.
En revenant d’une cérémonie qui avoit attiré la foule, un ânier qui m’accom-
pagnoit trouva un jeune enfant sous les pieds d’un chameau; personne ne leré-
clamoit : il s’empara de cette petite créature, comptant lui servir de père. Je ne
pus l’empêcher d’emporter l’enfant avec lui ; ce qu’il fit tout en conduisant ma
monture. A u milieu d’une ru e , je rencontrai un groupe de femmes dont l’une
sembloit faire des signes et des cris de joie : je ne m’y arrêtai point. Bientôt je
m’aperçus que ces exclamations étoient des cris de douleur. Mais, comme je
çontinuois ma route, cette femme courut après m o i, s écriant : Rendez-moi
mon enfant! C ’étoit la mère elle-même qui, par un heureux hasard, s’étoit trouvée
dans la rue où je passois. Je ne puis exprimer avec quels transports elle
se jeta sur sa fille et l’arracha des bras de l’ânier. Après qu’elle l’eut couverte de
baisers, elle me baisa aussi les mains pendant long-temps; elle versoit des pleurs
abondans et se soulageoit de son émotion ; ensuite elle contoit son aventure à
tous les gens du quartier, et comment elle m’avoit l’obligation d’avoir retrouvé
sa fille, appelant sur moi mille bénédictions, quoique je n’y eusse aucun droit.
Cette jeune mère ( elle avoit dix-huit ans) étoit venue d’une très-grande distance;
elle couroit depuis quelques heures sans avoir rien découvert, tellement qu’elle
passa en un instant de l’excès du désespoir à celui de la joie. Sans doute dans
nos villes on verroit de semblables preuves de tendresse maternelle, et une femme
courir ainsi de rue en rue après son enfant durant des heures entières, sans s’en
rapporter aux crieurs publics ( t ) ; mais il n’en faut pas moins rendre justice aux
vertus domestiques qui distinguent l’intérieur des familles musulmanes. La vérité
est que les musulmans ne manquent d’aucune des vertus qui honorent l’humanité;
malheureusement elles sont trop souvent sacrifiées à la religion ou à la politique.
C e qu’il y a de remarquable, c’est que les exclamations de douleur, chez les
femmes du Kaire, sont tout-à-fait semblables pour le ton à nos cris de joie. Un
exemple frappant s’en voit tous les jours aux enterremens : à entendre les hommes
et les femmes qui accompagnent les cérémonies funèbres, on jureroit qu ils
chantent des chansons faites exprès pour égayer et divertir les passans.
( i ) 11 est d’usage, comme chez nous, qu’un crieur public proclame les enfans perdus.
DESCRIPTION
DES
ENVIRONS DE LA VILLE DU KAIRE.
L es lieux dont il nous reste à donner la description topographique sont compris,
d’une part, entre Torrâh, au midi du Kaire, et la Qoubbeh, au nord; de l’autre,
entre la rive droite du Nil, à l’ouest, et la chaîne du Moqattam, à l’est. C e t espace
a environ deux lieues et demie dans le premier sens, une lieue et demie dans le
second. Il renferme, outre le Kaire, plusieurs autres villes, savoir, le vieux Kaire,
Boulâq, et Gyzeh, ville plus petite; quatre îles: l’île de Terseh, l’île de Roudah,
l’île de Moustafà-aghâ, l’île de Boulâq (ou el-Qorâtyeh), et une petite île au nord
qui en dépend, où les Français avoient formé un lazaret ; une douzaine de hameaux
ou villages, dont el-Baçâtyn à un angle et Embâbeh à l’angle opposé ; deux grands
couvens au vieux Kaire, Deyr el-Nasarah et Deyr Abou-Seyfeyn ; un grand aqué-
duc; plusieurs étangs extérieurs, Birket el-Cheykh Qamar, Birket el-Rotly; des
carrières derrière le vieux Kaire et au Moqattam; enfin des jardins au vieux Kaire,
à Boulâq, au nord d’el-FÎasanyeh,et sur-tout les jardins délicieux de l’île de Roudah.
Deux villes des tombeaux occupent la partie orientale de ce même espace, au
pied de la montagne Arabique.
Une ceinture épaisse et élevée, formée des décombres tirés de la ville, l’entoure
presque de toutes parts : elle est commandée par ces points élevés de cette
chaîne, de même que par le mont Moqattam. Les Français y avoient élevé dix-
neuf forts susceptibles d’une bonne défense, sans compter les batteries de l’île
de Roudah.
§. I ."
L e vieux K aire.
T o u t l’espace dont on vient de parler est compris dans le plan général des
environs du Kaire ( i ), qui donne une idée juste de la forme du s o l , de la topographie
et de la position respective des lieux, par rapport au fleuve et à la montagne.
On peut donc se rendre compte des motifs qui ont fait choisir ce point de la
vallée du Nil pour y fonder une ville. Niebuhr a fait une réflexion judicieuse,
quand il a dit que les Arabes, en s’établissant à Fostât, avoient cherché un lieu
qui fût à la portée de leur pays dont il falloit souvent tirer des secours, et placé
en même temps d’une manière centrale; car il n’eût pas été prudent pour eux
de s’établir sur la rive gauche du Nil. Mais il auroit pu ajouter que le voisinage
de la vallée de l’Égarement (qui vient déboucher sur le fleuve à el-Baçâtyn) a-dû
déterminer les conquérans à fixer près de là l’emplacement d’un poste destiné à
devenir un centre de population; en second lieu, que ce point (la Babylone
( i ) Voyez planche 15, E. M. vol. I.
E. M. TOME II, a.e partie. Bbbbb