
ciétés , confervoiem encore dans leur inftitution
les premiers ërremens de la liberté. Je, ne citerai
ni les Hébreux , ni les'Egyptiens , ni les Grecs,
mais je fixerai un inftant vos; regards fur la jurisprudence
desdccufatious.pubiïquès chez un peuple
Sage de toute la fageffe des.nations , 8c je m'appuierai
principalement, dans ce rapide examen ,
des recherches d’un auteur très-récent d’un de
ces hommes rares qui ont écrit fur la légiflation
avec Sens 8c philofophie. C ’eft de l’illuftre chevalier
Filangieri.
A Rome , dans les beaux jours de la république,
tout citoyen avoit la liberté d’intenter une
accufation contre un autre citoyen , & l’exercice
de ce droit étoit fi heureufement conçu , que l’innocence
n’eut jamais à s’en effrayer. U accufation
étoit publique 8c connue de l’accufé dans les
moindres détails , &. I’accufateür ne pouvoit plus
la retirer, avant l’ intervention du jugement. Lui
Seul devoir, prouver le délit , 8c de l’infuffifan.ce.
de la preuve réfultoit la juftification de Faceufé.
L ’abfolution de celui-ci entraînoit donc ordinairement
la perte de l’autre > 8c lorfque le Prêteur
avoit prononcé la formule terrible qui déclaroit
F accufation calomnieufe, l’accufateur fubiffoit la
même peine qui auroit frappé l’accufé. Ces précautions
ne Satisfirent pas les légiflateurs romains,
& ils s’ avisèrent d’ iin dernier expédient qui rendit
prefqu’impoflibles les Succès de la mauvaife foi. La
lo i autorifa l’accufé à placer un gardien auprès de
fon accufateur ; ce gardien devoit épier les démarches
& tous les moyens dont il fe fervoit pour
appuyer fon accufation. Soit qu’il conférât avec les
juges, Soit qu’il entretînt les témoins, le gardien
voyoit tou t, entendoit tout. L’objet de-ces loix
étoit de punir la calomnie ; d’autres loix étoient
deftinées-à la prévenir. Il eft impoffible d’étudier
cette belle partie de la' légiflation romaine , fans
admirer avec quel refpeéfc ce peuple fut conferver
à chaque citoyen fon droit naturel & accufation 3 8c
avec quelle prudence confommée il en dirigea
l ’exercice vers le plus grand bien de la chofe publique.
Et qui le croiroit ? Les barbares du huitième
fiècie étoient moins étrangers que nous à
ces fublimes inftitutions. En feuilletant leurs codes
de loix 8c nos capitulaires, on rencontre de nombreux
veftiges qui attellent en effet , & que la
liberté des accusations publiques étoit le droit 8c
le devoir de chaque citoyen, 8c que les précautions
avoient été multipliées contre la calomnie....
S’ il eft vrai que vous vouliez fonder notre conf-
titution fur ia bafe immortelle des droits du citoyen
, 8c f i , d’un autre côté, je fuis convaincu
que la liberté dès accufations eft un de ces droits
primitifs & indeftruétibles, il faut examiner maintenant
s’il ne feroit pas de notre devoir de confa-
crer cette liberté dans un principe eonftitution-
tiel. Il fe présente ici trois queftions. La liberté des
accufations eft - elle compatible avec la forme d’un
gouvernement monarchique ? Première queftion. Si
cette liberté eft compatible avec la forme d’un
gouvernement monarchique , peut - elle s’allier
avec nos moeurs aétüelles ? Seconde queftion. Si
nos moeurs actuelles répugnent à cette alliance, à qui de l ’homme du r o i , ou de l’homme du
peuple l’exercice de ce droit doit-il être confié ?
