blables : il mourut au Kaire jusqua dix mille individus dans un mois ; la multitude
des morts ne permetroit plus d’observer les rites funéraires. Ces désastres continueront
sans doute de se renouveler périodiquement, jusqu’à ce que le gouvernement
du pays ait adopté des mesures prophylactiques ; mais le fanatisme est un
obstacle puissant et peut-être insurmontable à l’établissement des lazarets. En général
, les bienfaits de la civilisation et tous les moyens que suggère la science
éclairée par l’observation des faits naturels, ne s’introduiront en Egypte qu’avec
des idées d’ordre et de justice et avec l’affoiblissement des préjugés religieux.
Il existe un usage funeste à la santé des habitans du Kaire ; c’est celui d’enterrer
une partie des morts en dedans même de la ville : on y compte au moins trois
cimetières intérieurs, sans parler de ceux qui touchent aux portes. Lçs eaux stagnantes
des places mondées ne sont pas moins nuisibles à la salubrité publique,
dans la saison où le Nil décroît.
J’ai parlé de la grande mortalité des enfans ; mais elle est, toutes choses égales
d’ailleurs, beaucoup plus considérable pour ceux des étrangers que pour ceux des
indigènes. Les Mamlouks et les Osmanlis laissent peu ou même ne laissent point
de postérité au Kaire. L e fait a été observé et constaté en Egypte par M. Fourier,
et la cause en est encore à découvrir : le climat y contribue sans doute; mais ce qu’il
faudroit expliquer, c’est comment il agit dans ce cas. L e phénomène est moins
constant quand l’étranger s’unit à une Égyptienne, mais la différence est légère:
au bout de très-peu d’années, les enfans, quelque nombreux qu’ils soient, dispa-
roissent, et les familles s’éteignent tout-à-fait.
§• V .
D e l ’Industrie et des Professions mécaniques ( i ) ,
A u Kaire, tous les artisans exerçant un même métier sont subordonnés à un
cheykh ■: celui-ci a seul le privilège de conférer le droit de maîtrise à un ouvrier
apprenti; c’est ainsi que les professions de cordonnier, tailleur, tisserand, &c.
ont chacune leur cheykh particulier : ce dernier connoît parfaitement tous les
ouvriers de sa corporation.
Lorsque les agens de l’autorité veulent prélever un impôt sur l’une de ces
corporations, c’est toujours au cheykh qu’ils s’adressent. C e dernier répartit la
somme à payer sur les principaux et les plus riches artisans qui sont placés sous son
autorité. Dans les grandes villes, sur tout pour les professions qui sont plus généralement
répandues, le cheykh a plusieurs adjoints ; ils sont ordinairement au
nombre de trois ou quatre ; et on leur donne le nom de naqyb <>jL) , qui signifie
chef; pluriel, noqabâ t j ü ; ce sont en effet autant de chefs en sous-ordre (2).
quelconque dans les arts manuels , il entre d’abord
comme apprenti chez un ouvrier établi et accrédité; des
qu’il est assez expert dans le métier, et qu’il se propose de
l’exercer pour son propre compte et d’ouvrir lui-même un
( 1 ) Consultez sur l’industrie et le commerce de l’É-
gypte en général le Mémoire de M. Girard, E. M.
tom. I I , pag. efÿi, 626, & c .
(2) Lorsqu’un homme, se destine à une profession
L'ës baladins, lés ^chanteurs publics et lës escamoteurs forment aussi une corporation
StibOrdOnneé a un supérieur. Il eii est encore de même des femmes publiques;
Eiifin les voleurs sont soumis a là surveillante d’un chef particulier, qui souvent,
quand On s adresse à lu i, fait retrouver les objets volés : c’est le reste d’une ancienne
police du pays. A u reste, les vols sont très-tares au Kaire, bien que les magasins
soient a peine fermes, et maigre la foule qui se presse dans les rues marchandes.
