
le cheykh Morback rappela au commandant le secours qu’il lui avoit pronij
et lui demanda en quoi il consisteroit. L e commandant lui répondit qu’il consjsi
teroit en une pièce de canon et cinquante hommes. Cinquante hommes1 seu|i
ment cinquante ! répliqua vivement le cheykh : donnez-en un de plus : cinquaJ
et un ; cinquante et un. Pendant cette réplique, il remuoit l’index droit d’un ■
suppliant et si comique, que nous rie pûmes nous empêcher de rire. 11 g j J
cepèndant, pour le contenter, lui promettre que le détachement seroit ]
cinquante-un hommes au lieu de cinquante.
On a peine à concilier cet amour de l’argent avec la paresse et l’indiiFérencl
qui sont, pour ainsi dire, la base du caractère Égyptien, et même avec la poli!
vigilante qui règne dans le pays. Jamais on ne porte plainte pour des vols dôme!
tiques, ou ce cas du moins est bien rare ; et l’on peut d’.autant plus s’en étoun!
que les maisons et les magasins qui contiennent les marchandises les plus précieuse!
ne sont fermés, pour la plupart, qu’avec de mauvaises serrures de bois. A l’excel
tion des Arabes Bédouins, les habitans de l’Égypte se distinguent par une très-grand*
probité, qui est due en partie à la sévérité des châtimens infligés aux voleurs. S o J
vent des ballots de marchandises de grand prix restent plusieurs jours sur le quaiol
dans des chemins publics, confiés à la bonne foi des habitans, et le propriétaire
n’a jamais à se plaindre d’un abus de confiance. •
Un courtier T u rc avoit fait pour l ’un de nous une petite opération comme!
ciale, qui lui avoit valu un bénéfice de quatre-vingts francs. Quelque :temps aprè!
on alla lui parler d’une autre affaire non moins lucrative pour lui. Il étoit assis!
la porte d’un café, e tfumo it gravement sa pipe. A peine daigna-t-il prêter so!
attention aux offres qu’on lui faisoit. Comme on insis toit, il répliqua: « J e u !
» besoin de rien; va t’adresser à un tel : il est pauvre, et fera ce que tu demand!
» tout aussi bien que moi. ?> Nous avons cité ce trait pour donner un exempll
de la contradiction qui regne souvent entre le caractère et les actions. Rien d l
plus généreux, de plus grand et même de plus philosophique, que la manier!
d agir de ce courtier : que ne seroit-on pas en droit d’espérer avec de parei!
hommes, s il etoit possible d introduire parmi eux des idées plus justes et les l !
mières de la civilisation Européenne ( 1 ) î Nous répéterons souvent cette inconte!
table vérité.
§. VI I .
D es B e stia u x , des Chevaux et autres A n im a u x de course.
L es Egyptiens ne peuvent pas avoir des troupeaux aussi considérables que lea
nôtres, et la raison en est toute simple ; les pâturages n’y sont pas à beaucoup prèi
(1) Malgré ce bel exemple,-Je peuple en général n’est pas naturellement portés à la générosité, et même à la Magénéreux;
mais c’est plutôt par nécessitéquepar caractère: faisance, c’est que tous ceux que leur richesse et N
la générosité supposeroit la fortune, et l’exposeroit infail- pouvoir mettent à l’abri des avanies et des exactions dune
lib lem en t au x v e x a tio n s des dominateurs. F a u t- il qu e la m u ltitu d e d ’oppresseurs su b alte rnes , v iv en t chezeutsvtl
crainte et la tyrannie la plus affreuse étouffent ainsi la plus magnificence, et font faire de fréquentes distribué™
belle des vertus! Ce qui prouve que les Egyptiens sont d’aumônes.
