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D e s D roits civils.
. P R O P R IÉ T É .
L ’u n e des institutions les plus patriotiques, celle qui contribue sur-toutàl
attacher les citoyens au sol qui les a vus naître, est sans contredit le droit de pro-j
priété, ce droit naturel que tous les législateurs ont consacré, et que des barbares!
seuls peuvent méconnoître ou violer. Les tyrans de l’Égypte, en foulant aux pieds!
tout principe de sagesse et de justice, n’ont pas respecté ce privilège sacré, qui est]
tout ensemble la base et la garantie du bonheur social. Plus de cultivateurs intléj
pendans sur les bords du Nil : des laboureurs mercenaires, ou des esclaves écrasés!
sous le poids des plus odieuses vexations, y défrichent à regret quelques terres ri J
veraines, dont ils ne doivent pas recueillir les fruits. Cette riche vallée du Fayoum I
ces plaines fécondes du Delta, si productives sous les Pharaons, sous les Ptolémées I
et même sous la domination Romaine, rapportent à peine le quart de ce quelle!
prôduisoient autrefois. II est facile de découvrir les causes d’un changement si|
déplorable. C e n’est pas à la nature ou aux révolutions des siècles qu’il faut s’e j
prendre; le fleuve est toujours le même; e t, comme jadis, ses débordemen!
périodiques viennent tous les ans féconder la vallée d’Égypte : mais l’espéranc!
ne vient plus animer le zèle du laboureur, ni relever son courage ; il sait main!
tenant qu’un étranger farouche doit recueillir le prix de ses sueurs : que lui ser-l
viroit-il de faire des plantations nouvelles, puisque ni lui ni ses enfans ne doivent*
en jouir! Il ensemence avec dégoût, récolte avec crainte, et s’efforce de dérobe«
aux regards avides de ses oppresseurs la foible portion de grains qui doit fourni«
aux besoins de sa nombreuse famille. Dans cette malheureuse contrée, le paysan!
n’est pas propriétaire, ne peut jamais le devenir : il n’est pas fermier; il est serf-n!
de la faction qui opprime sa patrie : c’est l’Ilote des anciens Spartiates; c’est les*
clave infortuné des colons de l’Amérique.
L a division des terrains en Egypte est en rapport avec le nombre des villages!
chaque bourgade possède un espace plus ou moins étendu de terres cultivables!
et cet espace est partagé.en vingt-quatre parties ou qyrât. Dans toute la vallée il!
peut y avoir de deux mille cinq cents à trois mille villages grands et petits, savoir!
quatre cents de Syène à Minyeh, cinq cents deMin yeh au Kaire, y compris lel
Fayoum, six cent soixante dans le D e lta, et mille dans les autres lieux (i).
Quelques individus; sous le nom de moultczim, ont la propriété effective d *
territoire de ces villages.: les fcllâ h sont censés la partager entre eux; mais voici
à quoi se réduisent les droits de ces derniers, et ce qui constitue la propriét®
des autres.
(i) Cette dernière évaluation est peut-être exagérée, et l'Egypte, à la suite du Mémoire sur la population conm
celle du Delta un peu trop foible. Voye^, pour plus de parée de l'Egypte ancienne et de l'Êgypte moderne, Par|
détails, le Mémoire de M. Jacotin sur la superficie de M. Jomard.
Le propriétaire d’un nombre quelconque de qyrât p e rço it, sur le cultivateur
qui les fait valoir, une redevance fixe dont le montant a été déterminé autrefois ■
cette espèce de taxe est enregistrée sous le nom de mâlel-hourr [. ) ; ce qui signifie
¡roit libre. Indépendamment du mal él-hourr, auquel les lois assujettissent le fellàh
moultezim 1 ont encore surchargé d’une foule de taxes arbitraires, qui n’exis-
toient point d’abord, ou que l’on regardoit tout au plus comme des présens
d’usage ; ils sont devenus obligatoires avec le temps, et les autorités du pays
avoient récemment consacré leur légalité : c’étoient des droits exigibles, des impositions
réelles, enregistrées et perçues avec la dernière rigueur.
La somme de tous ces droits, que les habitans s’accordent à regarder comme le
résultat de l’oppression de leur patrie, se nomme barrâny (2), ou étranger : ces mêmes
taxesportentaussi Je nom de moudâf, ou augmentation en sus,comme pour désigner
quelles sont indépendantes des autres redevances, e t, pour ainsi dire, surajoutées
aux impositions Régales. L e moultezim perçoit donc tout ensemble, et le mâl el-
hourr et le barrany : c est avec cela qu’il paie le myry, imposition fixe et établie
parun ancien règlement (3). Elle est prélevée au nom du Grand-Seigneur par le
fonctionnaire qui Je représente. Les Égyptiens la supportent plus patiemment que
les autres, parce qu elle est à leurs yeux comme le témoignage de la souveraineté
du sultan, et qu’elle a une sorte de caractère légal.
Ce qui reste du mal el-hourr après avoir payé le myry, forme ce que l’on
nomme le fâ y z (4) : ce reste et le barrâny composent la somme des bénéfices
du moultezim. II est vrai qu’il doit encore prélever là-dessus plusieurs frais d’ad-
mmistration qui sont tous à sa charge; mais il n’alloue rien aux fe llà h , ni pour
indemnité de culture, ni pour journées de moisson.
Un cultivateur transmet à ses enfans le droit d’ensemencer la terre qu’il a fait
valoir. Ceux-ci doivent préalablement payer au moultezim une espèce de droit
dinvestiture. On regarde ce droit comme un présent consacré par l’usage, et les
fiali Iacquittent rarement, bien que le moultezim soit autorisé à l’exiger. Cette
nouvelle taxe peut monter jusqu’à trois fois le revenu du terrain en culture; c’est
a la délicatesse du moultezim de la modifier, ou même de la réduire à rien, si la
tene est d’un foible rapport. Mais, si le fellàh qui doit hériter, refusoit de payer
malgré les sommations du propriétaire, celui-ci pourroit l’y contraindre, en lui
refusant la ,ouissance de la ferme paternelle. Voilà de quelle manière et à quel prix
m aboureur Egyptien peut léguer à ses enfans son malheureux héritage.
Il est inutile de faire observer, d’après ce que nous venons de dire, qu’un
, n a Pas ,e pouvoir de vendre la terre qu’il cultive, puisqu’il est vrai qu’il
nCn 3 pas ,a ProPriété réelle ; cependant il est libre de l’engager pour un temps,
« conserve toujours le droit d’y rentrer. Lorsqu’il est insolvable, le moultezim le’
«e devait les autorités judiciaires, et prouve par témoins qu’il ne peut rien
tenir de lui : alors le malheureux est dépossédé ; son seigneur a la faculté de
M J L (3) Le myry se paie en nature ou en argent ; dans la
(2) haute Egypte, on le paie partie en nature.
, (4) C ’est-à-dire, excédant.
S * t o m e I I , s , partie. • P p p i