Troiftemè queftion. La liberté des accufations eft-elle
compatible avec les formes d’ un gouvernement
monarchique? Dès le premier pas , je me vois
arrêté par une autorité bien impofante , celle'de
Montefquieu. Il enfeigne que la liberté des accu-
f a ions eft utile dans une république, 8c perni-
cièûfe dans ùne monarchie, parce que, dit-il, dans
la première , chaque citoyen doit avoir , pour’le
bien public, un zèle fans bornes , 8c être cenfé
tenir dans fes mains tous les droits de la patrie ,* 8c que, dans la fécondé , l’on pourront abufer de
ce droit pour favorifer les projets 8c les caprices
du prince. C ’eft, félon lui, pour avoir fu iv i, fous
les empereurs, les maximes de la république, que
Rome fe vit infeftée d’une troupe de délatèurs.
• Il part de-là pour faire un grand éloge de la loi
qui Confie la-pourfuite des crimes à un officier
public j il trouve que c’eft par elle que les fonctions
des délateurs font anéanties parmi nous. Pour
apprécier les principes de Montefquieu fur cette
matière , fouffrez que je traduife ici quelques
phrafes remarquables de l’ auteur italien que j’ ai
déjà cité. Si la liberté d’accufer emportoit ia facilité
de calomnier , la loi ne pourroit, ni dans une
monarchie, ni dans une république , donner ce
droit barbare à aucun citoyen. Les cônféquences
en feroient également morcelles pour tous les gou-
vernemens. Rome libre 8c Rome efclave auraient
été également victimes d’un abus deftruéleur de
tout repos 8c de toute liberté. Lors donc que l’on
parle de la liberté d’accufef , on là fuppofe toujours
combinée avec la plus grande difficulté de
calomnier , 8c , dans ce cas, je ne vois plus nomment
elie pourroit être utile dans une république, 8c pernicieufe dans une monarchie. Ilne faut pas
confondre la monarchie 8c le defpotifme. Dans
une monarchie , la loi exifte, la loi eft connue, la
loi s’exécute. Si donc la liberté d’ açcufer eft réglée
d’après des loix fages 8c précifes , le juge
doit les fuivre , ou il prévariaue ,• le prince en
doit protéger l’exécution, ou il renverfe la confia
titution de l’état , & met fon trône en péril. L’hif-
toire de Rome même dépofe contre ces principes
de Montefquieu.
Quand Sylla , Augufte ,. Tibere , Caligula &
les autres tyrans , voulurent trouver des délateurs
dans Rome , il fallut fufpendre la rigueur des loix
contre les accufateurs de mauvaife f o i , il fallut
feparer la liberté d’accufer d’avec la difficulté de
calomnier ; il fallut laifler un libre cours aux accufations
, 8c ne mettre aucun frein à la calomnie > 8c
comme ces infâmes chefsdifpofoient arbitrairement
a c q
du fénat, des juges, du peuple & des lo ix , ils purent
faire de leurs volontés momentanées le code
unique de tous, 8c la feule règle des jugemens. ;
Alors & quand $’u# bout de l’empire à l’autre ,
ils tariflfoient le fang dans toutes les veines, les.
délateurs, les feulsdélateurs,, encouragés,' payés,
honorés, n’eurent d’autre foin que de chercher &
de marquer les viélimes. Mais, de bonne foi ,
peut-on valablement argumenter d’un fi féroce
defpotifme à une monarchie régulière j & f i, fous
le gouvernement d’ un feu l, là liberté d’accufer
devoit entraîner de fi funeftes conféquenceà,
pourquoi ne les pour fui vit-elle pas dans les temps
poftérieurs , fous cette^forme de gouvernement 8c dans Rome elle-même, après queTite & Nerva .
enrent tiré de leur fommeil les loix contre les calomniateurs
, 8c fous la monarchie tempérée des
Trajan, des Adrien 8c des Àntonin , la liberté
d’accufer , combinée derechef avec le danger de
calomnier, ne eeffa-t-elle pas d’être pernicieufe ?
Ne devint-elle pas plutôt auffi falutaire, auflî pro- .
teélrice, qu’elle l’avoit été jadis dans les beaux
jours de la vertu républicaine ! Non , tant qu’il
y aura une loi au-deffus du prince., la liberté des
accufations ne fera d’aucun danger pour l’innocence.
