3 7 8 ESSAI SUR LES MOEURS
craignant, pour ainsi dire, de se fatiguer en faisant un signe à leurs esclaves voit i
avec étonnement, dans les exercices militaires des Mamlouks, le sâys ou va|e 1
d’écurie ( 1 ) courir devant le cheval de son maître, en suivre tous les mouveme
pendant plusieurs heures, sans donner le moindre signe de malaise ou de lassitude
tandis qu’un soleil ardent frappe d’aplomb sur son corps à demi nu. Ces dômes' I
tiques sont pris pour l’ordinaire dans la classe Aesfellâh.
a
Qu ’un Européen vante à un habitant du Kaire les délices de la promenade etl
la beauté des lieux qui y sont consacrés en Europe; celui-ci a peine à concevoir!
comment un exercice aussi fatigant peut avoir des charmes pour l’homme riche I
Il est ennemi de tout mouvement, et ne se traîne qu’avec peine de sa maison!
son comptoir; encore y va-t-il la plupart du temps à cheval ou sur un âne!
C e n’est pas que les jardins soient inconnus en Egypte ; toutes les maisons de!
quelque apparence sont au moins accompagnées d’une petite pièce de terrainI
plantée d’arbres et de légumes : mais ces arbres, disposés ■ sans aucun art, neI
sont là que pour le coup-d’oeil. L e maître de la maison va quelquefois prendre!
le frais sous leur ombre; mais il s’y étend encore sur des tapis et des coussins■ I
il ne se promene pas dans des allées,, ni dans des bosquets d’orangers, ainsi|
que plusieurs voyageurs fon t prétendu; ces jardins n’ont point d ’allées, et les j
bosquets n’y sont pas disposés de manière à favoriser les promenades. En un||
mot, cest moins pour réunir divers genres de culture que les Égyptiens cultivent |
un morceau de terre dans le voisinage de leurs maisons, que pour avoir toute |
l’année quelques plantes potagères, et jouir du spectacle agréable d’un printemps
continuel.
Les paysans sont doués, en général, d’une bonne santé; leurs traits sontpro-l
noncés, et contrastent avec l’avilissement dans lequel cette race est tombée. Cesl
hommes que 1 on désigné sous le nom commun de fe llâ li, sont endurcis à toutes|
les fatigues; on les voit couchés à midi sur une terre brûlante, et dormir ainsi]
plusieurs heures de suite, exposés à toute l’ardeur du soleil : il n’en fau d ra it pasj
davantage pour tuer un Européen ; mais telle est la force de l’habitude, que lesj
fellah n’en ressentent aucune incommodité. L a transpiration est presque insensiblel
chez eux, C e tte classe n a pour elle que la force physique; pour le reste, elle est j
peut-être la plus malheureuse de l’Égypte.
Les riches et les habitans des villes sont loin d avoir une constitution aussi!
robuste que lesfellâ h ; on remarque chez eux une sorte de foiblesse et de délabre ]
ment, qui se déclaré des le bas âge. Les enfans des deux sexes sont d’une com-J
plexion extrêmement délicate; devenus grands, ils conservent la même apparence:!
on les prendrait d’abord pour des hommes valétudinaires. Nous nous réservons!
de parler ailleurs des maladies graves qui les affligent ; mais nous parlerons ici]
dune incommodité dont 1 intempérance paraît être la première cause, les main!
de dents. Les Égyptiens riches sont fort sujets à ces douleurs; il est rare d en 1
i 1) Les sâys ont la manie de se charger les doigts an- prise également beaucoup cette parure grotesque; le ]
nulaires de plusieurs bagues d’argent, qui forment, pour porte-faix et les bateliers en poussent l’abus aussi lois
ainsi dire, un etuide ce métal. L e bas peuple Egyptien que les sâys.
D E S H A B I T A N S M O D E R N E S D E L’ É G Y P T E . 3 n p
trouver qüelques-uns qui aient la bouche saine, bien qu’ils prennent toutes les
précautions imaginables pour la maintenir telle. Ils se la nettoient deux fois par
jour avec une sorte d eau savonneuse, et ne manquent jamais de répéter la même
cérémonie après avoir mangé la moindre chose. L ’abus de certains mets est sans
ddute la raison véritable de ce mal, puisque les fellah n’en sont jamais atteints. Il
e s t impossible, par exemple, de conclure avec Jean Wilde que lès Égyptiens ont
Jes dents gâtées, parce qu’ils mâchent la canne à sucre avec excès ( 1 ) ; s’il en
étoit ainsi, les habitans de la campagne seroient les premiers attaqués : on ne
saurait non plus attribuer absolument cette incommodité à l’usage dés boissons
chaudes, et principalement du café. Les maux de dents, comme l’observe Niebuhr
dans sa Description de l ’Arabie, sont très-anciens en Égypte; ils y ont précédé de
long-temps la découverte du café, puisque l’historien Hérodote, en parlant des
médecins, désigne une classe à part, qui s’occupoit exclusivement de la cure de la
louche (2).
Les Égyptiens se distinguent par leur respect pour les vieillards. L ’amour filial
est aussi l’une des principales vertus de ce peuple ; les jeunes gens ont pour leurs
pères une vénération religieuse; ils n’osent pas fumer devant eux : pour se permettre
cette jouissance, ils attendent ordinairement l’époque de leur mariage;
c’est alors seulement qu’ils se considèrent comme des hommes: mais leurs pères
ne cessent jamais d’être leurs mentors et les objets particuliers de leur affection.
Tout se rapporte au Nil dans une contrée que ce fleuve fertilise; il en est aujourd’hui
de cet usage comme aux temps passés : les musulmans, par exemple, attendent
les premières crues et les réjouissances auxquelles on se livre alors, pour célébrer
les mariages; ils continuent jusqu’au mois de ramadân : mais il est rare qu’ils se
marient avant ou après cette époque, que l’usage semble avoir déterminée.
Mahomet a recommandé les ablutions fréquentes, et cette pratique est devenue
I un des principaux devoirs du culte que ce législateur a institué. On ne sau-
roit le blâmer à cet égard, puisque, dans les pays chauds , les ablutions sont
indispensables a la propreté , et deviennent même nécessaires à la santé. Les
musulmans se lavent tout le corps aussi souvent qu’ils le p eu v en t, ou se bornent
à en laver quelques parties. D e . ce nombre sont les parties génitales; ils se
servent de la main gauche pour cette opération ; la droite est destinée à des
fonctions plus nobles; elle doit diviser et distribuer les alimens, saluer et donner
aux grands des signes de respect ou de dévouement, en se posant sur la tête.
Les mosquées offrent un assemblage monstrueux d’individus livrés aux choses
les plus contraires a la majesté du lieu, et quelquefois même à des occupations
dégoûtantes. La sè voient pêle-mêle des dévots en prière, des malheureux qui
détruisent leur vermine, des oisifs qui dorment, des artisans qui se livrent à leurs
travaux : ces abus sont tolérés, et l’Égypte n’est pas la seule région Maliométane
ou ils soient consacrés par l’usage.
Il est, parmi les santons défunts, des hommes qui sont pour les musulmans
(0 Voyez la Relation des voyages de Jean Wilde, pag. 217.
(a) Viyri Hérodote, liv. I I , S. 84.