Si nous en croyons l’auteur de l’ouyrage Arabe manuscrit que nous avons cité
page 666, ce fut un sentiment de jalousie contre les Abassides qui décida le khalyfe
Mo’ezz le-dyn-allah à bâtir le Kaire. Ils avoient élevé , la ville de Baghdâd et y
avoient prodigué la magnificence; le Fatimite voulut l’effacer par la splendeur de
sa nouvelle ville, et fit construire par le même motif la süperbe mosquée el-Azhar,
pour rivaliser avec les plus grands édifices de Baghdad. Son vizir Gouhar jeta les
premiers fondemens de la ville, et construisit le bâtiment appelé el-Qasreyn [les deux
palais], dont j’ai retrouvé et indiqué plus haut la localité ( i ). Comme il bâtit aussi
la mosquée el-Hakim, on voit combien fut étendu, dès l’origine, l’emplacement
de la vilie du Kaire; car le quartier de Touloun et celui d el-Hakim sont encore
presque aux deux extrémités sud et nord de la ville.
On commença à bâtir le quartier au nord de Fostât, occupé aujourd’hui par j
la mosquée de Toiiloun. L e personnage connu sous le nom d'Ahmed, ben- \
Touloun étoit gouverneur vers l’an 254 [868 ]. Il avoit lui-même construit en
cet endroit un palais et un faubourg , nommé el-Qâtaya ou Aqâtaya’ [ des j
fiefs ou apanages] (2). Cependant quelques-uns prétendent que son palais étoit j
au pied du château actuel, dans l’emplacement d’el-Roumeyieh. L ’histoire ne
fait pas bien connoître les agrandissemens successifs du Kaire; mais comme, dans
le §. II, nous avons rapporté l’époque de l’érection d’un grand nombre d’édifices,
et qu’à mesure qu’on élevoit des mosquées ou d’autres monumens, les habitations j
se bâtissoient nécessairement aux alentours, on a le moyen, en comparant le !
plan du Kaire à ces renseignemens, de connoître quelle est la date approchée de
la construction des différens quartiers.
L e bourg el-Gyouchy ou el-dyn Gyouchy, à l’est, fut bâti environ cent trente
ans après, entre 48 7 et 495 [ 1094-1 101 ] , par le vizir ei-Afdâl, fils de Bedr j
el-Gemâly, sous le khalyfe Abou-l-Qâsim A hm ed , surnommé el-Mouste’ali-
billafi. C e quartier extérieur étoit situé sur la partie basse du mont Moqattam:
voilà la limite orientale du Kaire.
L e château, comme on l’a dit plus haut, fut construit sous Saladin, vers l’an 570 !
[ 1 1 7 4 ] ; le principal rempart qui environne le Kaire le fut en 572 [ 1176],
ainsi que l’enceinte (que nous n’avons plus retrouvée) dont faisoit partie la porte
dite Bâb el-Bahr, ou porte du Nil : voilà encore une limite du Kaire, celle du côté
du couchant. C ’est le vizir Boha el-dyn Qarâqouch qui fit exécuter tous ces grands
travaux. Ainsi, depuis l’an 1 ï 76 jusqu’à nos jours, le Kaire n’a pas eu d’accroissement
notable, si ce n’est le prolongement du quartier el-Hasanyeh; en deux siècles
il avoir acquis les mêmes limites qu’il a de nos jours. Mais, dans l ’intervalle qui s’est
écoulé, ce grand espace a été rempli par une foule de quartiers, de rues, de
monumens et de jardins. Niebuhr (3) a déjà observé que, du temps de J. Léon,
( I ) Voyez pag. 687, note 5. Le palais dü vizir, dâr
el-Ouizyrah, étoit situé clans Derb el-A’sfar. Voyez pl. 26,
£. M. vol, J ( n.°* 321 et 32.4 > G*5}.
(2) Iqtâa’ , pluriel aqtâ’ât et aqâtaya'’ , , 'et
0 UiUas!, çJsU'f, c’cst-à dire, apanages.
Voye^ le Mémoire 'de M. de Sacy s u t le droit de propriété
en Egypte, tiré des Mémoires de Vacadémie des
inscriptions et belles-lettres, pag. 70, 132, 135, 142, 189.
