§. V . .
Littérature et Poésie.
L a littérature Arabe est trop peu connue en Europe pour qu’on se fasse une
idee juste du grand nombre d’écrivains célèbres qui se sont distingués dans tous le
genres ( i ). A l’exception de quelques savans orientalistes, aux soins desquels nous
devons déjà la connoissance de plusieurs ouvrages de ces peuples, il est peu <[e
personnes qui soient en état de les juger. Cependant les Arabes ont cultivé de
tout temps la poésie, dans laquelle ils ont excellé ; la grammaire et la rhéto.
rique, dont ils ont fait une étude approfondie; la théologie et la morale : leurs ouvrages
en médecine, en histoire et en géographie, jouissent encore aujourd’hui
d une réputation méritée (2). A v e c un idiome dont la richesse, la précision et lai
beauté l’emportent sur toutes les autres langues Orientales, on ne s’étonnera pas]
que les poètes Arabes aient obtenu les plus brillans succès. Mais notre plan ne I
nous permet pas de nous étendre beaucoup sur la littérature ; et nous nous borne-1
rons à la langue dans ses rapports avec les moeurs, et dans son application immc-1
diate aux affaires et aux habitudes de la société.
Dans les divers pays de l’Orient où la langue Arabe est en usage ; elle éprouve I
quelques légères modifications, soit dans les locutions familières, soit dans la pro-1
nonciation de quelques-unes des lettres de l’alphabet. Les habitans du Kaire, qui I
ont la réputation de parler l’arabe avec beaucoup d’élégance et de grâce, modi-l
fient le son de plusieurs consonnes, et les rendent autrement qu’en Syrie et en I
Arabie.
Cette différence se fait sur-tout sentir dans le et le £3 : le £7 gym, qui par-1
tout ailleurs a la valeur du g Italien dans le mot giorno, ou du g Français dans le I
mot genou, se prononce en Egypte comme dans les mots guerre, gain, garçon. '<
Quant à la lettre £5 q â f, qui a ordinairement le son d’un K guttural, elle ne I
se fait presque pas sentir dans la bouche des Égyptiens : on n’est averti de son I
emploi dans un mot que par une sorte de suspension ou A’hiatus qu’ils laissent I
entre la syllabe qui précède le £5 et celle dont il fait partie. Les habitans de la haute I
Égypte lui donnent au contraire le même son que les Barbaresques ; ils le pro-1
noncent comme notre g dans le mat gain (3).
Nous venons de dire que les Arabes ont excellé de tout temps dans la poésie; ce I
goût se manifeste encore aujourd’hui dans les différentes classes de la société. En I
Égypte, les gens du p euple, les enfans même, sont sensibles à l’harmonie du rhythme I
( i ) On peut consultera cet égard les ouvrages nombreux
écrits en arabe et dont la bibliothèque du Roi possède
une riche collection. On verra que les Arabes se sont particulièrement
occupés de la théorie de leur langue, et que
la grammaire est devenue chez eux une science qui demande
une étude spéciale.
(2) Ceux des auteurs Arabes qui ont acquis en Europe
le plus de célébrité, sont el-Haryry, eI-Gohary,eI-Fyrou-
zabâdy-, Ebn-Synâ connu sous le nom d'Avicenne, el-
Makyn connu sous le nom d’Elmacin, Ebn-Klialdoun>
el-Fardy, el-Motanabby, et les géographes Ebn-Houqal,
Abou’I-fedâ, Maqryzy, Edrycy, &c.
(3) On peut donc envisager trois manières de prononcer
cette lettre dans un même mot. Le mot «yv, pJf
exemple, qui signifie une vache, sera prononcé batjarak \
par les Syriens ; ba-arah, par les habitan's de la basse
Egypte; bagarah par les Egyptiens-du Sa’yd et les Barbaresques.
et
et au retour des memes consonnances. Les ouvriers de toutes les professions
savent égayer leurs travaux par des chansons particulières à leur métier. Le
propre de ces chants est de régulariser les mouvemens des travailleurs, et de
ren d re leurs efforts moins pénibles. O n se tromperait toutefois/si l’on cherchoit
dans ces refrains populaires la sévérité des règles de la poésie Arabe (1). Parmi
(1) Les règles de la versification Arabe sont extrêmement
compliquées, relativement à celles de toutes les
poésies connues : non-seulement les vers Arabes doivent
a v o i r la rime, la mesure, et ladivjsion par hémistiches,
comme les vers Français > mais ils sont encore soumis à ’
la quantité d’ùne manière à peu près analogue à la prosodie
des vers Latins.
