
O n n’aüroit qu’une idée bien imparfaite du ramadân ou carême des musulman I
si l’on prenoit celui des chrétiens pour terme de comparaison. Mahomet s’eJ
montré aussi libéral de promesses pour l’homme vertueux dans l’autre monde I
qu’il a mis de sévérité dans les pénitences annuelles qu’il commande à tous J
disciples dans celui-ci. L e jeûne dure pendant tout un mois lunaire; il arrive
des époques indéterminées, tantôt en été, tantôt en hiver : dans ces deux saisons!
la loi est également rigoureuse ; il faut se priver de toute nourriture depuis |J
lever du soleil jusqua son coucher; on ne peut ni boire ni fumer. Il est facj||
de concevoir toute la rigidité d ’un pareil jeûne, en songeant que, dans unecoj
tree aussi méridionale que l’Égypte, la so if est la plus insupportable de toutes!J
privations. L e moindre exercice altère; cependant les gens du peuple, qui nJ
peuvent se passer d’un travail journalier pour vivre, doivent attendre la fin J j
jour pour se rafraîchir : on voit des portefaix soulever et transporter, comme à l’orl
dinaire, d énormes fardeaux, et travailler d’une maniéré aussi pénible pendant J
plus grande partie du jour, sans qu’une goutte d’eau rafraîchisse leur gorge des*
chéé, sans que le plus petit repas vienne ranimer leurs forces affoiblies par | 1
transpiration et la fatigue. Quand le soir vient, la scène change; ce ne sont p J
les mêmes hommes : la nuit entière se passe en festins, en divertissemens eteol
débauches. Dans la journée, on achève ses affaires le plus tôt possibfe, afin de conl
sacrer quelques heures au sommeil : on voit le cultivateur sous un palmier, ap J
avoir rempli sa tâche dans la matinée; le marchand couché sur le comptoir de3
boutique; les gèns du peuple étendus dans les ruesj et rangés le long des murs d l
leurs habitations, tandis que le riche, également assoupi, attend sur un divni
somptueux le moment qui précède le coucher du soleil.
C e tte heure si ardemment desiree arrive enfin : on se lève avec empressement«
chacun se hate de gagner un fieu élevé; les femmes se réunissent sur les terrasses J
leurs maisons, pour sâssurer plus tôt de l’entière disparition du soleil. 11 comment«
a pâlir, son disque lumineux se cache sous 1 horizon, et ses derniers rayons s’efJ
facent a peine, que le petlple, 1 habitant des palais, les recluses des harems, saluenl
d une voix unanime la fin tardive du jour; des chants de joie annoncent le moment
du plaisir et 1 heure du repas. Toutes les mosquées retentissent des accenl
graves et éclatans des mouczzln, qui appellent le peuple à la prière. C ’est une rul
meur, une agitation générale : bientôt on se divise, les groupes se séparent. Tout«
la population rassemblée se disperse dans lès cafés, clans les maisons, dans lesmosB
quéeS, dans les places publiques; chacun mange avec avidité : les riches font ml
grand festin; et partagent aux pauvres les restes de leur table. On sert indifférai™
ment tous ceux qui se présentent; et cet usage, bien louable sans doute, estei™
vigueur dans tous les états du sultan.
Cependant les jeux ét les spectacles succèdent au repas; la licence la plufl
effrenée regne alors dans les divertissemens qui signalent ces nuits de débauche*
Les mosquees sont illuminées jusquau point du jour; la partie la plus mine du
peuple y passe la nuit en conversations utiles : mais la foule se porte dans lefl
cafés, où les vieillards qui font la profession d’orateur public, racontent avec f o l
des aventures merveilleuses, qui intéressent singulièrement la multitude. On se
presse également à la porte des bains, et c’est là sur tout que se concertent des
parties de plaisir et des rendez-vous amoureux : les hommes attachés aux bains,
gens adroits et habitués à ces sortes d’affaires, sont presque toujours l’ame de ces
i n t r i g u e s . C ’est ainsi que le sexe se venge de son esclavage et de ses tyrans : mais le
plus grand mystère doit couvrir de semblables écarts ; la colère de l’époux offensé
ne connoîtroit point de bornes.
Les places publiques sont les lieux où l’on affiche, pour ainsi dire, le plus honteux
dérèglement : là, des bateleurs représentent des scènes libidineuses, terminées
par des tableaux qui caractérisent, avec la plus grande grossièreté, une étonnante
corruption de moeurs ; les acteurs principaux sont toujours un vieillard et un jeune
e n f a n t , ainsi que nous l’avons dit à l’article des spectacles populaires. Toutefois,
si l’on jugeoit des moeurs de la nation entière par le goût que les gens du peuple
manifestent ordinairement pour ces sortes de spectacles, on s’en feroit à coup
sûr une idée fausse et injuste : l’obscénité de ces représentations n’a d’attrait que
pour la lie du peuple; car en Egypte, comme par-tout ailleurs, le peuple est
avide de voir dans toute leur nudité ces tableaux de la luxure et de la débauche :
il est déplorable seulement que de semblables représentations soient tolérées par
l’autorité.-
On goûte, même dans le sein des harems, les plaisirs du ramadân ; il est alors
permis aux femmes de faire venir les almeh et quelques musiciens. L ’homme
riche, nonchalamment assis sur son divan, la pipe à la bouche, et son épouse favorite
à ses côtés, écoutent avec transport le chant des musiciens et les sons de
leurs instrumens : les deux époux sont environnés de quelques esclaves,, qui se
tiennent debout autour d’eux, ou accroupis sur une natte. On admire la pantomime
de la jeune alm eh, qui figure, dans une danse voluptueuse, les combats de
la volupté et de la pudeur. Une ceinture à peine nouée autour de sa taille légère
est comme l’unique barrière qu’elle veuille opposer aux attaques de l’amour; elle
la serre mollement, et semble obéir à une force irrésistible en dansant au son des
instrumens : mais la ceinture, ébranlée par les mouvemens de la danseuse, se détache
insensiblement; alors la pudeur, un moment assoupie par la passion, se réveille
tout-à-coup; la ceinture protectrice est nouée de nouveau; la danse semble
reprendre alors un caractère plus grave, qui cède bientôt à la vivacité des sensations
auxquelles l’a ’imeli paroîten proie. Les mêmes circonstances se renouvellent,
le foible lien se relâche encore; mais l’amour est victorieux, on ne lui dispute
plus sa conquête : l'almeh succombe enfin à ses émotions; ses mouvemens se ralentissent,
et elle semble plongée dans un ravissement délicieux.. On applaudit
avec une sorte de fureur, et l’effet que cette pantomime voluptueuse produit sur
le spectateur indolent, et sur-tout sur sa compagne, est au-delà de toute expression:
nous avons vu de jeunes femmes tellement émues par ces danses passionnées,
lu elles se levoient hors d’elles-mêmes, joignoient leurs voix à celles des chanteurs
et imitoient les gestes de l’almeh.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur les usages des Égyptiens pendant la
È. M. TOME II, î.® partie. Nnn a