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A u reste, le maître de chaque café a toujours une quantité de pipes commun I
dont le bouquin est en os, en marbre ou en albâtre, au lieu detre en ambre jaune I
qu’il prête à ceux des consommateurs qui en '‘demandent : chacun doit avoir I
tabac, et les naturels marchent même rarement sans leur pipe.
Les cafés du Kaire sont sous la surveillance immédiate d’un ch e f qui achète lyjl
• même sa charge. Chaque café lui paie un léger droit au commencement de l’annéel
Turque ( le i d e moharrem ) : ce droit s’élève depuis dix jusqu’à quarante médin-i
les plus pauvres en sont même exempts. Tous ceux qui veulent bâtir un caféi
peuvent le faire librement : mais ils ne peuvent y allumer du feu sans l’autorisatij
de ce chef; il est en quelque sorte chargé dm la police intérieure de ces maison]
puisqu il est tenu de livrer à la justice les auteurs des délits qui pourroient s’y c o j
mettre. L intendant des janissaires [kyâliyah el-motouâlly] est ordinairement inves]
de cette charge, dont il paie la ferme au Gouvernement.
Deux cents a deux cent cinquante individus se succèdent journellement dans J
cafés un peu en vogue; chacun y prend deux ou trois tasses [fingân] de café p o ]
un parat ou un parat et demi la tasse. Il y a des hommes, assez pauvres d’ailleurs, qui! j
en consomment jusqu’à trente fingân par jour. Chaque individu en prend commi-:.]
nément six ou sept. L e maître du café gagne beaucoup lorsqu’il traite des personne.]
riches; on le paie généreusement.
II y a plusieurs cafés où l’on vend aussi de l’opium et une espèce de pâte mêltl
d herbes. L e bas peuple s’enivre avec ces drogues, quoique la religion le défend]
Les deux tiers des artisans sont dans ce cas ; il en est presque de même pourle]
autres classes des habitans, à cela près qu’ils s’enivrent dans leurs maisons. La poliefl
arrête et punit les ivrognes dont le délire est trop bruyant : les autres ne sontpA
meme inquiètes; ils égaient le peuple par leurs folies ( t).
On trouve ordinairement dans chaque café une espèce d’orateur qui raconte o f l
chante 1 histoire vraie ou fausse d’un personnage merveilleux, dont le nom c i l
consacré dans les fastes de la religion ou de l’histoire musulmane. Son discouiseîH
animé, plein de force et d’énergie : ses chants sont remplis d’exaltation et de f o l
poétique ; le ton de sa voix est elevé, et moyen entre le ton de la conversation eifl
celui du récitatif: il s’interrompt souvent pour demander à ceux qui l’écoutent.s’ilH
doutent de la vérité de son récit, et s’il n’est pas tout ensemble pieux et beau. Cefl
orateurs de café animent encore leur narration par des gestes fort expressifs; i f l
1 accompagnent ou la font ordinairement précéder d’une musique bizarre, exécuiéH
sur un instrument a cordes : Cet instrument est en cuir, et une espèce d’archetqnB
frotte sur les crins étendus qui lui servent de cordes, en tire des sons rauquese^J
sourds. L e maître du cafe paie quelquefois ces conteurs pour attirer la foule :1^ |
plupart du temps, ils ne reçoivent que ce que les assistans veulent bien leur donneiS
(i) II n’en est pas de l’ivresse produite par l’opium
commede celle que produit le vin : l’homme doncles sens
sont troublés par 1’efFet de ce narcotique, paroît être dans
la plus grande hilarité; il rit aux éclats; son délire est ordinairement
gai. Tantôt il est plongé dans des rêveries
agréables; d autres fois il entretient tout le monde de son
bonheur : il se croit sultan, cheykh el-beled ; il s’inugn™
qu’il est à cheval, et veut qu’on mette pied à terre deva°B
lui : si on le contrarie, il ne s’irrite preSque jamais
il est peureux, le moindre bruit l’effraie; on le voit a'°®
passer de la joie la plus vive au désespoir; il pleure,i||
gémit, et tombe dans une espèce de léthargie.
