
J’ai dit que {‘académie pourrait fubfifter ,
malgré, le retranchement des vingt-cinq mille
francs fournis par. le tréfor national , mais je puis
ajouter qu’ il feroit très-poflible que ces vingt-
cinq mille francs vinrent à l‘ académie de quel-
qu’autre fource que du tréfôr public. Suppofons ,
par exemple, un citoyen allez ami des lettres &
allez riche pour fonder un revenu annuel de
vingt-cinq mille francs pour l’amour de la langue
françoife > en ce cas , M. de Chamfort auroit
encore le chagrin de voir l’académie continuer
d’exifter.
La grande peine de M. de Chamfort feroit alors,
félon ce qu’il nous dit lui-même , de voir fe con-
ferver une corporation pour les ans de génie J II
faut confoler M. de Chamfort.
Je lui ferai obferver d’abord qu’en caractérisant
ainfi l’académie 3 il n’eft pas d’accord avec
lui-même , puifqu’après avoir réduit comme
on l’ a v u , toutes les fondions de Y academie à
faire un didionnaire 8c des complimens, 8c à dif-
tribuer des prix, toutes chofes qui ne font pas
les arts du gén ie , il ne peut pas la traduire par
devant l’aflemblée , comme une corporation
établie pour les arts du génie.
J’ ajoute^ qu’établir une corporation pour les
arts du génie pour tout homme qui veut s’entendre
8c ne craint pas d’être entendu , lignifie
établir une corporation pour faire faire de belles
tragédies, des difcours elpquens, de bonnes comédies
, de beaux poèmes épiques & autres, &c.
Mais M. de Chamfort fait bien que Richelieu
n’a jamais eu une fi forte idée, 8c pour s’en convaincre
, s’il en doutoit encore, il n’a qu’ à lire :
les lettres patentes où font nettement énoncés
les deux objets de l’établiiTement 5 l’un , de mettre
les lettres en honneur j loutre , de rendre le lan-
gage ^français élégant & capable de, traiter. tous
lés arts & toutes les fciences , 61 d‘en établir des
réglés certaines.
Je viens a 1 autorité des Anglois , alléguée par
M. de Chamfort, comme n’ayant point de -corporations
pour les arts de génie, 8c chez lefquels
ces arts profpèrent.pourtant.
Je commence par faire obferver à M. de Chamfort
, qu’il y a à Londres une certaine fociété
royale dans laquelle on cultive des arts 8c des
fciences , qui demandent .aufli du génie , 8c qui
feroit une corporation aufli bien que l’académie
françoife , fi l’on pouvait donner de nom à la
nôtre en quelque fens raifonnable.
En fécond lieu , fi les Anglois n’avoient point
d’académies pour les arts du génie , cela prouve-
roit bien que de pareils établififemens-ne font pas
actuellement néceflaires, mais non pas qu’ ils ne
foient pas utiles , 8c c’eft de leur utilité feule’
qu’il s’agit.
Enfin, il y a une grande différence entre cette
propofition : Les Anglois n'ont point d'académie 3
a laquelle j’ ai bien voulu , jufqu’ à préfent, réduire’
l’ affertion de M. de Chamfort 3 8c celle-
ci : Lts Anglois n ont jamais conçu qu’on put avoir
des académies. La première eft un fait vrai ou
faux , indifférent dans la queftion > la fécondé
prête aux Anglois , contre les académies , des
préventions, un éloignement, un dédain qu’ ils
n’ont point.
On a pu s’appercevoir , par plus d’un endroit
de cet é c r it , que M. de Chamfort n’ a pas l’érudition
de fon fujet ; voici de quoi en convaincre
encore mes leéteurs.
Il ne fait pas que, quoique les Anglois n’ aient
point d‘académie deftinée à conferver 8c perfectionner
leur langue, efpèce d’ établiffement dont
il s’agit i c i , les meilleurs efprits parmi eux ont
defiré d’ en former -une.- Je n’ai pas le temps de
retrouver toutes les autorités que je pourrois citer
à M. de Chamfort, je me contenterai de lui en
préfenter deux afiez impofantes : celle du doéleur
Swift & celle de David Hume.
