rassura insensiblement ce peuple timoré, qui se rappeloit les violences d ’Hasan-
pâchâ pendant l’expédition de 1786.
Lorsque la domination Française fut établie d’une manière à peu près stable
c’est-à-dire, un an après l’occupation, toutes les chambres de justice, qui avoiem
été d’abord fermées en partie, furent ouvertes comme de coutume. Le général I
en ch e f donna un ordre à ce sujet, sur le rapport qui lui fut présenté, et chargeai
le commissaire du gouvernement près le divan du Kaire d en assurer l’exécution |
Il régla les droits de justice à deux pour cent de la valeur de l’objet en cause I
Cette taxe devoit être répartie entre les qâdy et les greffiers. On ne fit pas d’autre I
changement dans l’administration de la justice, et les choses continuèrent sur le |
même pied que par le passé. L a confiance publique, un moment alarmée,!
commença dès-lors à renaître; et, dès cet instant, les vainqueurs jouirent pleine !
ment de leur conquête.
Cependant les nominations aux emplois judiciaires ne pouvoient plus avoir!
fieu comme, antérieurement : on prit des mesures en conséquence; tous les ma-|
gistrats qui étoient en exercice, furent confirmés dans leurs charges; et le q,U|
a’skar, qui avoit pris part à la défection de l’emyr-hâggy, fut déposé. Il eut pourl
successeur le cheykli el-A’ry ch y , qui a rempli ces fonctions jusqu’à la fin del
l’occupation.
Si l’on réfléchit un instant sur le mode d’institution de la justice Ottomane etl
sur la manière de procéder à l’élection des magistrats, on trouvera dans ces causes!
mêmes la source inévitable des abus qui avoient lieu. En effet, des juges étran-l
gers, ignorant pour la plupart la langue du pays où ils alloient décider de la for-1
tune, de l’honneur et de la vie des citoyens, n’étoient mus par aucun des senti-!
mens qui déterminent l’intégrité des magistrats : ces considérations de patrie, de!
concitoyens, toujours si puissantes sur les coeurs, n’existoient point pour eut!
Versant l’or à pleines mains pour- s’asseoir dans un tribunal, ils ne regardoientle!
glaive dont la loi les armoit alors, que comme un instrument de richesse; ils s’enfl
servoient pour s’indemniser de leurs dépenses, et accroître ou même édifier leur!
propre fortune : tous les grands moyens en leur pouvoir étoient, pour ainsi dire,!
dirigés vers un même but, celui d’amasser; aussi ne perdoient-ils aucune occasion!
de grossir leur trésor. Ceux chez lesquels l’amour de la justice et de l’humanité k J
lançoit la so if de l’or, se montroient un peu plus équitables ; les autres n’étoient!
retenus que par la crainte de compromettre leur réputation. D ’ailleurs, l’usage qui!
subsistoit en Egypte de vendre ou de louer des charges d’une si haute importance!
de particulier à particulier, est un de ces abus monstrueux qu’aucun gouverne-|
ment sage ne tolère; c’est une sorte de prévarication que des barbares seuls pou-!
voient se permettre et souffrir.
Revenons à l’exercice des fonctions judiciaires. Les jugemens d’un qâdy ol™
tiennent presque toujours l’assentiment des hommes éclairés, et il seroit injuste!
d’appliquer à ces magistrats, dans toute sa rigueur, le reproche de partialité et de!
corruption que plusieurs écrivains ont adressé aux juges musulmans en général!
C e n’est que dans le cas où le texte de la loi est obscur, et prête à des in t e r p r é - »
tâtions!
tâtions différentes, opposées m êm e , que le qâdy ose prononcer d’une manière
s o u v e n t peu conforme à 1 esprit du législateur, mais favorable à celle des parties
qu’il veut avantager. Les abus sont plutôt dans l’arbitraire de la taxe, et l’on a toujours
murmuré de l’inégale perception des frais de justice. A u Kaire, les qualités
personnelles du qady askar, aussi-bien que la surveillance exercée par les u ’iemâ,
etmeme par le gouvernement des Mamlouks, protégeoient en quelque sorte le
peuple contre la cupidité des juges et des greffiers : mais il n’en étoit pas de
même dans les provinces; et le juge qui pouvoit s’y ménager par des présens,
ou'de toute autre manière, 1 amitié et la protection du bey qui y commandoit,
étoit libre de prélever un droit bien au-dessus du taux légal. Il est vrai que, dans',
ces occasions encore, les qâdy ont l’adresse de dissimuler leur avidité : ils feignent
d’exiger des surcroîts détaxé pour leurs écrivains et leurs employés subalternes,
quoique ceux-ci n en aient jamais que la plus foible partie. Les hommes en place
en Egypte ont souvent recours à de semblables artifices.
Nous avons déjà dit que les décisions d’un qâdy étoient sans appel; la religion
remédie un peu aux inconvéniens que produit cette étrange latitude laissée au
juge par 1 usage. En Égypte, comme dans les autres contrées de la domination
Ottomane, l’usage est tout; il fait, pour ainsi dire, la lo i; et telle coutume d’un
prince, dun magistrat ou d u n simple officier, vis-à-vis de ses inférieurs, devient
obligatoire pour tous ceux qui remplissent désormais les mêmes fonctions. Ces
abus prouvent la nécessité d asseoir sur des bases fixes et invariables le système
législatif; et ce besoin, qui se fait chaque jour sentir davantage, est méconnu des
gouvernans; ou plutôt, assujettis à une invincible routine, ils aiment mieux en
supporter tous les inconvéniens que de s’en écarter.
^ On rend la justice en Égypte suivant le code de la secte Hanafy ; il ne peut en
être autrement, puisque tous les magistrats envoyés de Constantinople sont de
cette croyance, ainsi que le Grand-Seigneur lui-même, et le chéryf de la Mecque.
Cette innovation eut lieu au commencement du x v i .e siècle ; il est vraisemblable
que le successeur de Selym, conquérant de l’Égypte, en a été l’auteur, puisque
cest lui qui établit l’ancien gouvernement sur les bases où il se soutenoit encore
de nos jours. Cependant, comme la secte de Châfe’y est dominante en Égypte,
et que tous les cheykhs de la mosquée d’el-Azhar sont de cette croyance, il paroî-
troit plus convenable de se conformer à la jurisprudence de ce légiste. C ’est une
question qui demanderoit un examen plus approfondi ; elle appartient de droit à
ceux qui y sont intéressés.
Pendant toute la durée de l’occupation Française, on ne perçut aucun des
droits attachés à l’investiture des charges judiciaires : la modicité de cette branche
de revenu offre du moins cette sorte d’avantage, qu’il seroit possible de rendre la
Justice presque gratuitement, et de supprimer, sans un grand préjudice pour le
trésor de lÉ tat, la vénalité des charges. Il est vrai que ces abus n’avoient point
teu sous le regne des khalyfes : iis se sont introduits au temps des premiers sultans
Mamlouks; et l’usage, aussi-bien que l’exemple des Turcs, chez lesquels ils étoient
g ement en vigueur, ont, pour ainsi dire, consacré leur existence.
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