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 L e  Grand-Seigneur choisit parmi  les descendans les plus distingués  du Prophète  
 un  naqyb  cl-uchrâf,  ou  procureur et représentant des  chéryfs.  C ’est une  charge con-1  
 sidér'abie,  et  celui qui  en  est revêtu  réside au grand  ICaire  :  ce personnage  est ordi-1  
 nairement  envoyé  de  Constantinople  avec: le  qâdy.  Il  paie  pour  son  investiture I  
 environ  40,000 médins,  et jouit du revenu de plusieurs  hameaux, qui  sont comme I  
 l’apanage  de son  emploi.  Cette dignité  n’est  conférée  que pour un  an  :  au  bout del  
 ce terme,  le  naqyb  est  remplacé  ou  confirmé,  suivant  le bon  plaisir  de  la Porte I 
 Tous  les  chéryfs  soumis  à  la  juridiction  du  naqyb  sont  justiciables  de  ce ma-|  
 gistrat  pour  les  fautes  légères ;  mais  il  n’en  peut  condamner  aucun  à  la  peine!  
 de mort  :  le  qâdy  seul  a  le  droit  de  les  juger,  ainsi  que  les  autres  musulmans I  
 en  matière  civile  et  criminelle;  et  lorsqu’il  prononce  une  sentence  de  monl  
 contre  l’un  d’eux,  c’est au  naqyb  à  la  faire  exécuter.  Les  chéryfs  ont  leur prison àl  
 part  :  une  partie du revenu  des  villages du  naqyb  est employée  à  la  nourriture des!  
 prisonniers  (1). 
 Il  n’est  aucun  endroit  de  la  Turquie  où  les  chéryfs  jouissent  d’une  plus grande!  
 considération  qua  la Mecque;  ils  y  ont le  pas:sur  tous  les musulmans dans  les cé-|  
 rémonies.religieuses;  on  leur  accorde  en  outre  plusieurs  prérogatives.  Le  chéryfl  
 de  la  Mecque  n’est  cependant  que  prince  temporel  ;  il  n’a  aucune  prééminence!  
 religieuse,  et même  la prière ne se fait point en  son  nom;  c’est toujours au nom du!  
 Grand-Seigneur  qu’on  officie dans le  temple  de  la Mecque. 
 Nous  avons  déjà parlé  des  u'iemâ  ou  lettrés;  ils  se  divisent  en  trois  grandes!  
 classes  :  les ministres de  la religion, les  docteurs de  la  loi,  et les qâdy.  Les premiers!  
 sont  les  imâm;  dans  la  seconde  classe  on  comprend  les. moufty,  ou  docteurs  en  
 avocats  consultans  qui  donnent  leur  décision  sur  toutes  les  affaires;  la  troisièmes  
 se  compose  des  ministres de  la justice.  On  donne  le  titre de moula,  dont  le nonrl  
 signifie maître,  seigneur,  aux magistrats du premier ordre. 
 Le cheykh  el-islâm,  ou moufty de  Constantinople,  et  le  grand  vizir,  sont,  après!  
 le  sultan,  les  deux  personnages  les  plus  éminens  de  l’empire :  ils  représentent™  
 souverain;  l’un  au spirituel,  et l’autre au  temporel.  L e   Grand-Seigneur  n’a  paslel  
 droit  de  faire  supplicier  un  moufty d’une manière  commune;  et  lorsqu’un indi*  
 vidu  revêtu  de  cette charge suprême  se  rend  coupable  d’un  crime  capital,  il subi*  
 une  peine  particulière,  peut-être  plus  affreuse  encore  que  celles  que  l’on infligí!  
 aux  criminels d’une  condition ordinaire. 
 O n   soumet  au  moufty  les  questions  embarrassantes  qui  peuvent  se  présentetB  
 sur les  divers  cas de la  loi.  Comme les fonctions de ce magistrat consistent sur-touB  
 à donner son  opinion,sur les peines  encourues pour certains délits,  et sur les droit*  
 respectifs  des  personnes  en  procès,  on  s’adresse  à  lui  pour  obtenir  une  décision:  
 émanée  de son  tribunal. Cette espèce de  solution  d’une  question  de  droit civil oifl  
 de procédure criminelle  se  nomme fitouah  :  c’est  comme  un-prononcé légal, <pnj  
 détermine souvent  la  sentence du  qâdy.  Les  imâm rédigent  et  écrivent lesfatomM 
 (1)  II  existe  aussi  quelque différence dans  la  manière  étrangle.  Leurs  corps  ne sont  pas  non plus  exposes apR(I 
 de  supplicier  les  chéryfs :  on  ne peut pas  leur  trancher la  l’exécution; on Ies'ensevelit sur-le-champ, 
 tête;  le naqyb envoie dans la prison  un  exécuteur qui les 
 mais, lorsqu on demande  au  moufty  des  éclaircissemens  sur  un  point  obscur  du  
 d r o it   public,  ce magistrat  convoque  les  principaux  u'iemâ,  et  discute  le  cas  avec  
 eux. Il  es1 rare  un  ffâdy  très-versé dans la  jurisprudence  demande l’opinion  d’un  
 moufty,  et  encore  plus  quil  s en  tienne  à  ses  décisions  :  mais,  s’il  n’est  pas  fort  
 habile, comme  il  arrive assez souvent, il demande  toujours  l’avis  du moufty  avant  
 de  prononcer. 
