
y f a A C T
Séance du 23 août.
M. Thouret. Nous-en femmes reftes au paragraphe
I l du titre relatif à la liberté de la prefle.
C e paragraphe eft ainfi conçu :
« Les calomnies volontaires contre la probité
des fon&Lonnaires publics & contre la droiture
'‘de leurs intentions dans l'exercice de leurs tonc-
tions , peuvent être déiioncées ou pouriuivies
par ceux qui en font 1 objet” .
Deux proportions nous avoient ete prefentees,
qui nous ont paru tenir a des excès également
nuifibles : l’ une nous jetteroit dans un océan fans,
bornes dè calomniés, qui exciteroient fans celle
des orages politiques ; 1 autre renfermeroit la
prefle dans un efpace fi étroit, que fa liberté ||||#
:in e chimère; Nous avons penfé qu’il falloir lanler '
toute liberté de parler & d'écrire fur les actes de
.l’adminiftration publique 5 mais que la loi doit etre
la fauvé-garde du magiftrat 3 contre toutes les calomnies
qui tendroient à inculper fa bonne toi &
la droiture de fes intentions. On peut dire , lans
d é lit3 quun magiftrat s’eft trompe, que tel acte
adminiftratif neft pas dans les-bornes prefcnt'es
par la loi 5 mais on ne peut pas ^débiter 3 fans en
avoir la preuve bien acquife par un jugement 3
que ce magiftrat eft un malfaiteur 3 un concuflion-
naire. Autorifer les calomnies contre les perfonnes
mêmes & contre les intentions 3 ce feroit protéger
un vice dangereux à l’ordre fecial, dont 1 impunité
tendroit à troubler fréquemment la tranquillité
3 & qui rendroit en outre les fonctions
publiques dégoûtantes 3 par l’obligation-où I on
feroit de fe défendre perpétuellement par des
écrits répulfifs de ces calomnies.
Af. Pétion. Comme dans les comités j'ai éte|
d’un avis oppofé à celui qu’ils vous propofent 31
je vais vous expofer mes motifs. Un des plus,
grands bienfaits de la liberté à& la prelfe , eft
d’inviter les citoyens à furveiller fans cefle les
hommes en place 3 à éclairer- leur conduite , à
démafquer leurs intrigues, à avertir la fociéte des
dangers quelle court. La liberté de la prefle créé
des fentinelles vigilantes j elle donne quelquefois
de faufles aÜarmes, mais quelquefois elle en donne
d'utiles j & il vaut mieux être fur la^défenfive,
lorfquon n'eft pas attaqué , que d’être pris au ;
dépourvu. Il viendra même un temps ou les bien-
• faits de la loi & fon influence, ne fe feront fentir.
qu’autant que ceux à qui la garde en eft confiée1
feront intègres & vertueux.’ La cenfure publique
aura alors plus befoin de s’exercer fur les hommes
que fur les chofes j car, lorfque la loi fera ancienne,
on n’aura plus l’efpérance de la faire réformer facn
Iement.Pourfuiyre les écrivains courageux qui ofe-
ront alors éclairer la conduite des magiftrats publics
, ce fera donc détruire cette cenfure
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furveillance ? Quelle eft en effet la pêrfonne quj
voudra attaquer un miniftre ? O a fera intimement
convaincu qu’un fon&ionnaire public eft coupa,
ble , qu’il trahit la confiance du peuple 5 on aura
reçu une confidence d’un inférieur qui ne voudra
pas être nommé 5 enfin, une foule d’indices obli-
geront la confidence d’un homme vertueux de fe
déclarer , il aura fauvé la patrie , & en vertu de
la loi qu’on vous propofe , il fera traduit en juf.
tice j déclaré calomniateur. (O n murmure.)
S i vous ne voulez pas qu’on pùiffè dénoncer à
l’opinion les hommes publics , voyez avec quel
fuccès des fonctionnaires prévaricateurs pourront
exécuter leurs complots. 11 eft fi aifé aux hommes
puiflans de cacher les traces de leur conduite,
d’échapper à la juftice, que"vous avez vu des dilj.
pidateurs des deniers publics , des hommes difij.
més dans l’opinion, ne laifler après leur chiite
qu’une mémoire flétrie , & cependant fe fouftrairè
à toutes les pourfuites.juridiques. Quoi ! j’attendrai
que l’ennemi foit entré en France, pour dire
que la France- eft menacée ! J’attendrai qu’un complot
ait éclaté pour le dénoncer..