11 y a en arabe seize modes ou mesures de vers. Chacune
de ces mesures porte le nom générique de bahr
ou mer, et a un paradigme ou type emprunté, comme
toutes les autres formes de la langue grammaticale, au
verbe J*>, et sur lequel on doit mesurer les vers que
l’on compose. L’hémistiche se nomme mesrâa’
(ce mot signifie l’un des deux battans d’une porte ) ; deux
hémistiches forment le vers, et sont désignés sous le nom
de beyto-td ou maison. L ’action de scander un vers s’appelle
taqty’ , de çk i’ qatta’, qui signifie couper par
morceaux; ce qui correspond assez bien au sens du'verbe
scander appliqué à la poésie Latine.
Je vais donner ici la mesure des seize modes de la poésie
Arabe, avec les noms particuliers qui leur sont assignés
par nos rhéteurs, et qui-ont trait pour la plupart au plus
ou moins d’étendue ou au plus ou moins de rapidité de
chaque mètre.
I. Mesure du bahr J j \^a taouyl, long:
fcrS6- 0^*3 ( pris deux fois. )
II. Mesure du bahr màdyd, prolongé :
( pris deux fois. )
III. Mesure du bahr bacyt, étendu :
l;ylçü» ( p ris d e u x fo iS. )
IV. Mesure du bahr ouâfer, abondant:
^jxlclio^pris six fois.)
V. Mesure dù bahr Jj>Ÿkâmel, complet :
¿ylçlàxo ( pris six fois..)
VI. Mesure du bahr hazeg, propre au chant :
( pris six fois. )
VII. Mesure du bahr r a g e tremblotant :
( pris six fois. )
VIII. Mesure du bahr ramel, accéléré :
^j'^ULs (pris six fois.)
X. Mesure du bahr çJ j— sary*, rapide :
o V j ( pris deux fois. )
X. Mesure du bahr monsareh, errant, libre
tons sa course :
( pris deux fois. )
XI. Mesure du bahr k h a fy f, léger:
y j jU b ( pris deux fois. )
¿ M . T O M E I I , i.* partie.
XII. Mesure du bahr modâre1, ressemblant,
ainsi appelé à cause d’une ressemblance dequantité qu’il
a avec le bahr monsareh.
QjJiiUli jjljçüu (pris deux fois.)
XIII.^ Mesure du bahr moqtadeb, coupé :
jjAfcixuu» ( pris deux fois. )
XIV. Mesure du bahr mougtatt, qui signifie aussi
coupe, arraché, extrait *.
¿jviUli ( pris deux fois. )
XV. Mesure du bahr cjjULCe motaqâreb, rapproché,
ainsi appelé à cause du rapprochement et de la brièveté
des pieds qui le composent :
( pris huit fois. )
XVI. Mesure du bahr cîIjÎdx« motadârek, c’est-à-dire,
qui atteint, qui suit les autres mètres , qui vient à leur
Suite; ainsi appelé parce qu’il est le dernier dans l’ordre
adopté par les Arabes :
(pris huit fois.)
Ce seizième bahr n’est point admis par la plupart des
grammairiens, qui n’en reconnoissent que quinze..
Tels sont les seize mètres réguliers de la versification
Arabe. Si ces types primitifs avoient été fidèlement observés
dans l’application, le système de la prosodie Arabe eût
offert toute la simplicité de la méthode des Latins. Malheureusement
chacune de ces mesures primitives est susceptible
d’un assez grand nombre de modifications; et
ces modifications, qui, dans le principe, ont dû être regardées
comme des licences, et qui ont reçu de l’usage
une sorte de sanction, sont devenues autant de variantes
licites du mètre régulier ; elles en ont même usurpé
la place dans plusieurs bahr, dont la mesure primitive
n’est jamais employée dans toute son intégrité.
Les huit mots factices j
, ^xAcliu*, ¿AcUx*, o 'ÿjaÀ* , qui concourent
à former les différons modes, se nomment les parties du
mètre ,^J[ (j^I, et au singulier, ga^.
Les divers groupes de lettres < _ j e t de motions
> dont se compose chaque ga%, sont désignés par
les Arabes sous les noms de cordes, et de il Sji
* Ce bahr est ainsi nommé, disent nos rhéteurs, soit parce
que les poëtes ne l’emploient qu’en supprimant le dernier ¿Jsàlc l i
de chaque hémistiche, soit parce qu’ainsi réduit il semble extrait
du bahr khafyf, dont on auroit supprimé Je premier q Î\}ülà
dans les deux hémistiches. Il en est de même du bahr moqtadeb,
coupé : cette dénominauon lui vient de ce que, dans l’usage,
chacun de ses hémisdehes perd son dernier Al-bv*.. , et qu’alors
il semble formé du bahr monsareh, dont on auroit retranché le
premier dans les deux hémistiches.
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