Les métiers les plus communs au Kaire sont ceux de boulanger, meunier,
fabricant d’huile,mélasse et vinaigre, tisserand, fabricant d’étoffes et tissus divers
en laine, coton, c r in , lin et chanvre, fabricant d’ouvrages en cuir, 4anneur,
feutrier, teinturier, tailleur, potier, forgeron, menuisier et tourneur. Les brodeurs
et les passementiers sont en grand nombre; et pour .cela méritent d’être aussi
mentionnés. Toutés cts professions se partagent en plusieurs arts qui en dépendent.
Il y a aussi fbree préparateurs de fèves et un assez grand nombre de fabricans de
chaux; de plâtre, de brique, de charbon. Bien d’autrès arts encore sont mis en
pratique, mais pbur Un usage plus limité.
Pour oter un peu de sécheresse à 1 énumération qui vâ suivre, nous diviserons
les professions en trois classes : i,° les arts qui nourrissent l’homme ; z.° ceux qui
servent a le vêtir; q;° ceux qui servent à l’abriter et à meubler ou orner sa demeure,
y Compris Ceux qui satisfont à divers besoins domestiques. La hiêmë
classification sera suivie pour le commerce du Kaire.
Avant d entrer dahs le détail des arts industriels, je dois rappeler la dëxtérité
toute particulière des ouvriers Égyptiens ; ils ont sur-tout le talertt qu’on admire dans
les Chinois, celui de copier avec précision les ouvrages des étrangers; de manière
à faire confondre quelquefois la copie et l’original. O n sait aussi que les Égyptiens
ont coutume de travailler assis, et en même temps avec prestesse, à des ouvrages
que nos artisans rie pourraient exécuter dans une pareille attitude. II aurait été très-
intéressant dé Comparer l’état des arts dahs l’ancienne et la moderne Égypte, et de
rémonter à l’origine de plusieurs pratiques ingénieuses qui subsistent encore ; mais
ces iapprochemens historiques mèneraient trop loin : l'Explication des planches
¡■Arts et M étiers, planches né“ 1 à x x x , me dispensera, aü surplus, d’entrer dans
beaucoup de développemens sous le rapport technique.
atelier, son patron le conduit chez le cheykh de la corpo- comme faisant partie, dès ce moment, de la corporation;
ration, et là il est reçu maître ouvrier : voici a peu près Quelques jours après, le néophyte prépare un dîner où
quel est le cérémonial ordinairement usité dans cette sont invités le cheykh et les principaux artisans de son
circonstance. corps : tout se borne là ; il n’a aucune rétribution à payer
L’apprenti, sous les auspices de son maître, se présente ni au cheykh ni au gouvernement. Si un ouvrier sort
chez le cheykh, le salue, et d it: EI-Fâtihah «Ci'üul de chez son patron, soit par suite d’une altercation, soit
c’est-à-dire , récitons lè Fâtihah ( c’est l’invocation qui parce qu’il n’est pas content dé sés gagés, il hë peut plù§
est à la tête du Qorân). Le cheykh répond en effet être admis dans aucun atelier ; s’il ne fait préalablement
à l’appel en récitant cette prière, en même temps que une visite au cheykh de sa profession, auquel il est oblige
l’apprenti et tous les autres assistans. Cela fait, il de- d’exposer les motifs qui lui ont fait quitter son maître';
mânde àu néophyte ét ab maître ouvrier qüi l’accompagné alors le cheykh se transporté chez ce dernier, et il parle
motif de leur visite; celui-ci déclare que l’apprenti vient quelquefois à les réconcilier : dans le cas conqu’il
lui amène,, étant suffisamment instruit dans son état, traire, l’ouvrier entre au service d’un autre maître avec
desire ouvrir un atelier pour y exercer comme maître. l’assentiment et par l’entremise du eneykh ou dé l’un de
Aussitôt le cheykh fait approcher le jeune homme, et, lui ses adjoints suppléans ; il ne lui en coûte ordihâiremént
attachant une ceinture autour des reins, le proclame que la modique somme de 30 à 4° parâts.