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TouIoun.Dans la suite, la destination de cet édifice fut de recevoir toute espèce
de malades, et il fut richement doté parles souverains de l’Egypte. A chaque espèce
de maladie étoit affectée une salle particulière, avec un médecin spécial. Chaque
sexe occupoit une partie séparée du monument. On y admettoit tous les malades '1 pauvres ou riches, indistinctement. Les médecins, attirés de diverses parties de
l’Orient, étoient traités avec magnificence : une pharmacie hien pourvue étoit
jointe à l’établissement. On prétend que chacun des malades coûtojt par jour
une pièce d’or (dynâr), et avoit deux personnes pour le servir; que les malades
sujets à l’insomnie étoient transportés dans une salle séparée, où on leur faisoit
entendre une musique pleine d’harmonie; ou bien les conteurs les plus exerces
les récréoient par leurs récits. Dès que les malades commençoient à recouvrer
,:j£ la santé, on les isoloit des; autres; on les faisoit jouir du spectacle de la danse et
l’on représentoit devant eux des sortes de comédies; enfin on leur donnoit
lorsqu’ils sortoient de l’hôpital, cinq pièces d’o r , pour qu’ils ne fussent pas obligés
de se livrer sur-le-champ à des travaux pénibles.
C ’est le sultan el-Mansour Qalaoun qui a fondé, au lieu où il est actuellement
le collège qui dépend de l’hôpital, où l’on enseignoit la médecine et les doctrines
de la religion. Il employa dans les matériaux des colonnes de granit et d’autres
fragmens des anciens édifices. Dans ce même lieu, un autre genre d’institution
avoit été fondé par la fille d’e l-A ’zyz-billah-Nazar, fils de Mo’ezz le-dyn-allah ( i) •
huit cents filles y étoient logées et nourries. Qalaoun transféra ailleurs cet établissement,
et bâtit dans cet ancien local le grand hôpital ou Mouristân en l’an 681
[ 1 2 8 2 ] , avec quatre portiques ornés chacun d’un jet d’eau: les travaux furent
terminés en moins d’un an. L a dotation des revenus affectés à l’entretien date
de l’an 68y [ 1286],
A l’époque de l’expédition Française, ce célèbre établissement, jadis un asile ouvert
au malheur, avoit complètement dégénéré de sa prospérité primitive, ou,pour
mieux dire, il en offroit à peine une ombre décolorée, grâce à l’incurie des Turks
et des Mamlouks, et sur-tout à la dilapidation des deniers de la fondation. Quand
je m’y rendis, les malades, autres que les insensés, étoient au nombre de cinquante
ou soixante : ils occupoient des salles au rez-de-chaussée, ouvertes à tout vent,sans
lits et sans meubles. Les insensés occupoient une autre partie du bâtiment, divisée j
en deux cours, une pour chaque sexe : les fous étoient au nombre de dix, renfermés
dans des loges grillées, ayant une chaîne au cou. Parmi eux étoient deux Barâbrah, j
savoir, un jeune homme fort gai renfermé depuis trois ans, et un esclave d’Elfyiey, j
reclus depuis quatre mois ; un chéryf, maniaque seulement tous les mois ; un
autre ayant sa femme avec lui, &c. : les femmes étoient nues, ou presque point
vêtues. C e vaste bâtiment est contigu à la mosquée dite Gâma Soultân Qalaoun.
L e général Français ordonna au médecin en ch e f de le visiter, de lui en rendre
comp te , et de proposer des vues d’amélioration. M. Desgenettes y fut conduit
par le cheykh A ’bd-allah el-Cherqâouy. V o ic i en quels termes il s’exprime dans son
rapport : « L e Mouristân est un vaste local assez mal situé, susceptible de recevoir
( i ) C’est ce dernier prince, le second des Fatimites, qui fonda le Kaireen 360 de l’hégire [970],
» commodément cent malades (i). Dans le moment actuel, il y a vingt-sept marc
lades, et quatorze insensés, sept hommes et sept femmes. Parmi les malades., il en
» est plusieurs daveugles; un plus grand nombre est attaqué de cancers, d’autres
» languissent de maladies chroniques abandonnées a leurs progrès. Tous sont sans
» autre secours qu’une distribution d’alimens consistant en pain, riz, lentilles, et
» ils ne soupçonnent même pas quils puissent être soulagés ; et dans cet abandon
» aux volontés du destin, ils n’ont jamais connu les médicamens les plus simples.
