
ESSAI SUR LES MOEURS
dans les vêtemens; elles n’ont dans les campagnes et au Kaire qu’un caleçon et I
par-dessus une chemise bleue, très-ample, à manches longues et larges, qui descend!
depuis les épaules jusqu’aux hanches. Cependant elles sont toujours voilées. Leurs I
cheveux sont tressés ainsi que ceux des dames de distinction, et elles attachent!
souvent au bout de ces tresses des sonnettes ou d’autres objets qui sont regardés!
comme des ornemens, et qui descendent le long du dos. L e s jeunes filles sel
mettent quelquefois aussi des sonnettes aux pieds. On orne les bonnets des enfansl
d’un rang de pièces d’argent, ou même de ducats, qui suit le tour de la tête(i)|
mais il ne paroît rien de cette magnificence hors des maisons ; tout est caché!
sous les' vêtemens jusqu’à la figure. En général, on ne voit des femmes que les!
yeux, encore bien imparfaitement : les enfans sont, pour ainsi dire, em paque-l
tés, afin d’échapper à la prétendue fascination des regards envieux, qui passe po J
bien funeste dans l’esprit superstitieux des Egyptiens. Les femmes du commun!
portent des anneaux dans les oreilles et quelquefois dans le nez; cependant ce d e r!
nier cas se remarque rarement : elles ont aussi de petits cercles de m é ta l au to u !
des bras et des pieds. Quelques-unes se chargent les lèvres, le menton et la p o itrin e!
d’ornemens noirs ou bleus; ce sont des dessins gravés, analogues à ceux qu’on voifl
à quelques chrétiens qui, dans leur pèlerinage à Jérusalem, s’y sont fait im p rim e!
sur les bras diverses marques de dévotion,
Les femmes du bon ton et celles du peuple regardent aussi comme un attrait!
ou du moins un agrément de plus, diverses mutilations dont nous avons déjà parlé!
notamment celle qui consiste à réduire la largeur de leurs sourcils; elles ont aussi la
manie de se teindre les pieds et les mains en jaune, et les ongles en rouge avefl
du henné. C e dernier usage est plus répandu dans les classes du peuple ; il es!
essentiellement lié aux moeurs et à l’état constant de réserve dans lequel les femm!
doivent se tenir vis-à-vis des hommes : il a pour but d’empêcher que l’oeil du!
curieux ne puisse juger de la blancheur du corps par la couleur naturelle de la main!
s. V .
Moeurs et Usages divers.
L E Sm oe u r s des Egyptiens sont liées à leurs institutions ; elles en sont, pour ainsfl
dire, la conséquence immédiate. Il est vrai que la plupart de leurs lois reposent suS
une connoissance exacte du climat, et qu’elles paroissent très-bien adaptées au caracM
tère des hommes, ainsi qu’à la position géographique du pays. L e législateur Aral®
calcula, pour ainsi dire, la réussite et la durée de sa nouvelle doctrine politique®
religieuse sur l’esprit et les goûts de ses compatriotes; il évita cette lutte, toujotn*
( I ) Npus apprîmes d’u n T ripolîtain que les musulmans dailles des khalifes, pourroient peut-être trouver dans H
atlachoicnv d e préférence autour de la tête de leurs en- parure des jeunes filles Mahométanes de quoi enrid®
fans des monnoies d’or qui ont pour légende quelques leurs collections. Les monnoies Koufiques ne serve®
semences du Qorân; que par cette raison ils conservoient d’ailleurs que pour ornement : sans cet usage, elles a; .
encore beaucoup de monnoies Koufiques. Les Européens roienr déjà fondues depuis long-temps,
qui cherchent à se procurer des dynâr ou d’autres méd
e s h a b i t a n s m o d e r n e s d e l ’é g y p t e . 4 1 7
dangereuse, que les novateurs maladroits engagent avec les passions dé ceux qu’ils
veulent réformer ; il agrandit ses prosélytes à leurs propres yeux par le prestige
d’un culte savamment combiné, et il parvint sans peine à en démontrer l’exCél-
len ce à des hommes ignorans et crédules. Il respecta leurs usages domestiques,
et fut indulgent pour leurs foiblesses : en offrant pour récompense à ceux qui se
conformeroient à des préceptes faciles et qui flattoient même leurs passions, le
premier rang parmi les peuples de la terre, et les délices d’un ciel idéal, il se
crut certain de consolider sa doctrine. L e succès a couronné ses espérances ; et
sans avoir fondé, comme Lycurgue, ses institutions sur la force morale et les
lum iè res du peuple, Mahomet a obtenu le même triomphe : ses dogmes conserveront
leur vigueur en Orient, tant que les peuples y resteront étrangers aux
progrès de la civilisation moderne ; et l’esprit des Orientaux semble en garantir
la durée.
Ce n’est donc pas la société qui règle les moeurs en Egypte; la mode ne les
change point au gré de ses caprices : tout est appuyé sur le Système moral et religieux,
et reste, comme lui, dans un état fixe et invariable. Ce que les anciens voyageurs
dignes de foi ont écrit sur les Arabes, trouve maintenant encore une juste application
: ils n’auroient rien à changer aujourd’hui s’ils avoient à traiter le même
sujet ; et jusqu’à l’instant d’une révolution, dont l’époque paroît encore bien
éloignée, les usages domestiques des Orientaux présenteront sans doute le même
aspect. Au reste, nous allons seulement donner ici un aperçu rapide de la vie
privée des Egyptiens : c’est d’après un partiel examen que l’observateur porte Ses
jugemens; et même il ne peut connoître à fond le véritable esprit national d’un
peuple, s’il ne l’examine attentivement sous ce dernier point de vue.
Une société dont les femmes sont bannies, ne présente pas ce mélange de douceur
et de politesse qui distingue particulièrement les nations Européennes : l’influence
des femmes sur les habitudes sociales ne se faisant point sentir en Egypte,
on conçoit aisément que les moeurs doivent avoir en général la rudesse barbare
de celles des Arabes conquérans. C ’est en effet la remarqué qui sê présenté au
premier abord. Les exercices du peuple, Ses jeux, ses plaisirs, ont un caractère licencieux
et sauvage à-la-fois : il en seroit bien autrement sans douté si le3 femmes
devoient y prendre part ; les égards dus à leur sexe feroient naître insensiblement
le sentiment des convenances, et la nation séroit dès-lors presque acquise pour la
société.
La vie d’un Égyptien aisé se partage entre la prière, le bain, les plaisirs des
sens,la paresse, l’usage de la pipe et du café. Il seroit presque permis de dire que
la nation entière passe son temps à fumer. Les riches n’emploient que les tabâCs
de Lataqyeh { i ), dont la consommation est énorme en Egypte : les pauvres se
contentent du tabac du pays, qui n’a pas la même saveur, mais qu’on se procure
* bien meilleur compte. L e café se prend dans de très-petites tasses, et sans sucre;
on voit des individus qui en boivent jusqu’à vingt tasses par jour.
(0 Lataqyeh est l’ancienne Laodicée, bâtie par Sé- sur la côte de Syrie ; on récolte le tabac sur les eol-
eucus Nicanor, qui lui donna le nom de sa mère. Elle est lines qui l’entourent.