Q u ’ils soient dévorés par les soucis ou les remords, ivres de bonheur, accablésI
d ’un revers imprévu, tourmentés par la jalousie ou la haine, bouillonnans del
colère ou altérés de vengeance, ils conservent dans leurs traits la même impassi-l
bilité. Point de contraction, de rougeur ou de pâleur subite, qui décèle le comtail
tumultueux des passions diverses qui les agitent On pourroit assigner plusieurs!
causes à cette étonnante insensibilité : le climat n’y est peut-être pas étranger !
présentant toujours le même aspect, il communique en quelque sorte auxespritsl
son immuable fixité : mais les principales causes sont à coup sûr l’éducation etl
le dogme du fatalisme, généralement répandu parmi le peuple; enfin l’habitude!
de se voir exposé sans cesse aux caprices des tyrans qui oppriment la contrée.!
Chaque jour, chaque instant, voit naître de nouveaux périls, et l'imprévoyance!
devient pour les Egyptiens, comme pour les Orientaux en général, une sorte!
de refuge contre la violence. Un geste, un regard, un soupçon, est puni connue!
un crime : de là cette étude profonde de .la dissimulation, qui devient ensuite!
pour eux un état habituel. Il ne faut pas non plus chercher ailleurs les causes de!
cette espèce de résignation stoïque qui distingue les Orientaux. Les plaintes et!
les cris sont superflus devant la volonté des oppresseurs; (’Égyptien sait marcherait!
supplice, mourir sous le bâton du qaouâs et se taire. Dieu le veut, Dieu est grandi
Dieu est miséricordieux, tels sont les seuls mots qui échappent de sa bouche à jjl
nouvelle d’un succès inespéré comme à celle des plus grands malheurs. L’apathiel
des Égyptiens fixés dans les villes forme un si grand contraste avec nos moeurs*
qu’on les prendrait d’abord pour des hommes stupides ou hébétés. La noncha!
lance accompagne leurs gestes, leurs discours, leurs moindres actions : elle sa
montre même dans leurs plaisirs. Étendus une partie du jour sur des coussin*
ou sur de simples nattes, suivant l’état de leur fortune, ils ne paroissent occupt*
que du soin de remplir et de vider alternativement leurs longues pipes. Aucun!
soin ne paroît les occuper ; leur imagination semble engourdie comme leu*
corps : dans cet état, qu’on pourroit presque comparer à une léthargie morale*
à peine si la lecture de leur sentence de mort seroit capable de leur arracher un*
exclamation.
Cependant sous le voile de cette apparente impassibilité se cache une imagi!
nation ardente; et il seroit injuste de refuser aux Égyptiens toute sensibilité : l’habi!
tude du silence rend au contraire lèurs sensations plus fortes en les concentrant*
et communique à leur ame une sorte de vigueur qui les rend quelquefois capable!
des actions les plus hardies. Enfin la réflexion gagne en profondeur ce quelespriT
perd en vivacité : la faculté de l’attention et celle de la mémoire sont portées ail
plus haut point par ces hommes que nous croyons plongés dans une apathia
absolue.
Les sensations de ce peuple sont accommodées à ses autres habitudes; elle*
consistent, en outre des bains, dans des jouissances bizarres; il faut que desserj
viteurs leur frottent souvent les pieds, soit avec la main, soit avec une scorie da
brique lisse; ils passent beaucoup) de temps à se caresser la barbe ; ce dernieil
usage est très-ancien en Orient. On ne chatouille de la main la plante des pied*!
d e s h a b i t a n s m o d e r n e s d e l’E g y p t e . 3 7 7
que dans la société, intime de quelques parens ou amis; les bienséances ne perm
e tte n t pas cet acte étrange de volupté en public. Quant au frottement avec
la scorie de brique, on ne le pratique quau sortir du bain; et c’est tout ensemble
une sensation voluptueuse et un acte de propreté.
Des sensations de ce genre sembleraient bien insipides à un Européen; mais
elles suffisent à la mollesse et à l’insouciance de l’Égyptien : il les savoure au milieu
des parfums et des nuages d’une fumée odoriférante; il peut se les procurer partout,
puisqu’elles dépendent de sa volonté. Si l’on ajoute à ce court exposé les
plaisirs du harem, de la musique et du chant, ainsi que l’usage qu’ils ont de dire ou
dccouter des contes, ce qui occupe une grande partie de leurs soirées, on aura
une idée à peu près complète des agrémens de la vie des Égyptiens.
Tout, chez ce peuple, porte l’empreinte d’un contraste frappant avec les habitudes
des nations Européennes. Cette différence est l’ouvrage du climat, des
institutions civiles et des préjugés religieux. L’absence des lois paralyse l’industrie,
comme l'excessive chaleur nuit à l’exercice des facultés physiques. Dans un pays
où la propriété nes t qu illusoire, pourquoi le laboureur se donneroit-il tant de
peine pour améliorer les cultures, si ses efforts ne doivent tendre qu’à enrichir ses
oppresseurs et à lui attirer de nouvelles avanies! L ’Égyptien connoît sa position ; il
se conduit en conséquence. L e découragement ajoute à l’effet du climat pour
affaisser son corps, de même que les dogmes religieux établissent une barrière
insurmontable aux progrès de son esprit. L e riche se hâte de jouir; le pauvre
arrose à regret de ses sueurs une terre féconde, à laquelle il n’ose demander
au-delà de ses besoins.
On peut dire que toutes les branches de l’industrie sont également en proie
à l’arbitraire. Cependant le commerce se soutient, non qu’il soit encouragé
par le gouvernement, mais parce que la position de l’Égypte et la richesse de
ses productions lui fournissent un aliment intarissable. Cette carrière est la
seule qui puisse promettre aux malheureux Égyptiens un avenir prospère : quelquefois
elle les conduit à la fortune ; et c’est le seul avantage auquel il leur est
permis de prétendre , puisque leur titre d’indigènes leur ferme le chemin des
honneurs et des dignités dans leur patrie. V o ilà , sous un joug étranger monstrueux
et illégal, à quels malheurs sont réduits les habitans de l’une dés plus
telles régions du globe. Les calamités qui les affligent aujourd’hui, pèseront sur
eux aussi long-temps que la verge d’airain de leurs indignes oppresseurs. Esclave
humble et passif, l’Égyptien végète dans l’incertitude : il ne réfléchit point sur
sa déplorable situation ; et son indifférence est peut-être un bienfait du sort, en
ce qu il n’est point tourmenté par le pressentiment des maux qui le menacent
Sans cesse.
Cependant la classe indigente a des moeurs moins efféminées : le malheureux
dont 1 existence journalière est le fruit d’un travail assidu, est actif e t même
infatigable par nécessité. L e fellâli ou cultivateur brave les feux d’un ciel brûlant
pour ensemencer la terre qui doit fournir aux besoins de sa famille. Un Européen
qui a vu sur leurs divans les riches Égyptiens plongés dans la mollesse et