vraisemblable. Divers accidens arrivés sous nos yeux nous ont d’ailleurs prouv'
le contraire.
Il nous reste maintenant à parler de l’art d’évoquer les serpens de leur re I
traite; chose beaucoup plus étonnante, en ce qu’elle semble tenir du prodige j
Nous eûmes l’occasion de voir pour la première fois ce spectacle singulier I
à Tahtah, dans la haute Égypte, chez les pères de la Propagande. Un homme se
promenoit dans la rue avec un panier sous le bras, en annonçant à haute voix]
qu’il purgeoit les maisons des serpens qui pouvoient .s’y trouver. Nous vou-1
lûmes mettre le talent du crieur à l’épreuve dans le couvent même, malgré les !
représentations des religieux, qui enseignent à-leurs disciples à ne point se prêter!
à de pareils prestiges; nous devons dire cependant que l’un des pères, moins!
scrupuleux que ses confrères, favorisa notre projet, et fit venir l’homme en ques-|
tion dans une petite cour du couvent. Son panier renfermoit des serpens de|
grandeurs et d’espèces différentes, qu’il nous dit avoir pris dans les maisons voi-J
sines où on l’avoit appelé. Nous lui demandâmes s’il y avoit des reptiles dans lel
couvent, et s il pourroit les en arracher. Alors il composa son visage et ses ma-|
nières, et s’efforça de donner à toute sa personne un air mystérieux : il tournai
les yeux vers les. différens endroits qui l’entouroient ; chacun de ses gestes étoitl
grave; il avoit l’attitude et le maintien d’un inspiré. Enfin il arrêta la vile suri
une chambre très-obscure en flairant, comme si l’odorat avoit pu lui indiquer la|
présence des reptiles; puis il nous répondit qu’il n’y en avoit que. là. Il ouvre la!
porte de la chambre, s’avance à pas lents, tenant à la main une petite baguette. III
articuloit des mots avec un son de voix particulier et des inflexions traînantes:!
les religieux ne comprirent de son discours que le sens de salâm dleykoum, c’estJ
a-dire, que le salut repose sur vous; ce qui équivaut en français à je vous salue. Aprèsl
cette espèce d’exhortation, qui dura tout au plus cinq minutes, il mit un pied|
dans la chambre, cracha par terre, se baissa, et, se relevant ensuite, il nous présenta!
un serpent d’environ quatre pieds de longueur. Il le tenoit par la queue, et lui!
soutenoit la tête avec sa baguette. Ce n’étoit pas tout : deux fois il. recommença les!
mêmes cérémonies, et nous apporta encore deux petits serpens, qu’il mit dans!
son panier avec le grand. Nous congédiâmes cet homme en lui payant le specJ
tacle quil venoit de nous donner. Nous avouons qu’avec un peu de penchant àj
la crédulité, lillusion eût été complète, et que nous eussions pu dès-lors ajouter!
foi a 1 existence des magiciens, qui, selon les idées superstitieuses des Qobtes,!
ont fait pacte avec le diable.
On pourrait croire, ainsi que l’ont fait plusieurs personnes, que cette opération!
n etoit qu une ■ scene d escamotage : mais nous avions pris toutes les précautions!
possibles pour ne point etre trompés de la sorte; nous pouvons assurer, pi'|
exemple, que lOphiogène n’avoit point de serpens cachés sur lui. D’ailleurs,!
pour dissiper tous les doutes,.quelques Européens ont obligé ces hommes à se!
dépouiller de leurs vêtemens, et ils n’en ont pas moins exécuté leur opération!
avec Je meme succès. Nous pourrions en donner plusieurs preuves trop authen-l
tiques pour etre suspectées d’infidélité : mais ce serait s’arrêter trop long-temps!
sur un pareil sujet. Toutefois, pour expliquer d’une manière vraisemblable et
sensée des faits aussi extraordinaires, nous croyons pouvoir supposer que les
Ophiogenes Égyptiens ont lart de donner à leur voix un ton capable d’attirer
les serpens, de meme que le chasseur sait moduler la sienne au point de tromper
le gibier qu il attire dans ses filets. M. de Lacépède, dans son Histoire naturelle,
assure que les serpens en général exhalent une odeur fo r te , et que quelques-
uns sur-tout sont enveloppés d’une atmosphère musquée. Il cite un fait qui
justifie son assertion, et d’où l’on pourroit conclure que l’odorat sert les Ophio-
gènes aussi puissamment que la voix dans la découverte des reptiles. Ces hommes
paroissent aussi avoir reconnu l’effet de la salive sur ces animaux dangereux; tous
les procédés quils suivent l’indiquent suffisamment, et concordent assez avec
l’opinion de Galien, qui prétend que la salive est un poison pour les scorpions
et les serpens. Nous avons vu plusieurs traits qui viennent à l’appui du sentiment
de ce savant médecin. Un homme montrait au peuple un gros serpent, qu’il
irritoit jusqu’à ce que l’animal fût sur le point de le mordre; alors il lui crachoit
dans la bouche, et sa fureur sapaisoit, tout-a-coup ; il restoit presque sans
mouvement. Ces expériences, renouvelées plusieurs fois avec le même succès,
ne permettent guère de révoquer en doute l’efficacité de la salive, sinon comme
poison, du moins comme narcotique, pour les reptiles. Quelques médecins de
1 armée ont essaye les memes procédés à l’égard des scorpions, et ont obtenu
le même résultat.
De tous les serpens de l’Égypte, le plus célèbre est sans contredit le serpent du
Sayd connu sous le nom de chtykh el-Harydy ( i) . Norden, Bruce et Savary font
mention de ce fameux reptile, que la crédulité du peuple et les fourberies des
prêtres musulmans élèvent, pour ainsi dire, à la hauteur d’une divinité du second
ordre. On pourroit faire remonter ce culte bizarre jusqu’à des temps fort anciens,
puisque, selon Herodote et Élien , les peuples de l’Égypte avoient pour
un serpent d’espèce particulière une très-grande vénération; ils le regardoient
comme 1 embleme de la fécondité : Dupuis parle du culte universel dont les
serpens ont été l’objet, et du rôle qu’ils ont joué dans toutes les allégories cos-
miques qui ont présidé a la naissance des cultes divers. Ce qui frappera sans
doute un grand nombre de lecteurs, c est que le serpent Harydy est encore en
Egypte sous les sectateurs de Mahomet ce qu’il étoit autrefois sous les adorateurs
dlsis etdOsiris, le principe de la fécondité, et qu’il ne diffère en rien, pour la
formé et le naturel, de celui que décrit Élien : Hérodote se trompe quand il le
confond avec la vipère à cornes. Les femmes stériles viennent en pèlerinage dans
le lieu qui lui est consacré, pour obtenir, à force d’offrandes et de sacrifices, le
terme de leur infirmité; les jeunes filles y font des voeux pour devenir bientôt
épousés et mères. Nous passerons sous silence toutes les fourberies grossières
des desservans de la mosquée du dieu-reptile, ainsi que les scènes libidineuses
iur sont la conséquence d’un culte aussi absurde. Il nous suffira de dire que les
(0 OOJjü Voyez la Description deCheykh el-Harydy par M. Jomard, A D. chap. XI, a.' suite : il y est
question de ce serpent célèbre.