 Les quatre  sectes Mahométanes  dont nous  avons  fait mention  dans  le  premier  
 chapitre,ont  au  Kaire  leur  moufty particulier:  ces  charges  ne  se donnent  pas;  il  
 paraît  que  c’est un  titre  ou plutôt une  dignité  acquise  par  la réputation.  Dans  les  
 villes  dun  ordre  inférieur,  et  cependant  d’une  certaine  importance,  le  mûufty  
 envoie un  moula  pour  le  représenter.  Les  moula  n’exercent  leurs  fonctions  que  
 pendant  un tres-court espace  de  temps  :  en  T  urquie,  on  les  change  tous  les mois,  
 et ils paient  leur investiture  plus  ou moins  cher,  suivant  les  ressources  de  la  ville  
 où ils vont  exercer.  Les moulià  sont,  après  les  tnoutsallem  ou gouverneurs,  les  premières  
 autorités de la ville. 
 On  trouve  en  Egypte  un  ordre  de  moines  musulmans  qui  est  assez  répandu  
 dans les autres états  Turcs  :  les  individus  qui en  font partie se nomment  derviches ;  
 ils vivent  en  communauté,  et  voyagent .d’un  couvent  à un  autre.  L e  mariage ne  
 leur est pas défendu  : mais  leurs femmes  ne peuvent être admises dans le  couvent ;  
 elles doivent  résider  dans  des  maisons  particulières.  Chaque  communauté  a  des  
 revenus provenant des  legs  et des  fondations  des  musulmans  pieux  :  l’ordre a  des  
 supérieurs,  et  les  couvens  ont  des  chefs  respectifs  nommés  cheykhs.  Il  s’en  faut  au  
 reste  que  ces-religieux  jouissent  d’une  considération  générale  :  on  les  accuse  de  
 philosophie,  et  cette  imputation  est  très-grave  chez  un  peuple  ignorant,  attaché  
 à ses  erreurs  par  une  longue  habitude.  Les  Orientaux  appellent  philosophes  les  
 esprits  forts,  incrédules  sur plusieurs  points,  et  sur-tout  peu  disposés  à  croire  aux  
 miracles  du  Prophète.  Il  est  cependant  assez  difficile  d’admettre  une  pareille  
 accusation  contre  les  derviches,  qui  ne  sont  pas  assez  éclairés  pour  approfondir  
 des sujets sérieux ; ils  ne  paroissent pas  même s’en  occuper.  Quoi  qu’il  en  soit,  on  
 soupçonne le plus grand nombre d entre  eux d’impiété  et  d’hérésie  :  leurs  ennemis  
 disent quils  bornent toute  leur religion à  la croyance  en Dieu, sans  attacher aucun  
 mérite à  la prière  et aux  autres  pratiques  extérieures ;  qu’ils  ne  s’y   soumettent  que  
 pour la forme,  et  que  leurs  démonstrations  sont  vaines  et  hypocrites.  Il  y  a  plusieurs  
 autres  classes de religieux musulmans;  mais,  comme  les uns  vivent  en  anachorètes, 
   et  les  autres  en  pèlerins,  il  seroit difficile de donner  des détails  positifs  
 sur leur  compte.  Nous  nous  bornerons  à  dire  quelque  chose  sur  les  santons,  qui  
 sont pour  les  Égyptiens  l’objet d’une  vénération  toute  particulière. 
 Il  n est  aucun  peuple  connu  qui  n’ait  mêlé  à  sa  croyance  ou  à  ses  pratiques  
 religieuses  quelques  observances  ridicules  :  les  Égyptiens  de  l’antiquité  représentèrent  
 tour  à  tour  la  Divinité  sous  les  formes  les  plus  bizarres  et  les  
 plus monstrueuses;  les  Grecs  sanctifièrent  des  orgies  dégoûtantes;  les  Romains  
 eurent  des  aruspices ;  et  les  graves  sénateurs de  la  première république  du monde  
 sen  remirent  plus  d’une  fois  à  l’appétit  des  poulets  sacrés,  ou  bien à  l’inspection