prédications des mosquées avec beaucoup de dévotion, ou bien ils se livrent au
travail et souvent au sommeil. L a nuit, les rues sont illuminées et bruyantes :
ils s’y rassemblent en beaux habits de fê te , se régalent de pâtisseries et de mets
sucrés, et se livrent à toute sorte d’amusemens. Les boutiques, qui ordinairement
s’ouvrent de très-grand matin, ne sont ouvertes que fort tard pendant ce mois.
Une foule immense se répand dans les rues; des hommes chantent à haute voix
des passages du Q o rân , accompagnés des sons discords des tambours et des hautbois.
L e ramadan commence à la nouvelle lune de ce nom ; une procession
solennelle l’annonce deux jours d’avance : elle consiste en une grande foule
d’hommes dont les uns portent des flambeaux, et les autres, des bâtons avec lesquels
ils font divers exercices. Des chameaux portant des musiciens qui frappent
sur des tambours de métal, ouvrent la marche ; d’autres musiciens montés sur
des ânes frappent aussi des tambours, ou bien jouent de quelques instrumens à
vent, les plus criards qu’on puisse imaginer : viennent ensuite des hommes vêtus
de rouge, portant des bonnets élevés avec une draperie blanche qui retombe sur
le dos, et le front du bonnet garni en cuivre, costume analogue à celui des janissaires;
des cheykhs montés sur des chevaux richement caparaçonnés terminent la
procession.
L e grand Beyrâm, ou la grande fête, E ’y d el-Kebyr, dure trois jours : pendant ce
temps le peuple se porte en foule à Qâyd-bey pour adorer les tombeaux. Cette
fête est analogue à notre jour de l’an; dès le matin, les gens de service viennent
saluer leur maître et lui souhaiter mille prospérités, en invoquant le prophète en sa
faveur ; après quoi on leur donne la pièce. On se rend en affluence dans les mosquées.
Pendant cette fête sur-tout, on mange beaucoup de viande; cette occupation
en est, pour ainsi dire, la principale cérémonie. A us si, dès la ve ille , les bouchers
débitent une quantité extraordinaire de moutons. Toutes les boutiques sont fermées,
et les habitans sont assis au-devant de leurs maisons en habits de fête. Dans les rues
populeuses, ce sont deux lignes continues d’hommes accroupis, presque tous à la
même hauteur et dans la même position, et tous fumant dans de longues pipes: en
outre, il y a les promeneurs qui garnissent le milieu dè la rue. Les cafés sont aussi
remplis; on y entend de la musique, ainsi que des poètes et des improvisateurs.
Voilà à peu près en quoi consistent les fêtes des musulmans.
L a fête de Mahomet dure plusieurs jours. J’ai vu pendant ce temps toutes les
rues illuminées : dans la place Ezbekyeh, on éleva des mâts avec une foule de
pavillons rouges et verts. Il y avoit des tentes dressées. L e quatrième jour de
la fê te , on t ir a , au coucher du soleil, cinquante coups de canon ; à la nuit
les derviches se rendirent dans la place. Ces pieux musulmans formèrent des
cercles où ils s’assirent accroupis et marmottant des prières ; ils' firent mille
contorsions en portant la tête à droite et à gauche avec un mouvement de plus
en plus rapide, et faisant un bruit semblable aux gémissemens d’un animal. Cet
exercice est très-pénible, même pour les spectateurs ; les plus foibles d’entre
eux ont bientôt succombé : aussi le cercle se rapetisse de plus en plus, jusqu’à ce
qu un dévot reste tout seu l, après avoir continué ses mouvemens sans s’arrêter
une seconde : c e lu i-c i prend alors le titre de santon ou de saint. On voit
dans la place une grande quantité de pareils cercles. Cette fête attire une très-
grande affluence ( t ).
