
ainsi une lieue carrée de terre à blé rapporte plus de seize mille ardeb de t ' néfice. En supposant que l’ardeb vaille huit francs, ce seroit un bénéfice de cent I
trente-trois mille francs par lieue carrée, ou de cent trente-trois millions
toute la superficie. On peut encore multiplier les récoltes, ou substituer à la culto/ 1
du blé des plantations infiniment plus lucratives, comme celles du sucre et d I 1 indigo. L a première offre un bénéfice quinze fois plus considérable que celui d ■
blé : mais elle exige un capital beaucoup plus fo r t , et le rapport du bénéfice aul
bénéfice est moindre en proportion pour le sucre que pour le blé; en sorte miel
1 intérêt de 1 argent placé en culture de sucre est moindre que celui de la mcmc I
somme employée a la culture du froment. Le seul avantage qui pourroit décil
der en faveur du sucre, ou même la seule compensation que cette culture pem|
offrir, c est qu il suffit d’y employer une petite étendue de terrain, tandis que le bfél
demande beaucoup plus d’espace.
Il seroit facile aussi d augmenter la superficie des terres cultivables : mais I
quoi que Ion puisse faire, nous pensons que l’Égypte, entre les mains de ses!
possesseurs actuels, rapporteroit tout au plus cent cinquante millions; encore!
faut-il prélever sur cette somme quarante millions pour frais de semence et del
récolte : il reste donc cent dix millions net ; et nous sommes persuadé que toutel
l’industrie Européenne parviendroit difficilement à tripier ou même à doubler c e l
produit territorial. II sen faudrait encore de beaucoup, en supposant qu’onl
arrive à ce résultat, que l’Égypte approchât de la richesse de la France, malgré!
sa prodigieuse fécondité, puisqu’en France l’impôt territorial seul s’élève au-delï
de trois cents millions.
Les fondations pieuses sanctionnées par Je pâchâ, représentant du Grand«
Seigneur, sont exemptes du myry : toutes les autres possessions territorial e l
sont soumises a cet im p ô t, dont nous avons donné la quotité dans le chapitrel
précédent.
On sème le lin et le blé en novembre, à mesure que les eaux de ímondation s i l
retirent. Les semailles se font plus tôt dans la haute Égypte, où les- débordement
sont moins considérables : le coton se sème à la fin de mars et au commencement
d’avril ; on le recueille en juillet et en août; les autres récoltes se font au bout M
cinq mois.
Les Égyptiens modernes, a 1 instar de leurs ancêtres, emploient les irrigation*
à la culture des terres : mais ce procédé ingénieux, que les anciens avoient port®
à un si haut point de perfection, a bien perdu sous les modernes de son utilité«
A u reste, la charrue est encore à peu près la même; celle qu’on a trouvée peint*
dans les hypogees, et celle dont se servent les cultivateurs de nos jours e ifl
Égypte, ont entre elles la plus grande analogie : elle est très-simple, parce q u *
la terre n offre par-tout qu une foible résistance. On remarque aussi la plus grand*
ressemblance entre les procédés antiques et les procédés modernes pour battre lej
blé . aujourd hui, cependant, on se sert moins des boeufs pour fouler les gerbel
que pour traîner un chariot propre à les égrener.
Après avoir parlé de la terre, de sa culture et de ses produits, il est bon da
dire quelques mots des hommes qui la font valoir. Ces malheureux sont \es fellâ h,
d o n t le nom se trouve répété si souvent dans le cours de cet ouvrage. Ils ne
ressemblent en rien aux paysans- ou aux fermiers des autres contrées : la plupart
des voyageurs qui ont parcouru 1 Égypte dans le courant du siècle dernier, n’ont
donne aucune attention a cette classe laborieuse et persécutée; les détails que l’on
va lire auront donc en quelque sorte 1 attrait de la nouveauté pour le plus grand
nombre des lecteurs.
Le fellâh est le plus timide des hommes : son naturel craintif est sans doute la
conséquence de l’état d’oppression où le retiennent deux maîtres inflexibles. En
effet, il ne cesse d’être obsédé par les beys ou leurs lieutenans, que pour recevoir
la loi des Arabes; et quand il a satisfait à ceux-ci, de nouvelles vexations des beys
o u des kâchefs achèvent de le dépouiller. L e malheureux fellâh reste sans défense,
en butte aux caprices de tous ces hommes à cheval, toujours armés en guerre dans
leurs moindres excursions. Ij donne autant de boeufs, de moutons, de mesures de
grains qu il en a, et va gémir dans un autre lieu avec sa femme et ses enfans. La
sobriété qui le caractérise, lui permet de gagner aisément ce qui est nécessaire à
sa subsistance et à celle de sa famille. Il engage son temps, et reçoit pour salaire
un nombre convenu de mesures de dourah et de légumes. Chaque soir, il prépare
lui-meme son pain; il brise son dourah entre deux pierres; puis il en fait cuire la
pâte sur des cendres chaudes, car il ne possède point de four. Pour avoir des
dattes, des ognons, du beurre, des oeufs, du lait et du fromage, il échange avec
d’autres fellâh le froment ou les fèves qu’il a reçus de son maître. Il est content de
son genre de vie, tant l’habitude du malheur abrutit le caractère; il oublie et les
bestiaux que les Bédouins lui ont volés, et les tributs excessifs que ses tyrans ont
exigés de lui. Lorsque le travail abonde, qu’il est mieux payé et qu’il peut faire
des économies, il rachète un âne, quelques moutons, des instrumens aratoires, et
retourne à sa première habitation, où le cheykh lui rend les terres qu’il faisoit
valoir précédemment.
Le costume des fellâh consiste en une simple tunique appelée qamys ou chemise:
ce vêtement est fendu depuis le cou jusqu’au bas-ventre; il n’a point de
manches, descend jusqu’aux genoux, et reste fixé sur le corps par le moyen d’une
ceinture de cuir : letoffè en est un tissu de coton bleu. Outre cela, ils ont pour
coiffure une calotte de feutre rouge, nommée tarbouch; et les moins pauvres, un
turban formé d’une bande de toile en coton rayé, roulée sur la calotte. A u reste,
leurs jambes, leurs pieds et leurs bras sont tout-à-fait nus : tous n’ont pas même la
tunique dont nous avons parlé ; ceux-là se contentent d’attacher à leur ceinture
une pièce de toile passée autour de leurs reins. Les plus riches portent des babouches,
un caleçon et un manteau noir en laine par-dessus la tunique : ce manteau
a reçu le nom de bicht.
Quand on connoît la misère, l’avilissement et la dégradation des fe llâ h , on peut
se faire une idée juste de l’expression de leur physionomie. Des hommes condamnes
à tant d’abjection et de servitude, jouets continuels du caprice d’ un si
grand nombre de maîtres, peuvent-ils avoir le regard franc, le visage serein,