aussi abondans : si l’on en excepte la basse Egypte et les rives du Nil 'dàns'la largeur
d une à trois lieues, tout est d une aridité si; grânde, qu’il seroit 'bien' difficile
de nourrir dés bestiaux. Cependant les habitans >de's campagnes possèdent tous
quelques boeufs et quelques chevres, sur-tout dans le Delta : mais les’ chameaux, lés
chevaux et les ânes sont en bien plus grand nombre, parce que ces animaux sont
moins difficiles à nourrir. On né donne aux chevaux que de la paillé'brtfyée-sous
le naîneau qui sert à égrener-le blé et l’orge : on ajoute à cela du barspf,'espèce de
trèfle. Au printemps, on leur fait manger dé l’orge en1 herbè, quori planté’ à-cet
effet, et qui ne d o it pas parvenir à sa maturité : les jardiniers qui se livrent particfr-
lièrementà cette culture, en foririent de petites bottes, qu’ils vendent dans la ville
«H ou’ deux médins la pièce. Cependant les gens riches et les Mamloiiksv qifi
tiennent à avoir des chevaux de belle apparence et vigoureux, les nourrissent
avec de l’orge en grain’(1). : --- . :
Les chameaux et les ânes ne sont pas aussi bien traités à'beaucoup près; on ne
leur donne que de la paille et de petites fèves de marais , écrasées sous une meule.
Du reste-, ces animaux rongent -aussi lés bourgeons des broussailles qui croissent
auprès des canaux et sur les rives du fleuve : au printemps, on leur donne les
feuilles de divers arbres, dont ils sont-très-friands.-Lorsqueles chaleurs de le té ont
tout brûlé, les paysans ramassent les feuilles de figuier, qui leur servent à nourrir
les boeufs et les chèvres pendant l’hiver.
Au Kaire,- l’âne est la monture ordinaire du'peuple: lés Français s’y sont accoutumés
aisénàen t. Il est vrai qu’en Egypte l’âne n’a point cette lenteur e t cet àir
ignoble qui le caractérisent en Europe : son allure est agréable ; il a plusieurs pas fort
ƻu*jet galope avec beaucoup de vitesse. Sa -force est prodigieuse. Nous en avons
rii dans le désert de très-petits qui portoient presque la moitié de la charge du
chameauj'et qui résistoierit mieux que lui à la fatigue.
'■ p y a plusieurs racés de ces animaux au Kaire. Lés -grands sont très-beaux et méritent
les éloges que Buffon a faits de leur espèce. Ils ont jusqu’à trois pieds et trois
pieds et demi de haut, sans compter la tête': le cou est large et court, la ;tête
élevée et-bien faite , l’attitude de leur Corps bien prisé; ils ont l’air noble ’ et d’oeil
plein de vivacité. Ceux-là sont très-forts; leur pas est doux et agréable pour uh câ‘-
vâlierï -mais ils coûtent fort cher, et sont-souvent préférés aux chevaux. Us se
vendent jusquà soixante et soixante-dix talaris ou piastres d’Espagne. Il est inutile
de dire que cette race est trop belle et trop estimée pour qu’on en trouve à louer
dans la ville : ils sont la propriété des particuliers qui peuvent les acheter.
Ceux que les âniers conduisent sont beaucoup plus petits; mais ils sont également
très-bons. O n paie une course d’un bout du Kaire à l’autre huit à dix parais.
Le louage dun âne pour un jour peut coûter trente ou quarante parats. Avant
notre arrivée en Egypte ce prix étoit moins élevé; et la raison en est bien simple,
^ {tj Les Arabes nourrissent leurs chevaux avec fortpeu a’ndel-giou^,yâ battit el-AWab ma1 tl-kheyl [Heureux le
e e ose. Ces chevaux sont maigres et robustes : ils sup- cheval avec le Mamlouk ! heureux l’Arabe avec lé cheval!],
Portent les fatigues et les privations beaucoup mieux que pour exprimer que l’Arabe retire à peu de frais de três-
«orde belle apparence. Ils ne boivent qu’une fois par grands avantages dé son chevaf, et que lé cheval du Matri-
J°or. Arabe dit souvent en proverbe, Yâbakhi tl-kheyl louk tire en quelque sorte un grand profit de son maître.