L a fête de Fatmeh [Fatime], la fille de Mahomet, dure aussi trois jours. Pendant
ce temps, les boutiques restent ouvertes et éclairées toute la nuit. L e jour que
je vis célébrer cette solennité, le cheykh Sâdât, cheykh de la mosquée de Fatmeh,
fit faire de grands préparatifs ; la mosquée et tout le quartier étoient illuminés, ainsi
que la rue du vieux Kaire. Les illuminations des particuliers sont plus belles et
plus riches que chez nous. Un misérable marchand de dattes a devant sa boutique,
qui n’a que y pieds de face, jusqu’à quinze ou vingt lumières : ce sont de petites
lampes en verre de diverses formes. Qu’on juge du coup-d’oeil d’une rue marchande
ainsi illuminée. L a maison du cheykh Sâdât, vis-à-vis de la mosquée,
avoit des pièces de feu considérables, c’est-à-dire, de grands cônes ou pyramides,
divisés par tablettes toutes percées de lampes. L a ferveur étoit extrême : j’ai vu
plusieurs fois des musulmans toucher de la main le mur extérieur de la mosquée,
la porter ensuite à la bouche, la baiser et la mettre sur le coeur. Lès rues étoient
garnies comme les nôtres pendant les jours de foire. On voyoit des boutiques
ambulantes enjolivées de papiers bleus et blancs, couvertes les unes d’oranges, et les
autres de sucreries et de pâtisseries. L’objet de la vénération étoit le tombeau de
la fille de Mahomet; quelques fidèles musulmans, dans un accès de dévotion,
alloient jusqu’à verser des larmes.
La fête de Seyd Zeyneb et de Sitty Zeyneb se célèbre aussi par de grandes
illuminations. L e premier jour, à neuf heures du soir, une procession se met en
marche; à sa tête sont des gens portant de grands flambeaux, c’est-à-dire, des
cages de fer où l’on brûle des bois résineux élevés au haut d’un bâton ; viennent
ensuite des chanteurs et des joueurs d’instrumens ; les porte-flambeaux et les musiciens
se succèdent ainsi plusieurs fo is ; après eux viennent soixante à quatre-
vingts personnes portant des pyramides de lampes, de 6 pieds de haut, et qui en
contiennent plusieurs centaines. Ces hommes sont entremêlés de dévots qui gesticulent
et qui suivent la procession en chantant des versets du Qorân. A la fin
viennent douze hommes habillés en blanc et en turban blanc. L e grand cheykh
de la mosquée termine la marche. Ces pyramides illuminées produisent beaucoup
d’e ffet, sur-tout à cause de leur mouvement continu. Il faut convenir que les illuminations
des Égyptiens l’emportent, à certains égards, sur les nôtres; au lieu
d’être fermées, toutes les boutiques sont ouvertes, et, au lieu d’un ou de deux
lampions, comme on le voit devant nos boutiques , il y en a toujours huit à
dix et quelquefois le double. L a mosquée de Sitty Zeyneb étoit ornée d’une
( i ) Je citerai un trait puisé littéralement dans mon » s’est fait lier par le corps et descendre dans le puits; il
journal de voyage. * » a saisi l’assassin et s’est fait remonter avec lui. Interrogé
« Ce matin, un Turk, inspiré de Mahomet, et pour »s’il avoit eu des intelligences et si ce meurtre étoit lié
»célébrer la grande fête, a assassiné un jeune Français, »à une conspiration, le Turk a répondu tres-srmplement
» tambour de la 32.*' demi-brigade, en lui tirant un coup »que, le matin, il avoit reçu du prophète une inspiration,
» de pistolet, et en l’achevant d’un coup de sabre : celui- »et qu’il avoit cru devoir faire le sacrifice d un Français
»-ci étoit avec deux autres Français, comme lui sans *»pour célébrer dignement la sainte fete d aujourd hui.
‘ » armes, et qui n’ont pu ni le défendre ni le venger. L’as-' » Les Grecs se sont bien montrés dans cette affaire comme
»sassin, se croyant poursuivi, a pris la fuite et s’est »dans toutes les autres : ce sont des hommes de courage
»réfugié dans un puits. Des Grecs ont couru pour le » et d’un attachement sûr. Ils se battent contre les Arabes
»saisir : étant arrivés à la maison où il étoit, un d’eux » Bédouins et en purgent les abords du Kaire. »
É. M. TOME II, a.c partie. Aaaaa 2