» Les insensés sont dans deux petites cours séparées, contenant, l’une, dix-huit loget
» pour les hommes, et l’autre, dix-huit loges pour les femmes : les hommes m’ont
»paru froids et mélancoliques; la plupart sont âgés. Un jeune homme seul est
» entré en fureur : il rugissoit comme un lion; et, par une transition presque sans
» nuance, il est rentré dans le calme, et un sourire stupide est venu se placer sur
» ses lèvres. Les loges des femmes ne sont pas toutes grillées; les femmes, quoique
» toutes enchainees, ne sont pas fixées au mur comme les hommes. »
Il existe au Kaire un autre lieu du nom de Mouristân, Mouristân el-aadym,
ou le vieux. C ’est une maison abandonnée depuis long-temps, située au midi, et
non loin de la citadelle (2). (Une citerne et deux okels dans le voisinage de la
mosquée de Soultân el-Ghoury ( 3) portent encore le même nom.) L ’histoire ne
fait, pas mention de deux mouristân : cependant les gens du lieu m’ont affirmé
I existence de Cet ancien mouristân; la maison que j aï vue étoit délabrée, mais
encore habitée. La tradition locale m a appris en outre l’existence d’un autre
hôpital fondé pour les femmes par A ’bd el-Rahman Kykhyeh. Il est situé près de
Taht eLRob’ (4) : il renfermoit alors vingt-six femmes malades ; il porte le nom
peut-etre generique de Tckyeh. L histoire des Mamlouks confirme cette tradition,
quand elle apprend que sous le bey Khalyl, prédécesseur du célèbre A ’ly-bey,le vizir
A’bd el-Rahman Ketkhoda construisit un établissement pour les veuvés indigentes,
en meme temps quun collège pour le mouristân (y). Un autre tekyeh
pour les derviches est dans la rué de Habbânyeh et en porte le nom (6). Un
tekyeh plus considérable, l’hôpital des derviches, fondé par le sultân Dâher
Beybars, est situé dans la grande rue de Salybeh (7) : on l’appelle Tekyet el-A"gâm;
il toùche à la mosquée du même nom. Quand je l’ai visité, il renfermoit seize
malades. Enfin deux autres tekyeh, du nom dé Qeysoun, sont situés, l’un, dans
la rue dite Souq el-Selah (8), et 1 autre, dans la rue de Qeysoun (9 Y. Je termine
cet article sur les fondations charitables par l’énumération dés sommes consacrées
a cette destination, e t qui faisôient partie des dépenses publiques au moment
de l’expédition Française : elles étoient prélevées sur le myry ou l’impôt territorial.
Cet exposé prouvera que l’on a des idées fausses en Europe sur le défaut de
philantropie chez les Orientaux, et sur la négligence absolue de' leurs gouver-
(,I ) Ou plutôt (Jeux cents.
(2) Voye^ le plan du Kaire, planche z6,.È. M. vol. I
(n.° jo , S-4 ). (3 ’) Ibid. ( n.°* 2 9 4 ,2 9 7 ,2 9 8 , L-6. )
(4) Voirie plan du Kaire, planche 2.6, E. M. vol. I
(M-7).
- (5) Abrégé chronologique de l'histoire des Mamlouks ,
par M. Delaporte. ( Voyez É. M. vol. I I , pag. iyy. )
(6 ) Voir le plan du Kaire (n.° 24, P-9 ).
(7) Ibid. (n.° 67, 8-7.) .....
( 8) Ibid. (n.° 13 , R-6.)
( 9) Ibid. (n.° 99, Q-7.)
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