L ’histoire conserve le souvenir de quelques années désastreuses où la crue
manqua absolument et naturellement sans doute ; mais ce qui paroît donner de I la force à l’opinion o ù l’on est sur la possibilité de détourner le Nil et de le|
je.ter dans les vastes déserts de l’Afrique, ce sont les faits mentionnés dans les cita I
tions suivantes.
Savary, dans ses Lettres sur l'Egypte, tome II, page 18 7 , rapporte ce passageI
d’Elmacin ( 1 ) :
, « L ’an 1 10 6 , pendant le règne d’Elmestensor, sultan d’Egypte , l’inondation!
» manqua absolument. C e prince envoya M ich é l, patriarche des Jacobites, vers!
» 1 empereur d’Ethiopie, avec de magnifiques présens. L e roi vint à sa rencontre I
» lui fit un accueil favorable, et lui demanda le sujet de sa mission. L e patriarche!
» lui répondit que le défaut de la crue du Nil l’avoit amené, et que cet événe-l
» ment, qui faisoit craindre aux Egyptiens les horreurs de la famine, les jetoitl
» dans la consternation. Sur ces remontrances, l’empereur fit couper une diguel
» qui détournoit le fleuve; et les eaux, reprenant leur cours ordinaire, montèrent!
» de trois coudées en un jour. Michel revint de son ambassade, et fut reçu avec!
» de grands honneurs. »
Bruce nous fournit un nouveau fait historique sur de semblables tentatives de|
la part des Abyssins. «Vers l’an 120 de l’hégire [7 3 8 de J. C . ], Lalibala, ([ui|
» régnoit en Abyssinie, entreprit de réaliser la prétention favorite qu’ont lea
» Abyssiniens, de pouvoir changer le cours du Nil ( 2 ). »
Ces faits, s’ils sont exacts, confirmeroient donc l’opinion de la possibilité de!
détourner le Nil, à l’immense préjudice de l’Egypte : mais peut-être seroit-il posa
sible aussi, dans un but contraire, dé ramener dans le Nil quelques rivières quia
coulent et s’épuisent aujourd’hui dans les déserts de l’A fr iqu e , e t , en- concertant!
ces opérations avec les souverains des contrées supérieures, d’assurer une inona
dation toujours bonne pour l’Egypte, et de trouver même, dans la surabondance!
des crues, des moyens d’accroissement de son territoire, en portant des eauxsul
les points nombreux du désert susceptibles d’en recevoir, et d’y établir ou crée!
des oasis.
E poque des Crues.
I l paroît, d’après le témoignage des anciens, et notamment d’Hérodote, q u i
avoit interrogé les prêtres sur la nature de ce fleuve, qu’il étoit reconnu que sel
crues périodiques avoient lieu constamment au solstice d’été ; les modernes re-I
gardent aussi le mois de juin comme le temps le plus ordinaire où commence!
la crue du Nil ; c’est vers l’équinoxe d’automne qu’il commence à décroître. Mais!
pour que les crues aient lieu à cette époque en Egypte ( à la latitude du Kaire)!
il faut qu’elles aient précédé de soixante-dix à quatre-vingts jours, vers leur source*
le temps du solstice. Cette époque est assez constante; cependant on a conserve!
le souvenir de crues infiniment tardives, qui ont eu des effets désastreux.
(1) Sous l’empire d’Abou’l-Qâsem, quarante-huitième (a) Voye^ Bruce, Voyage en Nubie et en AbysnnuM
khalyfe depuis Mahomet. tome I.er, pag. 609.
Les Qobtes, ignorans et superstitieux, admettent pour cette époque le 20 juin,
et croient quelle est annoncée tous les ans par ce qu’ils nomment noqtah, la
goutte, quils prétendent tomber la nuit qui précède ce jour, et qui est précisément
celle de la Saint-Jean; ils croient que cette goutte (qui n’est autre chose
qu’une rosée ) purifie l’air, chasse la peste et présage une heureuse crue du Nil :
toutefois, il est vrai que des rosées fort abondantes précèdent annuellement la
crue et qu’elles opèrent un effet salutaire.
On sent assez qu’il est impossible d’observer une marche régulière dans le
phénomène des crues, parce qu’il est dû à des causes infiniment variables, qui
sont l’époque, l’abondance et la durée des pluies, la force et l’inconstance des
vents. Le Nil, au reste, n’est pas le seul fleuve qui croisse en été ( 1 ) ; l’A frique
et l’Inde ont aussi des fleuves sujets au même phénomène.
Cause des Crues.
Nous n entreprendrons pas de réfuter ni même d’énoncer diverses opinions
erronees des anciens sur les causes des débordemens annuels du Nil ; on sait
positivement aujourd’hui combien sont abondantes les pluies qui tombent tous les
ans, et dans la merne saison, sous la zone torride ; que ces pluies sont dues aux
nuages formés sur la Méditerranée et portés à cette latitude élevée par les vents
qui soufflent annuellement de la région du nord à des époques assez constantes.
Les pluies seules font donc naître les debordemens du N i l , qui ont lieu, comme
•on la déjà exposé, à peu près à la même époque ; quant aux variations, elles sont
dues a un concours de causes et de circonstances physiques qui ne se trouvent
jamais réunies de la même manière.
H auteur et D urée des Crues.
Nos observations pour connoître la hauteur effective des crues ont fait voir
que ces crues, qui s'élèvent de 20 , 24 coudées et plus, dans la haute Egypte,
sont réduites à 15 vers le Kaire, et à - 2 seulement vis-à-vis de Rosette’ et de
Damiette.
Le sol des rives du fleuve, graduellement é le v é , suit assez bien la pente superficielle
des eaux : mais cette pente varie suivant que le lit du fleuve est
ouvert ou resserre, et qu il éprouv e, dans ses sinuosités, plus ou moins l’influence
des vents; car la vîtesse, dans une sinuosité qui porte le courant à l’est,
peut être accélérée par un vent d’ouest, quand le même Vent tend à la diminuer
la ou le courant prend une direction contraire : or il faudroit admettre une direction
rectiligne, une section uniforme et constante du lit du fleuve, pour que
les vents, dans leurs variations, imprimassent une vîtesse qu’on pût calculer dans
ses rapports avec la pente et la résistance du terrain, qui constitue le régime;
nais ¡1 n est pas dans la nature de satisfaire à toutes ces conditions hypothétiques.
(■) Lépoque des pluies, dans l’Abyssinie, constitue l’hiver des peuples qui habitent cette contrée.