tempéré par les fraîcheurs des nuits : les rosées du soir, sur-tout dans la saison
des vents étésiens, y sont, ainsi que dans toute la partie maritime de l’Égypte
d’une humidité saline qui pénètre tous les corps. L ’hiver est très - pluvieux à'
Alexandrie : c’est toujours dans cette saison humide que les maladies épidémique
s y manifestent avec plus ou moins d’intensité ( i) . Strabon dit, en parlant4
climat de cette ville :
« La salubrité de l’air est remarquable 1 elle est due â la situation de la ville
» qui est baignée de deux côtés, et à l’avantage qu’elle retire de la crue du Nil
» car, dans toutes les autres villes qui sont placées sur le bord des lacs, on ne res-
» pire, pendant les chaleurs de l’été, qu’un air épais et étouffant, produit par les va.
» peurs que le soleil y élève : la vase séjourne sur les bords de ces lacs; il s’en exhale
» des émanations marécageuses, qui répandent dans l’atmosphère le germe des
(i) L’armée a dû remarquer avec autant d’étonnement
que d’inquiétude la perte que nous finies de seize cent cinquante
hommes de la garnison d’Alexandrie, durant les
trois mois du premier hiver que nous avons passé dans
cette ville, c’est-à-dire, en décembre 1798, janvier et
février 1.799, <fuand cette année la peste n’atteignit qu’un
très-petit nombre des habitans du pays.
Quelques voyageurs qui ont parlé des causes et de l’origine
de la peste en Egypte, ont avancé qu’elle n’y éioic
point endémique, et qu’elle n’y éroit apportée que par des-
bâtimens venant de Constantinople, ou de quelques autres
échelles du Levant, ou même de l’intérieur de l’Afrique.
Je crois que les premiers officiers de santé de l’armée,
MM. des Genettes, médecin en chef, Larrey, chirurgien
en chef, Savaresy, Franck et Balme, médecins ordinaires,
et autres, qui ont observé et traité en Egypte cette maladie,
sur laquelle ils ont publié des écrits, ne partagent pas
cette opinion. Pourquoi cesseroit-on d’adopter, en effet,
celle dont on trouve dans Strabon les causes exposées
d’une manière si claire, si simple et si naturelle ! L’esprit
humain ne marche-t-il donc que de systèmes en systèmes,
toujours admis dans un siècle, et toujours combattus et
détruits par de nouveaux dans le siècle qui lui succède!
Cependant, si, cessant d’isoler des faits, on vient à les généraliser,
on reconnoîtra, ce me semble, que la stagnation
des eaux et l’humidité qui en résulte, sont, dans tous
les pays chauds, le germe de toutes les maladies endémiques
et épidémiques qui y régnent constamment. Que l’on cite
lespays où ces maladies exercent leurs ravages, la Guiane,
Saint-Domingue, l’Egypte, la Hollande, &c., la France
dans ses parties marécageuses, telles qu’à Gravelines et
à Rochefort, et l’on sera convaincu que ces maladies y
sont produites par les vapeurs pestilentielles que le soleil
pompe dans des eaux stagnantes, qui laissent à découvert
des terres fangeuses. Qui pourrait douter que les épizoo-
ties, ces maladies si funestes aux bestiaux, ne soient des
-espèces de peste produites par les eaux stagnantes que
boivent nos troupeaux dans les temps de grande sécheresse!
On objectera que dans la haute Egypte, où il ne
pleut presque jamais et où il n’existe pas de marais, la
peste s’y manifeste également. Cela est vrai; mais on a remarqué
qu’elle n’existoit le plus souvent qu’après une
inondation extraordinaire du fleuve, et ¿ans doute par
l'effet d’une trop grande humidité des terres, '‘suite d’un
trop long séjour des eaux. La peste y est alors d’une for« I
et d’une intensité terribles; elle y ravage des villages en-1
tiers, comme il est arrivé l’année même où n o u s avons t
évacué l’Égypte, en 1801. On observe qu’avec le fleuve I
elle descend dans la basse Egypte, quand, dans les années f
d’une mortalité ordinaire, elle a une marche o p p o sé e de ls
mer vers l’intérieur au sud.