On trouve dans les oeuvres du premier, une
lettre au comte d’Oxford , premier lord de la
tréforerie, dans laquelle il expofe le projet d’ un
établiffement propre à corriger, perfectionner & fixer
l(i langue angloife.
Il place la première époque, de la corruption
du langage à la guerre civile qui conduifit Charles
premier à l’échafaud , 8c fous le gouvernement
de Cromwel, « pendant lequel, dit-iL, lefanatifme
des puritains & des républicains introduifit une
forte de jargon qui s’empara de tous les écrits du
temps, 8c fur-tout des pièces de th éâ tre s r
ce A cette .corruption, vint s’ajouter, félon lu i,
celle qu’apporta la cour de Charles fécond par la
licence qui fuivit la reftauration , & q u i, détruifant
& la religion'& la morale dans le peuple, altéra
aufli % fouilla fon langage , en y introduifant un
grand nombre de mots nouveaux 8c des manières
de parler recherchées, jufqu’ alors inconnues *v
cc Cette grande v ille , dit-il encore , en parlant
de Londres, a toujours eu quelques hommes de
mauvais g o û t , afiez en crédit pour donner cours
à un nouveau mot 8c le faire recevoir dans la con-
verfation , quoiqu’il n’ait fouvent ni .lignification
précife , ni formation régulière. S’il eft au goût
du temps , il pafîé bientôt dans les écrits périodiques
8c dans les pièces de théâtre , 8c s’ incorpore
dans la langue j tandis que les hommes d’ef-
prit 8c de fayoir , au lieu de combattre ces nouveautés
corruptrices, fe laifl’ent trop fouvent aller
à les fournir 8c même à les adopter. »
c< Pour corriger & prévenir .cette. corruption ,
je penfe , continue Swift , qu’ il faudrOit faire
choix d’un certain nombre de perfonnès connues
généralement
| généralement comme les plus capables d'un pareil
[ travail ,fans égard à la qualité , au parti, à l’état
| ou profeflicn de chacune. Ces perfonnes s’affem-
| bleroient à un temps 8c en un lieu défigoé, 8c
I drefleroient un plan de leurs travaux dans la vue
que j’indique. Je ne me hafarderai pas de de leur
r tracer, mais vous même , M y i o r d & d’autres
I hommes en place & de votre rang, vous devriez
être membres de cette ‘foc iété, 8c je ne doute
! pas qu’elle né ; tirât autant d’avantagé de votre
exemple 8c de vosinftruéticns , que de l’appui que
i vous lui accorderiez. Enfin en exécutant ce plan,
I on auroit l’exemple des François à imiter dans ce
qu’ils ont fait de bien, falif à éviter les fautes qu’ils
[ ont faites, sa
Eh bien, M. de Chamfort , ne voilà-t-il pas
| S w i f t , excellent écrivain, excellent efprit, & ,
[ nota bene excellent patriote , propofant précifé-
ment pour fon pays 8c pour les progrès & la con-
| fervation de fa langue, une académie fur le plan
de l’académie françoife.
On obfervera peut-être que Swift donne à entendre
qu’il trouve des défauts dans l’établiflernent
qu’il propofe à fes compatriotes d’imiter. Je ne
vns rarppc-lle pas que cet habile homme ait indique
ailleurs ce qu’il y trouve à reprendre $ mais je ne
puis fuppofer que ce foit rien d’ eflfentiel ou d’irréformable
j puifqu’on voit que fon plan eft préci-
fément celui de l'académie françoife en toutes fes
parties- efîentiellès , l’ objet de l’établiflèment, le
. moyen, le mélange des gens de lettres & des gens
en place, 8cc.