(3) Niebuhr a donné un petit plan du Kaire, qui,
vu les -moyens qu’il avoit à sa disposition , est aussi exact
qu’il pouvoit le faire : l’inspection seule du plan actuel
explique assez combien l’exécution du sien a été pénible
pour lu i , et pleine de difficultés insurmontables, qui
rehaussent le mérite de ce voyageur estimable.
la partie en dehors de Bâb el-Nasr étoit regardée comme un faubourg extérieur à la
ville, et même que ce qui est entre la porte intérieure, Bâb el-Zoueyleh, et le
château, c’est-à-dire, un huitième ou un dixième de la ville actuelle, étoit aussi
compté comme un faubourg : le prince Radzivil, dans sa Description du Kaire ( i ),
a fait aussi cette dernière observation. Dans ce cas, on peut demander ce que
sont devenus aujourd’hui les murs d’enceinte qui partoient de cette porte intérieure.
El-Qarâfeh étoit autrefois un faubourg; il a été presque tout entier converti
en cimetière. C ’est là qu’est le tombeau du fameux hnâm Cha’fe y , comme je l’ai
dit ailleurs : on sait qu’il fut le chef de la secte des Sunnites.
On ne communiquoit pas facilement de la partie sud-ouest du Kaire à l’ancienne
ville de Fostât ou le vieux Kaire, à cause du canal. C ’est pour y remédier que
le double pont appelé el-Sebâa, ou des Lions, fut construit, vers 669 [ 1270 ], par
le sultan Beybars,. prince Mamlouk, qui se signala par la construction de plusieurs
canaux et par un grand nombre de travaux utiles.
Un plan du Kaire très-ancien, qu’on croit gravé en 1593 , m’a paru assez curieux
pour être cité ic i; il porte ce titre: L e g r a n d C a i r e , Cairus quce olim Babylon,
Ægypti maxima urbs. C ’est une perspective cavaliere, longue d environ un demi-
mètre, dont le champ s’étend depuis les pyramides jusqua 1 obélisque d Heliopolis.
L ’auteur a rapproché ainsi du Kaire ces divers monumens, afin de les comprendre
sur une même feuille, sans avoir égard à l’échelle. Cependant la ville actuelle s y
reconnoît assez bien,avec ses principales ru e s , sa grande place Ezbekyeh pleine
d’eau, ses canaux, ses ponts, les portes el-Nasr et el-Fotouh. II en est de meme de
ses environs, Boulâq, le vieux Kaire, 1 aqueduc, 1 île de Roudah. Cette île porte
le nom de Cerbicum insula; ce qu il y a de remarquable, c est qu on a figure la
colonne nilométrique, non pas dans 1 île de Roudah,-mais dans une petite île
plus au sud, correspondant à Gezyret Terseh. La ville de Gyzeh n existe pas sur
ce plan. La grande île de Boulâq n’étoit pas encore formée. La plaine entre le
Kaire et le Nil étoit alors plus couverte de constructions que lors de l’expédition
Française; le quartier el-Hasanyeh etoit deja construit, et le palais du sultan
Qansou el-Ghoury occupoit l’angle nord-est de ce quartier : la gravure, quoique
bien incorrecte, prouve quii étoit tres-etendu et magnifique. L e Adorestan, c est
à-dire, l ’hospital où les pauvres sont hébergez, et est de tres-grand revenu (eest 1 inscription
que porte le plan ), étoit au dehors et à l’est de la v ille , non loin des
tombeaux, dans.la direction du mur d’enceinte qui renferme les portes de Nasr
et de Fotouh; c’est un fait (supposé que le tracé soit conforme aux lieux pour
le temps) dont je n’avois trouvé de traces nulle part. Depuis l’époque du plan,
la vilie du vieux Kaire s’est étendue au sud ; car il ne présente aucune maison
au-delà de l’aquéduc. Les exercices des Mamlouks n’avoient pas lieu alors au sud
de la ville de Boulâq, par la raison que j’ai dite tout-à-l’heure ; mais ils se faisoient
dans une plaine située au noi'd de cette v ille , et il paroit qu un autre spectacle y
attiroit aussi les curieux, car la legende, contient: ces mots : C est ici qu on court a La
lice. A u reste, ce plan présente encore d’autres singularités qui vaudroient la peine
( i ) Jerosol. Peregrinai, princ. Radzivil.