On doit encore penser que' l’alternative continuelle I
de la grande chaleur des jours et de la grande humidité
des nuits, sur-tout dans la saison des pluies et dans celle I
de l’inôndation, dérange l’équilibre des humeurs, et que I
les effets d’une variation si brusque et si fréquente tendent I
à décomposer le sang, déjà trop affoibli par des transpi- ]
rations excessives et habituelles : c’est dans cet état I
que le corps , disposé à recevoir les moindres influence I
d’une atmosphère chargée les soirs et les matins d ’exha-1
laisons putrides, les pompe par tous les pores; car le sang, I
comme l’air et l’eau, est un fluide qui se vicie et se dé-1
compose par la stagnation. Cependant je suis b ien loin
de prétendre que la peste ne puisse être apportée quel-1
quefois en Egypte du dehors, et sur-tout de l ’ intérieur de j
l’Afrique; car, si cette maladie semble, dans beaucoup j
de cas, se gagner par le contact, on doit être assuré que
les vents, qui sont le véhicule des vapeurs malignes et
délétères dont est chargée l’atmosphère, la transportentI
aussi souvent de contrée en contrée la rapidité de ces I
pestes terribles qui, à diverses époques, en 176,211,252, j
539, 558, 74? > 1006 et 1348 de notre ère, o n t moiss
o n n é près d’un tiers de la population de l’ E u ro pe, et I
ont menacé le reste du globe, ne doit pas laisser dedoute 1
à ce sujet, quand l’une de ces pestes sur-tout, sortie de I
l’intérieur de l’Afrique, fut transportée avec la rapidité I
des vents en Egypte et en Syrie, d’où elle se répandit ta I
Europe. J’admets donc que la peste est endémique et epi-1
démique tout-à-Ia-fois ou séparément, suivant l’étatat-1
mosphérique des climats, mais principalement en Egypu-1
L’opinion de Strabon, qui m’a conduit à ce développe8
ment de considérations physiques sur la peste, me confirme
dans celle que j’émets ici, d’après les p ro p re s observations
que j’ai été à portée de faire dans les d e u x a tte in tç
que j’ai éprouvées de cette maladie en Egypte, et auxquelles
je n’ai échappé que par une grande activité, parb
force de l’âge et de mon tempérament, et par des transpirations
excessives que je me suis procurées à propos.
« maladies et font naître la peste. Mais, a Alexandrie, le N il, qui croît arinuelle-
» ment au commencement de 1 ete, fait hausser les eaux du lac, et ne laisse à décou-
» vert aucune partie vaseuse d ou il puisse s élever des exhalaisons nuisibles. Alors
v les vents étesiens, qui soufflent delà partie du nord et de la haute mer, apportent
» la fraîcheur aux habitans d’Alexandrie, qui passent agréablement l’été. »
On ne peut rien dire, à mon sens, de plus précis et de plus exact; on doit conclure
de ce passage du géographe Grec, que l’inondation du lac Mareotis, resserrée
dans de justes limites, en recouvrant le sol fangeux de son bassin desséché, ainsi
que nous l’avons dit dans notre Mémoire sur les lacs d’Égypte, article Mareotis,
doit rendre à cette ville les avantages de son ancienne salubrité. On dit son ancienne
salubrité, parce quil semble que les maladies épidémiques qui ravagent
trop souvent cette ville, ainsi que l’Égypte en général, étoient alors bien moins
fréquentes, ou qu elles avoient bien moins d intensité, que depuis que cette contrée
est tombée sous la domination d un peuple que rendent insouciant au dernier
degré ses opinions religieuses sur l’inévitable destinée des choses humaines.
Après avoir traité de tout ce qu’il importoit de faire connoître de la ville moderne,
nous allons poursuivre notre marche et nos recherches en parcourant des
yeux le plan de son ancien site.
17. Quand on quitte le sol d’atterrissement de la nouvelle ville pour passer
sur ¡ancien continent, on entre par des portes élevées dans une vaste enceinte
fortifiée, qui ne renferme plus que les restes de l’ancienne Alexandrie. Les ruines
des villes ^antiques attirent en général l’intérêt et la curiosité des hommes. Il
semble qu a 1 ombre de ces vieux monumens des générations passées, l’esprit trouve
quelque charme dans les souvenirs pleins de regret qu’ils rappellent : leur aspect
silencieux porte dans 1 ame une émotion secrète qui l’agite et l’élève ; on aime
à les contempler; on les quitte avec peine, on y revient avec plaisir : les ruines
d Alexandrie, au contraire, n inspirent qu’une tristesse amère et profonde; car
elles n offrent que 1 image hideuse de la destruction absolue de l’homme et de ses
ouvrages. En effet, dans un vaste espace, fermé d’une double enceinte flanquée
de tours élevées, le sol n’est couvert que des ruines de vieux monumens ensevelis-
sous des monticules de décombres, de colonnes et de chapiteaux brisés ou renversés,
de pans de murs écroulés, de voûtes enfoncées, de revêtemens de murs
dont lès pierres défigurées sont rongées par l’humidité saline du salpêtre et de
1 acide marin : par-tout on trouve des puits et des citernes à demi comblés, ou
des fouilles profondes, d’où les habitans retirent des pierres calcaires qui portent
encore 1 empreinte du travail des hommes, et qu’ils réduisent en chaux; partout
on ne marche que sur des débris de poteries, de verres, de scories métal-
iques, sur des fragmens de toute espèce de marbres, et au milieu d’une poussière
lanchâtre, que les vents ou les pieds des voyageurs élèvent et promènent
toujours en tourbillons. A u milieu de ce chaos, quelques habitations solitaires,
environnées de tombeaux, semblent ne s’élever du sein de ces ruines que pour
eouvrii de leur ombre l’asile de la mort. Ces tombeaux , formés de petits
«veaux , renferment des corps qui reposent sur un sol de cendres, derniers