L ’homme qui monte à un pofte élevé doit favdir
à quelles tempêtes il s’e x p o fe il doit fe foumettre
à la cenfure publique 5 c’eft à lui à fayoir s’il a un
carà&ère aflez fort pour réfiftér aux injures, aux
injuftices , aux calomnies. L ’hpmme vertueux qui
a la paflibn du bien & l’amour de fes devoirs, doit
fe facrifier à 1 ?patrie o u , pour mieux dire , il
n’y a pas de facrifice à faire 5 il n’y a rien a redou-,
ter de l’opinien publique , elle'peut s’égarer un
moment j mais tôt ou tard elle viendta l’entoura
de fes faveurs. Que peut une calomnie paffagere
contre-une-longue fuite de vertus.? Il n’y aura donc
d’exclus des emplois publics, que les intrigans
q u i, convaincus de leur nullité , craindront les
regards pénétrans des écrivains courageux j ou
bien l’homme pufillanime qui aime la gloire JauS
- favôir la défendre , qui la croit flétrie , ïorfqu’elle
.n’eft que touchée. Mais n’y a-t-il pas le plus grand
intérêt à éloigner ces hommes-là? Parcourezl’hif-
toire, & vous verrez que la mémoire des defpotêS
eft exécrée, mais qu’elle a vengé les hommes vertueux
5 que la poftêrité a verfédes larmes fur leurs
cendres , & qu’elle a fu recueillir rellgieufement
leurs travaux.
Vous redoutez la cenfure publique 5 mais «
favez-vous pas qu’on peut en fufpendre, mais non
en arrêter lè cours ? Hommes publics, confentei
donc à être jugés plutôt aujourd’hui que demain.
Laiflez écrire contre vous tout ce qu’on voudrai
fi vous êtes innocens, votre triomphe fur la calomnie
éclatera tôt ou tard. L ’homme qui remplit
des fondions Importantes doit être affez éclaire
pour ne pas fe croire attèint par tous les traits qm
lui font lancés j aflez ami de fes femblablès pouf
être indulgent ; il doit fe d ire , celui qui nfattaquf
ne me connoît pas 5 jé vais redoubler de zèle > «*
. . ntfj
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lu e s fervices me feront connoître. La liberté de
ja prefle., fous le rapport des perfopnes , eft donc
Sfa/orablé aux gens de. bien, & dangereufe feulement
pour les méchans.Les defpotesl’ont toujours
|}eue en.horreur. Les bons princes ne l’ont jamais
■ Redoutée. Théodoze , calomnié, difoit : Si c ’eft
■ é^éreté, mé.prifons 5 fi c’eft folie , ayons en pitié 5
c’eft deflèin de nuire, pardonnons.
■ Mais voici la . grande objection des partifans du
projet des comités..Vous ôtez, disent-ils, aux fone-
lionnaires publics la confédération qu’ il eft importan
t de leur conferver , ils ne jouiront plus de ce
%efpe6l qui produit la foumiffion aux loix. C ’eft
»en effet avec ces préjugés qu’on gouverne un peuple
efelaye, un peuple libre doit être gouverné ;
ilpàr la confiance mais pour que les fonctionnaires
Publics fuient toujours entourés de la confiance,
'11;faut que toutes les adions foient.en évidence..
■ 'Cette confiance/, qui naît damé; furveillance
fltóujours adive 3 eft le feul reflort d’un bon gouvernement,
& cette cenfure publique exifte dans
la nature, même des chofes. En effet, dans l’ancien
Ifegime, où lès hommes publics étoient des idoles ,
!©ù le refpedlk la. fèrvitudê étoient fynonymes ,
•aie trouvoit-onpa s lès moyens de lever le voile, &
:fne faifoit-on.pas confidence au public des débor-
Idcmens dela cour ? Le danger ne vient donc pas
jde la liberté de cenfurer les hommes publics. Dans
|tou s les fyftèmes, la cenfure de l’opinion eft inévi-
jjtablement attachée à-tout pofte élevé. La liberté
«de la prefle- ne produiroit donc pas'un plus grand
/danger , que la gêne de la prefle n’offre une garant
ie . Rien n’eft plus, propre à écarter des places les
mbmmes corrompus, que de les-forcer de fe mont
r e r au grand jolir j il n’y aura furies rangs que
tes hommes qui, fiers de leur vertu , auront intér
ê t à chercher le grand jour & à s'entourer del'o-
jÿinion publique.
