E S S A I S U R L E S M OE U R S
§. V i l i .
D es M aladies principales.
A v e c une température à peu près constamment égale, un ciel toujours serein I
l’Égypte ne peut avoir qu’un petit nombre de maladies; mais elles sont la plupartI
terribles. On s’attend sans doute à voir figurer en tête du tableau de ces causes de I
mortalité, la peste, ce mal qui, par l’inconcevable activité de ses élémens morfciJ
fiques, a échappé jusqu’à ce jour aux recherches de la science médicale. La pesai
ravage l’Égypte à des époques plus ou moins éloignées ; mais on peut dire quelle!
cesse rarement au Kaire et sur-tout a Alexandrie ; comprimée par les fortes chs-l
leurs de la canicule ou par la fraîcheur de l’h iver, elle renaît aussitôt que la Saisonl
plus tempérée lui rend ses forces destructives. Elle est quelquefois bénigne, del
courte durée et peu dangereuse ; alors elle disparoît promptement pour se mon!
trer de nouveau à quelques mois d’intervalle. L ’imprévoyance des musulmans et!
leur superstitieuse crédulité sont les principales causes de la perpétuité de tel
fléau. En e ffet, ces peuples s’imaginent, d’après divers passages du Qorân, quel
rien’n’arrive sans la volonté expresse du Créateur, et que rien ne sauroit entraver!
l’accomplissement de ses décrets immuables. Ils regardent donc comme superflus!
les soins qu’ils apporteroient à empêcher la propagation de la peste ; bien per-J
suàdés qu’ils n’en seront pas atteints si leur destinée est de vivre, et que rien ne!
sauroit les en garantir s’ils doivent mourir.
Les habitans du Kaire se rappellent toujours avec effroi les pestes d’A ’iy-bey erl
d’ Isma’yl. Cette dernière sur-tout, qui éclata dans le printemps de 179 1, fit les!
plus grands ravages', elle moissonnoit journellement des milliers d’individus;!
Isma’yl et les principaux Mamlouks de sa maison en furent les premières victimes.!
Cette peste coûta au Kaire le tiers de sa population.
Nous n’entrerons dans aucun détail au sujet de la peste ; on s’est déjà perdu en!
conjectures sur ses causes, sans avoir pu définir d’une manière satisfaisante la!
nature de ses effets ; et nous ne voulons pas grossir le nombre des hypothèses quel
l’on a faites et que l’on fera encore à cet égard. L a peste se communique par le!
contact ; si l’on peut s’isoler complètement, et s’abstenir de toucher un malade otfl
de recevoir son souffle, on est à peu près certain d’échapper. On croit encore en|
Orient qu’elle se communique par l’odorat, et que les fleurs s’imprégnent facile!
ment des miasmes pestilentiels ( 1 ).
La dyssenterie, quoique moins redoutable que la peste, n’a pas des effets motel
funestes en Égypte par suite de la disposition des individus, de leur mauvais*
nourriture, et d’une constitution généralement viciée. Cette maladie fait panai
malades. Tous les militaires de l’armée d’Egypte 1“'
vivent encore, se rappellent avec attendrissement lc*B
généreux dévouement.
Voyez leurs ouvrages, ainsi que le Mémoire
M. le docteur Savaresy sur la peste, dans ses Opm ■
c u le s , et ceux de M. Assalini.
(i.) MM. des Genettes et Larrey, médecins en chef
de Tarmée, ont déployé, pendant le cours de l’expédition,
un courage au-dessus de tout éloge, pour con-
noitre la nature et les effets de cette maladie ; ils ont
recueilli, au péril même de leur vie, une foule d’observations
précieuses sur le traitement à suivre envers les
e u x de très-grands ravages, etattaque sur-tout les enfans, qu’elle enlève d’une ma-
. nière effrayante.
Entoures de deserts, dont les sables fins et subtils sont constamment chariés
dans l’air par le vent, exposés aux transitions subites de la température e t à -des
rosées excessives, les Égyptiens ont dû être sujets à l’ophtalmie de temps immémorial
; c est ce que prouve le passage d Hérodote ou il désigne, en parlant des
médecins, ceux qui s’occupoient exclusivement de traiter les maux d’yeux ( i) .
Aujourd’hui l’ophtalmie n’est pas moins commune qu’elle ne devoit l’être alors ;
peut-être même a-t-elle fait de nouveaux progrès, favorisée par la négligence du
peuple qui dort en plein air : la fraîcheur et l’humiditc des nuits contribuent
puissamment aux fluxions qui précèdent les affections ou la perte de la vue. Nos
Soldats n’ont pu se soustraire à cette maladie ; on la croit contagieuse. Les étrangers
lui paient en général une sorte de tribut : elle s’attache à eux de préférence ,
mais elle n’épargne pas les indigènes ; sur cinq individus, il y en a au moins un qui
porte un bandeau sur les yeux.
La petite v eiole, si long-temps funeste a nos contrées, continue ses ravages en
Orient, ou Je fanatisme et les préjugés lui assurent, comme à la peste, une longue
existence (2). Elle est terrible en Égypte, et s’y présente d’une manière bien plus
effrayante quen Europe. Les enfans en bas âge échappent rarement à sa malignité;
si elle épargne quelques adolescens ou des hommes faits, c’est pour laisser sur tout
leur corps de profondes cicatrices. Elle a, comme la peste, une époque de l’année
propre à sa propagation (3). Ce qui la rend plus funeste que par-tout ailleurs,
cestquen Égypte les maladies vénériennes ne sont jamais radicalement guéries;
le virus, toujours plus actif, se transmet de génération en génération, et infecte la
population entière. Il passe dans le sang de l’enfant avec le lait de sa nourrice ; et
lorsqu ensuite la petite vérole vient attaquer un être si foible, déjà corrompu
dans les sources mêmes de la vie, on conçoit aisément qu’il lui est plus difficile
de résister à sa violence : de là cette grande mortalité parmi les enfans, au Kaire
et dans toutes les villes.
Les hernies et les hydroceles sont encore des maladies communes en Égypte ;
elles le seroient bien davantage sans la sage précaution des paysans, qui se compriment
le bas-ventre au moyen d une large ceinture de cuir. Ces maladies accidentelles
attaquent les animaux aussi-bien que les hommes : mais on n’y fait .qu’une
légère attention ; le mal augmente et prend un caractère d’irritation incurable,
avant que le malade songe au remède. Il en est ainsi pour toutes les autres maladies
: des recettes ou des formules superstitieuses sont la panacée universelle du
bas peuple ; des empiriques établis dans les villes assassinent impunément les
riches qui se mettent entre leurs mains; et la nature opère seule quelques cures
merveilleuses dans ce pays, en proie aux préjugés de l’ignorance et du fatalisme.
Toutes les circonstances que nous avons rassemblées dans les §§. 1, m et v in ,
j f j Hérodote, liv. 11, 5. 84. (3) Voyti le Mémoire deM.Jomard sur la population
I n sait que plusieurs médecins croient que la comparée de l’Égypte ancienne et de l’Égypte moderne.
P«teverole a pris naissance en. Égypte.
£ • M . T O M E I I , a « partie. C c c .