i L ’autre autorité qui peut balancer celle de M. de
Chamfort eft celle de David Hume, efprit lib re ,
hiftorien impartial & philôfophe profond , qui ,
dans l’hiftoire des Stuart fous l’année .1611, à roc-
| cafion de l’é'tabliflement d’ un collège fondé par
Jacques premier, 8c dont l’unique occupation
! dévoit être de réfuter les catholiques 8c les pu-
I ritains , dit que c’eft là le feul encouragement que
i les rois d Angleterre aient jamais donné aux feien-
ces 5 a quoi il ajoute en fe plaignant . ...■
« Tous les efforts du grand Bacon n’avoient pu
P[°curer un établiffement pour les progrès de la
philqfqphie naturelle ( tel que l’a été depuis la
fôciete royale ) , 8c jufqu’aujourd’hui les Anglois
manquent d unes fociété , dont l’emploi foit de
polir 8c de fixer le langage, ™ _
1 ^ m:ln e ce *lue dévient la décifion magiftra-
le de M. de Chamfort rapprochée de l ’opinion de:
deux hommes que je viens dé citer. Je demande
ce qui refte de fon exclamation : une corporator
pour les arts du genie ! Cefi ce que les Anglois non
jamais conçu. Et quant à la réfléxion qu’il y ajoute
qu en fait de raifon , nous ne pouvons, plus refie
~ UeS Anglois' Je dis de bon coe u r , ainfi
Ajfemblée Nationale. Tom. IL Débats.
IL C e font moins des argumens contre l'académie
que des confolationsà ceux qui conferyeroient
quelque intérêt, pour elle 8c des confeils à l’affem- ■
blée nationale, qui terminent l’écrit de M. de
-Chamfort.
« L’académie va ... fe détruifant d’elle-même ,
en confervant fa maladive 8c incurable petiteffe ,
aumilieu desobjets qui s’agrandiffentautour d’ e lle,
: elle ne fera plus apperçue.. . . . Perfonrte ne recherchera
déformais fes honneurs obfcurcis devant la
gloire à la fois littéraire 8c patriotique des orateurs
de l’Aflemblée. . . . , . . . On n’ambitionera plus une
! frivole idiftinélion à la quellè le defpotifme con-
; damnoit les plus rares talens .... II fautlui laifter la
confolation de croire que fans l’Affemblée natin-
nale„ elle étoit immortelle . . . En la détruifant,
on a peu de clameurs à craindre -, parce qu’elle n’a
point la faveur populaire , 8c qu’elle n’a pour dé-
fenfeurs que les ennemis de la révolution c 8c enfin
! membres eux-mêmes contiendront le chagrin
de leur féparation dans les bornes d’un hypocrite t & facile décence, fur-tout fi J’Affemblée, en dé-
: truifant le corps , traite les individus avec une libérale
équité__
Je ferai une réponfe fuccin&e à chacune de ces
obfervations.
10. Je né penfe pas que M. de Chamfort fe tienne
aufïi affuré qu’il veut fe paroître , de la mort naturelle
8c prochaine de l'académie abandonnée à elles
; : ayec cette certitude, il ne fe feroit pas
donné , tant de peine pour la faire détruire, incontinent.
On n aflafiine pas dans- fon lit un ennemi
confumé d’une fièvre lente qui ne lui laifle plus que
deux jours à^ vivre. Je crois encore que dans la per-
fuafion que l'académie^ s’en alloit mourant de fa belle
mort, M. de Chamfort fe feroit épargné la peine
de furmonter aufli courageufement qu’il l’a fait
H répugnance naturelle qu’il a dû' éprouver à fe
faire le délateur d un corps dont il èft membre
; àinfulter des gens de lettres avec lefquels il a
, v écu, à flétrir, autant qu’il eft en lu i, la mémoire
de d’Alembert, 8cc. Son procédé feroit encore
plus coupable, s’il n’avoit eu pour but que de hâter
de quelques jours une deftruélion, dailleurs ;iné
vitable ; on voit que j’explique fes intentions aiifli
favorablement que je le puis.
Je ne crois pas non plus Vacadémie en aufli mauvais
état qu’il le d i t , parce que je ne reconnois
point en elle les fymptômes mortels qu’on, veut
m’y faire voir : & à ceux qui diroient que je fuisïe
médecin ^ tant mieux 3 je répondrai que tous ceux
qui connoifient la médecine dè mon confrère
favent qu’il efi au plus haut degré ,1e'médécin^
tant pis.. Mais après tou t, voyons qui de nous deux
fait le mieux fon métier.
3 Mot) confrère préfage la mort prochaine de
/ academie abandonnée à elle-même, parce qu’on