D E S H A B I T A N S M O D E R N E S D E L ’ É G Y P T E . 4 3 9
L’histoire d’Alexandre, celle de Gengis-khan, sont des sujets qui fournissent à ces
scaldes Arabes la matière ordinaire de leurs chants; ils y ajoutent mille histoirés
merveilleuses, et les récits de combats héroïques dont le fond est puisé dans les
annales de leur pays. Les Mamlouks en dignité, et qui avoient une réputation de
b r a v o u r e , faisoient venir ces orateurs dans leurs maisons, exerçoient leurs talens, et
les réçompensoient avec munificence.
Dans les beaux çafés, on entend quelquefois une musique assez régulière pour
le pays; les artistes sont payés par le cafetier et un peu par le consommateur. Chac
u n écoute en silence; on n’entend point de cris, ni les éclats d’une joie bruyante:
tous les assistans paroissent plongés dans une rêverie profonde ; et c’est encore là
un des traits distinctifs du caractère Oriental. Quelquefois deux personnes ou un
plus grand nombre se disputent une partie d’échecs; mais on les croiroit privées
de l’usage de la parole : des curieux les regardent sans se permettre la moindre réflexion,
et tout se passe en pantomime, à moins qu’un homme ivre ou un insensé
ne vienne troubler le calme de la société et l’égayer par ses folies ( i ).
§. X I .
Jeu x et E x ercices.
L e s jeux des Orientaux sont généralement en harmonie avec la gravité de leur
caractère. On y reconnoît le goût d’un peuple penseur, qui se plaît à méditer au
milieu meme de ses divertissemens. L e trictrac, le jeu des dames, en arabe dâmah,
et les echecs, satrang, sont les jeux favoris des Égyptiens, ceux auxquels se livrent
particulièrement les gens du bon ton, et que le peuple lui-même préfère à tous les
autres . les echecs sur-tout jouissent d une faveur générale; on les aime à l’excès ;
ilnest pas rare de voir des joueurs y passer des journées entières. Toutes les
pièces, ainsi que les pions, sont extrêmement simples, non pas seulement parce que
les musulmans ont les figures en aversion, mais encore parce que leurs artistes ne
sont pas très-habiles, ou qu’on ne leur accorderoit pas un salaire proportionné à
leurs peines, s ils s appliquoient à perfectionner leur travail (2). Les damiers et les
échiquiers marquetés de bois précieux ne servent qu’aux riches et aux grands : le
peuple fait usage d un linge sur lequel sont cousus des carrés de drap de diverses
JO Nous avons donné, dans le paragraphe précédent,
létat approximatif des frais que nécessite l’établissement
un bain public; nous ferons de même à l’égard des cafés,
quoique nous en ayons déjà dit un mot, chapitre i .cr
Le mobilier du plus beau café peut coûter, de premier
ac at, quarante pataquès; celui du plus médiocre n’en
coûte guère que-dix ou douze. Sept ou huit nattes, quinze
petites cafetières, quinze^/;»dn de faïence, autant de jarf
ou petites tasses de cuivre dans lesquelles on met les
%àn, tels sont les,ustensiles dont l’emplette est indispensable.
Il faut en outre pour vingt-cinq ou trente parats
6 °*s Par i0ur> deux.rotl de café.à quarante parats le
w >etde quoi entretenir deux domestiques et le maître.
§ M- TOM E II, 2.e partie.
Tout cela est bien peu de chose, comme on le voit : aussi
la profession de cafetier est-elle une condition assez misérable
en Egypte. On peut trouver un, café tout meublé
a louer; le loyer coûte par jour de sept à quinze parats.
Celui qui loue est tenu d’entreienir les meubles.
(2) Mal gré cela, nous avons vu en Egypte des échiquiers
d’une très-grande magnificence, et si bien travaillés,
qu’on auroit de la peine à faire mieux en Europe.
L’ivoire et l’acajou sont les matières que l’on y emploie :
tout est si bien assorti, et Iesornemens sont si gracieux,
que l’on est étonné de trouver tant d’art allié à tant d’insouciance.
Les riches et les grands possèdent seuls les
beaux échiquiers.
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