» affectoit dans ses réponses : Nous sommes tes juges, iui dis-je ; et la brutalité à
» laquelle tu viens de te porter, est un grand crime à nos yeux : nous te punirons
■» — Me puniriez-vous si j’avois blessé une vache! — Sans doute, si elle ne t’ap-
» partenoit pas. — Écoutez cependant mes raisons, et vous verrez que j’ai dû me I
» conduire ainsi. Les Mamlouks m’avoient ôté mon champ pour le donner à mon I
»3 cousin; les Français sont arrivés pour réparer les injustices des Mamlouks:neI
» dois-je pas rentrer dans mes anciens droits! Mon cousin, sa fille et son fils s’y I
»> opposent : je les ai battus, et je les battrai jusqu’à ce qu’ils me rendent ma p r o - 1
33.priété. Je ne demande que ce qui m’est dû, et j’invoque même à cet égard la I
33 justice des lois Françaises. — Eh bien ! puisque tu parles des lois Françaises I
33 sache qu’elles punissent les meurtriers et ceux qui se permettent des violences I
33 contre leurs semblables.
33 J’avois convoqué chez moi les cheykhs et les notables habitans du bourg, I
3> Quelle peine infligez-vous à ceux qui frappent ou blessent un homme volon-l
33 tairement! — Ils doivent recevoir coup pour coup et rien de plus, répondirent-1
33 ils à-la fois : les punitions sont les amendes, la bastonnade et la mort. — Il suffit!
33 L ’homme que vous voyez a blessé cette malheureuse; il a demandé à être jugé!
33 d’après les lois Françaises : qu’il apprenne donc qu’on nç peut se faire justice !
33 soi-même d’après ces lois qu’il invoque; qu’une femme est tout aussi respectable!
33 qu’un homme, et que son sang n'est pas moins précieux. En conséquence, i l!
33 recevra sur-le-champ vingt-cinq coups de bâton. — Vingt-cinq coups de bâton! I
33 s’écrièrent-ils avec l’accent de la plus grande surprise; cela n’est pas juste : c’est!
33 tout au plus ce qu’on auroit pu lui infliger s’il l’avoit tuée. — Oui, vingt-cinq!
y. coups de bâton, m’écriai-je, et qu’on exécute mes ordres. Si la femme meurt,!
3> nous prendrons d’autres mesures.
3> Lorsqu’il fut question d’appliquer la bastonnade, aucun Égyptien ne voulut!
33 s’en charger. On envoya chercher le qaouâs; mais il s’acquittoit de sa tâche avec!
33 tant de mollesse et de précaution, qu’un domestique Maltais quipartageoitmon!
33 indignation, lui arracha le bâton des mains, et acheva l’exécution avec toute!
33 la sévérité que le cas exigeoit. 33
C e trait, auquel nous n’ajouterons aucune réflexion, peint les moeurs du bas!
peuple, et donne une idée juste de l’opinion qu’on a des femmes dans les pro-!
vinces de l’Égypte. Il en est à peu près de même dans les autres contrées d e !
l’Orient.
§. III.
Nourriture.
L a frugalité est la vertu des habitans de l’Égypte. Si dans les villes on trouve ■
des hommes riches qui s’abandonnent à l’intempérance, ou qui abusent des alhnens ■
les plus simples en les prenant en trop grande quantité ( les Mamlouks méritoieut ■
sur-tout ce reproche), les classes laborieuses, de même que les paysans, sont»
excessivement sobres : ils ne prennent de nourriture qu’autant qu’il leur en fin I
pour se soutenir; et cette nourriture est si mauvaise, que l’on a peine à concevoir
c o m m e n t elle peut leur suffire et comment ils peuvent se livrer aux travaux les
plus pénibles.
Les Égyptiens aiment par-dessus tout la chair du mouton : mais pour le peuple
c’est un régal qu’il ne peut se procurer que les jours de grande solennité ; tout le
reste de l’année; il vit de légumes verts, de poissons salés, de racines et de graines
diverses, comme pois chiches, fèves de marais, lupins, &c. : ces derniers alimens
se vendent cuits, et sont, avec quelques fruits, la principale nourriture de la population
indigente des villes.
Quoique le sol de l’Égypte produise en abondance le from en t, que ce gra-
minéy soit d’une qualité excellente et d’un prix beaucoup moindre qu’en Europe,
qu’enfin Ion soit rarement obligé d’employer d’autres graines pour faire le pain,
il nest pas, comme par-tout ailleurs, la base de la nourriture du commun des
habitans. Par goût, ou peut-être même par économie, les paysans et le petit
peuple abandonnent aux riches l’usage du pain, qu’ils regardent comme un objet
de luxe, pour se nourrir plus particulièrement des productions végétales que
chaque saison procure : ils y suppléent, par exemple, par les racines du colocase,
docasia ( 1 ) ; les carottes, daucus sativus (2); les fruits du bâmyeh, hibiscus esculentus ;
les aubergines ou mélongènes, solarium melongena; les petits concombres, cucumis
satim; les melons d’eau ou pastèques, cucurbita citrullus; l’a’bdellâouy et d’autres
espèces de melon particulières à l’Égypte ; les feuilles de mauve, malva rotundifera;
le meloukhyeh, corclionis esculentus; le helbeh, irigonellafoenum græcum : toutes ces
plantes sont très-mucilagineuses et rafraîchissantes. Ils y ajoutent les semences
du mais, zea mais / du dourah, holcus sorgho S du lupin, lupinus termes ; des fèves de
marais; du lioummous, espèce de pois chiche. Enfin ils s’alimentent encore avec
les fruits du dattier, phoenix dactylifera, le poisson salé, le lait aigri, le fromage, le
miel, la mélasse. L a viande, comme on le voit, est loin d’être d’un usage journalier
pour le peuple.
Il seroit peut-être pennis de rejeter en partie sur la paresse naturelle des Égyptiens
et sur la rarete des combustibles dans leur pays, l’espèce de carême perpétuel
auquel ils se sont condamnés pour s’affranchir des embarras de la cuisine : ce se-
1 r°ient les mêmes raisons qui les auroient portés à adopter de préférence pour alimens
des substances qui peuvent se manger crues et sans apprêt, ou qui se cuisent
en grand par des gens qui n’ont pas d’autre métier. Cependant, si l’on compare cette
maniéré de vivre avec celle des Égyptiens anciens, on trouvera une très-grande
analogie, soit pour la nature des alimens, soit pour la simplicité de leur apprêt (3).
! jj)nne" 31 tes Egyptiens appellent lotos; ils les cueillent, et les
. : u , ‘ 1 » font sécher au soleil; ils en prennent ensuite la graine,
(3) Hérodote, en parlant de la nourriture des Égyp- » qui ressemble à celle du pavot et se trouve au milieu do
jens, dît, après avoir parlé de quelques autres usages » lotos; ils la pilent, ils en font du pain qu’ils cuisent au
ece peup e : » feu. On mange aussi la racine de cette plante : elle est
“ ^uant aux vivres, ils ont imaginé des moyens de s’en « d’un goût agréable et doux ; elle est ronde, et de la gros-
0 C l l r P r 9 t c n > « n . . T 1 n procurer aisément. Lorsquele fleuve a pris toute sa crue » seur. d’une pomme. II y a une autre espèce de Iis réséqué
les campagnes sont comme une espèce de mer, »semblant aux .roses, et qui croît aussi dans le Nil.
1 Paro t dans leau une quantité prodigieuse de lis que . » Son fruit a beaucoup de rapport avec les rayons d’un