N O T I O N S
SUR LES MONUMENS, LA POPULATION,
L’INDUSTRIE, LE COMMERCE ET L’HISTOIRE
DE LA VILLE DU KAIRE.
L e s notions qu’on va lire sont pour la plupart le résultat d’un travail dont je fus
chargé par le chef dés ingénieurs géographes, pour compléter le plan géométrique
du Kaire et ajouter à son utilité ( i); il s’agissoit d’inscrire sur toutes les parties
de ce plan les noms exacts des étahlissemens publics et des monumens de toute
espèce, en même temps que ceux des quartiers et des rues de la ville. Je devois
aussi recueillir des renseignemens sur le commerce et l’industrie, la population
et les usages des hahitans. L a tournée que je fis dans le Kaire, commença le 19frimaire
an 8 et dura deux mois entiers, sans un jour d’interruption ; j’étois accompagné
dun interprète e td u n écrivain de l’odabâchy, connoissant parfaitement la
ville, et de trois ou quatre autres indicateurs. Les chevaux suivoient par derrière
avec les domestiques. Aussitôt chaque indication obtenue, les noms étoient écrits
en arabe sur le plan original par 1 écrivain, copte, grec ou musulman, et par moi-
même en lettres françaises. Les descriptions étoient inscrites en même temps, et
en présence du lieu même, sur un cahier de renseignemens. Ici je n’ai fait qu’ajouter
a ces détails plusieurs circonstances historiques, pour interrompre la monotonie
et 1 aridité de la nomenclature : je les ai empruntées à divers savans
orientalistes, M. Venture et M. Marcel, qui faisoient partie de l’expédition,
M. Silvestre de Sacy, principalement pour la traduction d’A ’bd el-Latyf (2), les
auteurs des Notices des manuscrits de la Bibliothèque du R o i, &c., de manière
qu on trouvera ici la substance d’un assez grand nombre de passages d’el-Maçoudy,
el-Edricy, Ahou el-Fedâ, A ’bd el-Latyf, A ’bd el-Rachyd el-Bakouy, ei-Makyn,
Chems el-Dyn, Ebn el-Ouârdy, el-Maqryzy, Ben-Ayâs, el-Soyouty, Hadgy-Khal-
fah, Yo u sef hen-Meryi, &c. sur la topographie du Kaire et des environs.
§. I .ct
D u Canal du Kaire.
L e Kaire est séparé, dans le sens de sa longueur, en deux parties un peu inégales,
par un canal qui dérive du Nil au-dessous du nilomètre de l’île de Roudah(3),
au point meme ou se trouve la prise d eau de l’aqueduc, et qui se jette dans le canal
(1) Relativement aux opérations faites pour le plan (2) Relation i ’A'bi el-Latyf, traduite par M. Silvestre
géométrique du Kaire, consultez le Mémoire du colonel de Sacy.
Jacotin sur la construction de la carte d'Égypte , ci- (3) Voyez É. M. vol. / , vlanchts ,S a 26.
dessus, pag. 6j.
appelé Abou-M eneggthJancienne branche Pélusiaque, à une lieue au-dessous de
Chybyn el-Qanâter. C ’est par ce eanal que les eaux sont introduites chaque
année dans les étangs intérieurs et extérieurs, et dans plusieurs grandes places de
la ville, à 1 époque de l’inondation, et à la suite d’une cérémonie qui est
décrite ailleurs ( t ) . Sa largeur varie de y à 10 mètres [ 1 5 à 30 pieds]; il
n’est point bordé de quais, et les maisons sont baignées par l’eau : ainsi nulle
part on ne peut jouir de la vue du canal, excepté quand on est aux fenêtres des
maisons dont il arrose le pied, et on ne l’aperçoit même pas du haut des ponts
assez nombreux qui le traversent, parce que les parapets ont plus de 2 mètres
d'élévation. Il prend divers noms au-dehors et au-dedans du Kaire : il en est de
meme dune branche de ceinture qui communique avec l’étang de Qâsim-bey, et
qui rentre dans la branche principale, près de la mosquée de Dâber, après avoir
fait le tour de la partie occidentale de la ville.
Les auteurs Arabes l’appellent canal du Kaire, canal du Prince des fidèles ou des
croyans, parce qu’A ’mrou le fit creuser en 639, par ordre d’O’mar, pour faire
communiquer le Nil avec la mer Rouge, et enfin canal de Hakem; on le désigne
aussi au Kaire sous le nom de khalyg seulement, c’est-à-dire, canal (2). U seroit
intéressant de comparer les passages des écrivains Arabes au sujet du canal et des
lieux qui! baigne, avec le plan de la ville et des environs, et avec la nomenclature
detaillee que j ai inseree dans ce mémoire, nomenclature qui a été l’objet
dune attention minutieuse, tant pendant le cours de l’expédition que depuis; on
reconnoîtroit probablement la plupart des monumens et des lieux, et même des
noms que citent ces auteurs. C e travail, que je ne ferai qu’ébaucher, sera maintenant
aisé à faire plus complètement, et c’est principalement pour le faciliter que
je publie ici tous les noms en arabe, tels que je les ai fait inscrire, sur les lieux et
sous mes yeux, sur les feuilles originales de la topographie du Kaire, inscrivant
moi-méme, comme je l’ai dit, après l’écrivain du pays, les noms comme je les
entendois prononcer. Il sera facile, avec le secours des plans et de la nomenclature
authentique, de suivre le texte des auteurs et d’entendre leurs descriptions,
mieux qu’on ne l’a pu faire jusqu’à présent; ce qui contribuera à compléter l’histoire
de la ville du Kaire.
Un nom qui rappelle une époque beaucoup plus ancienne a été connu des
auteurs Arabes; Maqtyzy nous apprend qu’il s’appeloit canal d ’Adrien César,
nom qui paroit correspondre au Trajanus amnis de Ptolémée : d’Anville l’a déjà
remarque. Puisque le canal du Kaire est la tête de celui qui, dans l’antiquité,
communiquoit avec la mer Rouge, et que, d’un autre côté , il est constant que, bien
avant les Arabes, et à quatre époques différentes, la communication des deux
mers avoit été opérée ou rétablie, n’est-on pas fondé à croire qu’A ’mrou ne fit pas
construire même la partie de ce canal voisine de Fostât, et que seulement il fit
recreuser tout 1 ancien canal, qui étoit encombré de sables par le laps des siècles ;
ensuite, quil lui donna le surnom d’O ’mar ou du Prince des fidèles ! Les termes
|11 Voyez ci-après, §. vm .
(2) Le canal a pris aussi le nom de Louloua, de celui d’un belvéder qui étoit placé près de son origine.