prendre un autre fellâh. Ce nouveau cultivateur est ordinairement présenté jul
moultezim par le principal cheykh du villagé, et c’est ià-dessus quil règle s o n l
choix. Mais l’ancien laboureur n’est pas exproprié sans retour; il suffit qu’il pujssef i
parvenir à payer ses redevances, pour recouvrer son domaine. D ’un autre côté,B
s’il arrive qu’un fellâh soit lésé par le moultezim d une maniéré trop évidente etfl
trop onéreuse, il peut abandonner son champ, e t , dans ce cas, le cheykh de«
fellâh et le moultezim le remplacent.
On ne doit pas oublier qu’ic i, comme dans tout ce qui a rapport à 1 Egypte, les
lois positives n’ont ni la précision ni la force des institutions Européennes. Suifl
les bords du Nil, on n’attache, pour ainsi dire, qu’une importance secondaire a i l
droit écrit, tandis que l’usage dicte à son gré les arrêts des magistrats, ou les exacB
rions criminelles des hommes influens dans toutes les classes. Par suite d un a l «
si barbare, les fellâh sont bien plus esclaves qu’ils ne devroient l’être : leur sort est |
soumis ait caprice du moultezim, qui peut, à son gré, les réduire a la plus affreu J
misère, ou leur accorder une existence heureuse pour leur condition. Ces dispofl
sitions monstrueuses et impolitiques tout ensemble ne sont pas les moins déplifl
rables de celles qui rendroient si nécessaire une nouvelle organisation législawH
en Egypte (i).
L e moultezim est libre d’aliéner, quand il le veut, la redevance, des fellâh : lors- !
qu’il agit ainsi, le nouveau moultezim paie le myry en sa place. Mais, o u tre«
feddân cultivés par les fellâ h , il existe dans la division territoriale de chaque vlH
lage un espace de terrain qui n est point assujetti aux memes usages : les chainj^|
en sont partagés entre les propriétaires, proportionnellement au nombre
feddân qu’ils possèdent. C e nouveau domaine se nomme ousyeh (2), et les fdÆ
ne le font pas valoir aux mêmes conditions que les autres terres : le propriétaiiB
y emploie qui il veut, et fait pour cela les accords qui lui plaisent. Neanmoin|||
lorsque le moultezhn vend la terre des fellâ h , il vend aussi la partie correspoH
dante de l’ousyeh ; ces deux possessions ne peuvent point se séparer.
Les enfans d’un moultezim héritent des propriétés de leur père; mais ils M j
succèdent à ses droits que du consentement du pâchâ. C e t officier, en sa qualité j
de représentant du Grand-Seigneur, perçoit alors une rétribution qui peutsélev»
jusqu’à trois fois le fàyz d’une année, non compris le barrâny. Les pâchâs afferme™
ce droit en payant à la cour de Constantinople le prix de leur bail. Ils modifie™
souvent la somme exigible pour droit de succession, et agissent à cet égard envaH
les moultezim, comme ceux-ci envers les fellâh dans la même circonstance. I S
Égyptiens considèrent les taxes des héritages comme une espèce de rachat d f l
terre : ainsi les enfans du moultezim entrent de droit dans les possessions dett
père en payant la taxe imposée.
Autrefois l’Egypte étoit possédée par une foule de grands propriétaires;
les Mamlouks les ont détruits successivement pour se partager leurs dépouilles.
(1) Du côté d’AIep, les terres sont, pour ainsi dire, se réserve une portion des fruits. II y a des habiw^H
partagées entre le Grand-Seigneur, qui perçoit le myry Constantinople qui possèdent des terres à. Alepsur
le propriétaire; le .propriétaire, qui prélève une rente (2) II n’y a point d’ousyeh dans la haute ma
annuelle en produits ou en argent; et le cultivateur, qui partir de Minyeh.
r é s u lte de ces déprédations que les membres du gouvernement des Mamlouks
so n t devenus propriétaires de presque toute l’Égypte : ils ont au moins les deux
tiers des terrains cultivables. Cela n’empêche pas que quelques autres individus
n ’ a i e n t encore des possessions considérables. On citoit le cheykh Hammâm comme
a y a n t eu en sa propriété un grand nombre des villages de la haute Égypte.
On auroit tort de conclure, d’après tout ce que nous venons de dire, que les
Égyptiens n’ont point d’idée juste de la véritable propriété : ils la commissent
sans doute; mais comment pourroient-ils en jou ir, lorsque tout s’oppose à leur
bonheur! Les usages, la tyrannie des gouvernans et l’avidité des moultezim, sont
un obstacle insurmontable. Il faudroit une réforme complète, e t , pour ainsi dire,
une nouvelle division territoriale. Si les Français avoient pu se consolider dans la
possession du pays, il n’est pas douteux qu’ils n’eussent bientôt corrigé les vices
d'une pareille organisation. L e peuple des campagnes, protégé par des lois sages,
auroit recouvré tout ensemble l’énergie et l’espérance! D e combien de richesses
nouvelles ne se seroit point couvert alors le sol productif qui mérita jadis le nom
ie grenier de Rome ( i ) !
§. VI.
D e l ’Esclavage et de l ’Affranchissement.
L e s peuples Orientaux ont conservé l’antique usage de se faire servir par des
esclaves. Nous nous abstiendrons à cet égard de toute réflexion pénible ; quelque
légitimes qu’ils pussent être, nos reproches retomberoient peut-être sur l’Europe,
et chacun d’eux seroit une critique amère du commerce honteux qu’elle a toléré
jusqu’ici : les colonies du nouveau monde et les fies de la mer d’Afrique, théâtres
de la barbarie des peuples civilisés, offrent le spectacle d’un esclavage bien plus
odieux, et bien plus attentatoire aux droits sacrés de l’humanité ; car, il faut ici
l’avouer à la honte de la civilisation, le sort des esclaves en Égypte, comme dans
tous les pays du Levant, est bien moins à plaindre que celui des esclaves de l’Amé rique.
Ceux-ci arrosent à-la-fois de leurs sueurs et de leur sang les campagnes d’un
marchand sans pitié : ceu x-là, au contraire, admis dans l’intérieur des familles,
dont ils sont, pour ainsi dire, autant de membres,n’ont d’autre tâche à remplir
que le service de la maison, et leur condition n’est pas toujours malheureuse ;
lorsqu’ils ont un bey pour maître, l’esclavage est souvent pour eux un premier
pas vers la fortune ou le pouvoir.
Les Egyptiens ont deux espèces d’esclaves: les nègres de l’intérieur de l’Afrique,
qui sont amenés au Kaire et dans les grandes villes par les caravanes; et les blancs
des provinces d’Asie qui avoisinent la mer Noire : mais il existe une bien grande
(1) Pour donner au lecteur une idée approximative de redevances payées en nature par le fellâh au moultezim
misère des fellâh, ‘nous nous appuierons du témoi- ne se montent pas à moins de deux à trois ardeb et demi
gnage de Ma’llem Ya’qoub, intendant Qobte, qui nous de grains par feddân : qu’on fasse ensuite la déduction des
a assure que dix arpens de bonne terre dans la haute frais de labour, de semailles, et l’on verra qu’il ne reste
Egypte rapportoient cinquante ardeb de blé pour cinq presque rien au malheureux fellâh.
ardeb de semence ; il nous a assuré également que les