■ .Examinons maintenant comment l’article des
■ omités eft conçu : il eft dit que-« toutes les calom-
tiies contre la probité des fonétionaires publics & ’
contre la droiture de leurs intentions dans l'exercice
de leurs fonêlions, pourront être pourfuivies
par ceux qui en font l'objet «j c'eft-à-dire que fi j'ap-
perçois qu’un miniftre de la guerre négligé les
pnefures qu'il doit prendre pour la défenfe de
■ état, je ne pourrai rieiv dire fur les négligences
|pe ce miniftre, fans qu'à l’inftant om ne me dife1 :
voilà un fait calomnieux. 11 y aura mille circonf-
|ances o ù ily auroit des indices de fes malverfa-
tions, & où cependant je n'aurai pas de preuves
juridiques j j’aurai beau me reftreindre à cenfurer
■ es aa e s , on me dira toujours que, j’ inculpe la'
|probité & la droiture de fes intentions. Je Conclus
.Haqueftion préalable fur l’avis du comité.»
■ 1 AL Larochefoucault. Je penfe,. avec le préopinant
qHela plus grande1 ptïèficité eft nécefîaire & falu-
ÂJfemblée Nationale. Tom. II. Débats,
à C T m
taire, & cju'elleeft de droit pour tout-ce qui regarde
l'exercice des fondions publiques. Je penfe que
fout citoyen a le droit & le devoir, d’être à cet
égard, la fentinelie du peuple ; mais, de même
que vous ne donnez pas à une fentinelie, dans un
pofte militaire, lè droit de bleffer à fon gré les
perfonnes de la part desquelles c*’le s’imagineroit
qu’il y auroit quelque chofe à redouter, de même
je ne peux pas croire que la fentinelie du p: uple ,
dans fon pofte d’écrivain, ait le droit de; bleffec
à fon gré, par la calomnie, les hommes chargés'de
fonctions publiques.
Sans doute,, ilferoit très curieux de voir un état
dans lequel tout le monde aurait le droit de faire
jdes lo ix , & dans lequel perfonne ne les feroit
exécuter. J'avoue que ce problème. fera long a
réfoudre, &: je Refais pas fi l’ opinant', qui a parlé'
| avant m o i, peut en donner la folution 5 je ne l’ef-
1 père pas.- ;
1 Si donc il eft néceflaire qu’il y ait des hommes
chargés de l’exécution des- lo ix , il ne faut pas
vouer d’avance ces hommes à l ’ignominie Sc à la
crainte auxquelles tâcheroient de les livrer les
ennemis1 de la chôfe publique. Je crois donc qu’il
y a line diftinétion à faire dans ce qui regarde les
fonétionnaires publics à l’égard des chofes qui ont
rapport à leurs fonctions publiques j je crois qu’il
faut laifler à la cenfure la plus grande latitude
à l’égard des chofés relatives à l’exercice des
fondions, mais qu’à l’égard des; aéfions de leur vie
' privée , les fonétionnaires publics font dans la
clafîe des autres citoyens. M. Pétion vous a cité
Théodofe j j ’obferveqiie-ce trait de générofi'té eft
peut-être plus facile à un foutferain defpotique
qu’il ne l’eft à un funétionnaire. public ordinaire,
■ À 1 égard des confolations que M. Pétion accorde
aux hommes calomniés, je conviens avec lu i , que
tôt ou tard la vérité fe fait jour à travers les calomnies
, & qu’elle finit par régner 5 mais-ce.n’eft
pas au moment même que la calomnie a été débi-'
téë'qu’elle parvient à fe faire jour f & fi là pofté-
.rité- a vengé la mémoire de Phookm & de Socrate ,
cela n'a pas empêché que leurs compatriotes ne
leur aient- fait- boire de la ciguë*.
I l eft fans doute de ces êtres privilégiés par la
nature qui favent fë mettre aû deffus de to u t, qui
bpiroient de la c igu ë , s’il le falloir, mais je ne
• crois pas que l'on puiffe, ni que l’on doive attendre
cette grandeur d’âme de tous les fonctionnaires
publics } je ne crois pas fur-tout qu’on doive
la leur preferire par une loi. Cette loi tendroit évi-
: demment à écarter de toutes les fondions publiques
tous les hommes qui ne joindroient pas à
: l’honnêteté de l’âme, cette force peu commune.
| Alors la carrière s'ouvriroit à des intrigans qui ne
:■ craindroient pas la calomnie parce qu’ils'fauroient
: fe liguer avec les calomniateurs. J ’avoue cependant
que je n’adopte pas la rédaction duxomité 9