
inhérens à la religion Mahométane. Plusieurs traits qui se sont passés sous nos
yeux, le feront mieux concevoir que toutes les réflexions qu’on pourroit faire
M. Rigo, peintre et membre de l’Institut d’Egypte, avoit entrepris une suite!
d’études sur la physionomie des habitans. La caravane de Nubie, qui étoit
Kaire en 1799, présentoit, à cet égard, une occasion heureuse à saisir; et le con-l
ducteur de la caravane, A ’bd-el-Kerym, étoit surtout remarquable par la forcd
du caractère Nubien empreint sur sa physionomie. M. Rigo réussit à l’attirer chea
lui à force d’argent. Après une négociation longue et souvent rompue, A ’bd-el-j
Kerym vint dans l’atelier du peintre sous l’escorte de dix à douze de ses Compaq
triotes, et avec toutes les précautions d’un homme qui est persuadé qu’on l'attird
dans un piège. Pourtant on vint à bout de le rassurer un p eu , et on le détermina
à congédier sa garde; alors M. Rigo se mit en devoir de faire son portrait dej
grandeur naturelle. L e Nubien parut d’abord content de l’esquisse au crayon; il
montroit avec son doigt les parties du dessin et les parties correspondantes da
son visage, en disant tayeb [ bien ] ; mais', quand l’artiste y eut mis la couleur!
l’effet fut tout différent; A ’bd-el-Kerym n’eut pas plutôt jeté les yeux surcettj
peinture, qu’il recula, en poussant des huriemens d’effroi. Il fut impossible dJ
le calmer; la porte de l’atelier étant ouverte, il s’enfuit à toutes jambes, et cria
dans le quartier qu’il venoit d’une maison où l’on avoit pris sa tête et la moitié dJ
son corps.
aul
Quelques jours après, M. Rigo introduisit dans l’atelier un autre Nubienl
portier de l’une des maisons de l’Institut. Il ne fut pas moins effrayé par la vu«
des peintures que son compatriote; il courut conter à tout le voisinage qu’il avoil
vu chez un Français un grand nombre de têtes et de membres coupés. Sel
confrères se moquèrent de lui, et se réunirent au nombre de six pour vérifie!
le fait : il n’y en eut pas un qui ne fût saisi d’effroi en entrant dans l’atelier, et|
aucun ne voulut y demeurer.
M. Rigo a peint une jeune femme du même pays, amenée au Kaire par A ’b d -e ll
Kerym. Il a fallu user dé contrainte pour la résoudre à se laisser peindre : à mesura
que le peintre achevoit de faire la tête ou le bras, elle lui disoit : « Pourquoi
» prends-tu ma tête! pourquoi m’ôtes-tu mon bras! » Elle paroissoit persuadé«
que toutes les parties de son corps dont l’image étoit transportée sur la to ile !
alloient se dessécher.
Les chrétiens du pays croient que toutes les peintures représentent des saints!
il y avoit dans cet atelier un portrait de Français devant lequel tous les Qobtessa
prosternoient en entrant, et qu’ils baisoient dévotement (1).
I II . D e l ’A r t des Ophiogènes, ou Enchanteurs de serpens.
N o u s croyons devoir, avant de terminer cet écrit, parler de ces homme!
extraordinaires qui font métier de découvrir les serpens et d’en purger lel
maisons. Quoique leur art paroisse tenir du charlatanisme, et que nous jugions
(1) Voyez le Courrier de VÉgypte, n." 25.
d’avance que pêu de lecteurs ajouteront foi à leurs prétendus miracles» A est
cependant indispensable d entrer dans quelques détails à cet égard : nous avouons
mie, sans être ni credule, ni facile à persuader, nous avons été rious-même tém
o i n de quelques traits si singuliers, que nous ne pouvons tout-à-fait traiter de
chimérique lart des Ophiogènes. Prosper Alpin, ce médecin si judicieux et si
célèbre, n a pas été a 1 abri de 1 illusion ; il rapporte lui-même qu’il existe des
hommes qui manient impunément les reptiles les plus venimeux et les scorpions.
Avant lui, Strabon avoit connu les Psylles, qui passoient chez les anciens pour
avoir le don particulier d enchanter les serpens : tout ce que cet auteur rapporte
d’eux se renouvelle encore de nos jours, ainsi qu’on va le voir.
Pendant le séjour de l’armée en Egypte, plusieurs médecins habiles voulurent
s’assurer par eux-mêmes de la confiance que méritoient les relations des voyageurs
à l’égard des> Ophiogènes. Il leur fut d’abord facile de reconnoître le charlatanisme
de quelques-uns, au moins dans les pratiques bizarres à la faveur desquelles iis
abusoient de la crédulité d’une populace ignorante. Pour initier un individu quelconque
à leur compagnie, et le mettre également à l’abri de la morsure dès reptiles,
les enchanteurs versent un peu d’eau dans un vase; puis ils y ajoutent dê
l’huile et du sucre, et s’efforcent d’opérer la combinaison de ce mélange : après
avoir récité quelques prières, ils crachent dans le vaSe, et font avaler cette dégoûtante
potion au récipiendaire. On lui suspend ensuite deux grands Serpens
aux oreilles ; ces reptiles s’y accrochent avec les dents et y restent un quart
d’heure. L ’opération finit là; l’initié paie de sa bourse le service important qu’on
vient de lui rendre, et se retire intimement convaincu qu’il n’a plus à craindre
désormais la morsure des serpens.
Cette persuasion, que les charlatans ont rendue complète, est sans doute le seul
avantage que retirent les initiés d’un tel spécifique. En effet, on braVè plus aisément
ce que 1 on redoute moins, et les serpens peuvent ressembler à une foule
d animaux, qui ne deviennent nuisibles que parce qu’ils jugent, à la contenance
timide et mal assurée de ceux qui les abordent, qu’on veut leur nuire. Nous sommés
du moins forcé de raisonner ainsi pour pouvoir expliquer les résultats singuliers
de cette initiation des Ophiogènes. Comment des hommes peuvent-ils porter dans
leurs vêtemens, sur leur sein même, des reptiles divers, et les choisir au hasard,
sans qu’il leur arrive d’accidensî Comment peuvent-ils placer impunément des
scorpions vivans sous la calotte rouge qui couvre leur tête épilée! Nous croyions
d abord qu’on brisoit les dents des serpens et les pinces des scorpions ; mais l’un
de nous a eu 1 expérience du contraire. Il voulut un jour s’assurer de la v ér ité ,
et fit part de ses soupçons à un Ophiogène , qui prit aussitôt son d o ig t, et
1 inséra dans la bouche d’un serpent qu’il tenoit à la main : notre collègue fut
frappé de surprise en y sentant des dents très-fines et fort aiguës. Il est vrai que
tout cela pourroit s’expliquer en partageant l’opinion de Pococké : ce savant
voyageur prétend qu’il n’y a point de serpens venimeux en Egypte. Mais cette
assertion est-elle fondée! et la vipère commune, la vipère à cornes sur-tout,
reptiles si dangereux en Europe, le sont-ils moins en Afrique! cela ne paraît pas