Je vais maintenant^ expliquer, en peu de mots,
ma penfée fur la liberté des accufations, confidé-
rée relativement à nos moeurs aêtuelles , pour
quiconque aime a réfléchir fur- les gouvérnemens
des peuples anciens. Il eft difficile qu’on ne fe
fente pas tranfporté fouvent du défit de voir na-
turalifer dans fa patrie quelques-unes de ces belles
inftitutions qui les honoroient. Mais prefque toujours
auffi l’on découvre avec chagrin que la
plupart de ces loix célèbres font devenues impraticables
& ‘dangereufes dans leur application.
J’avoue ayec douleur que nous fommes indignes
d’exercer ce premier droit du citoyen-, la liberté
des accufations j nous touchons de trop près encore
"à ces déplorables jours où l’égoifme avoit
changé la fociété; ën une folitude affreufe , où
chacun nevéyoit que fa famille dans l’é ta t, &
que foi dans fa famille , pour qu’il puiffe être
fage de confier à chacun cétte infpeétion mutuelle
, cette cenfure aélive 8c inflexible qui exige
tout le défintéreffement , toute l’énergie, toute
l’intrépidité de la vertu ÿ car l’auftère romain ,
qui traduifoit un accufé au Forum , n’y déployoit
pas contre lui plus de courage qu’ il; n’en avoit
montré fur le champ de bataille contre les enné- ,
mis de la république $ 8c d’ ailleurs le peuplé', ;
toujours fi avide de nouveautés , 8c que les' nouveautés
rebutent fi promptement, feroit incapable
encore d’apprécier.l’importance 8c les charges du
’ 'droit que vous lui .aviezrendu j vous le verriez,
prefqué nud entre fés'mains......
Enfin mon premier 8c mon dernier mot fur cetj
article }, c’eft que nç>f moeurs fpjjt trop m&uyaifes'
A C C yp
pour une auffi' bonne loi: Mais fi le peuple, ne
peut, exercer- aujourd’hui par lui-même le droit
d’accufation publique, à qui donc le déléguerez- .
vous en fon nom? En établiflant que la liberté
d’accufer eft l’inaliénable propriété du citoyen
qui a d ro it, 8c qui même, dans un bon ordre de
chofes & dans toute efpèce de gouvernement, a
intérêt de l’exercer par lui-même j j’ai prouvé ,
ce me femble, que le droit à*accufation publique
ne fait pas 8c ne peut pas faire partie des fonctions
delà puiflance exécutrice. En établiflant en-
fuite que les inconftances particulières de nos
moeurs ne permettaient pas a chaque citoyen de
retenir , fans p éril, l’exercice; de ce droit j j’ai
encore prouve , ce me femble , qu’il étoit du
moins pour lui d’une fouveraine importance de
déléguer cet exercice de manière qu’il opérât le
plus grand bien de tous 8c de chacun.
; Si donc vous entendez que les commiflaires du
roi continueront de remplir cette grande fonétion,
il faut, dans le moment où vous divifez 8c reconf-
tituez tous les pouvoirs , que vous commenciez
par porter une loi équivalente à celle-ci. « Nous
François, après nous être defîaifis de notre droit
naturel d’accufér, le déléguons au roi pour qu’il
le fafle exercer en fon nom ; ^ 8c -voyez que
d’inconféqùences 8c de dangers dans ce peu de
mots. D’abord vous violez 'ce principe fi bien
faifî par M. Thou ret, 8c d’où réfulte , dans ur.è-
monarchie , lés véritables contre-poids du pouvoir
exécutif 8c la fauve-garde de toutes les liber-'
tés. Ce principe qui veut que dans l’exercice de
fes délégations, le peuple n’abandorine pas à ion
repréfentant héréditaire ce qu’ il peut confier à des
rêpréfentans de fon choix. Voyez ènfuite fortir
de là,ce qui naîtra toujours d’ une violation de principes
, de, grands inconvéniens. Non-feulement le
citoyen pauvre perdra le droit naturel d’accufer,
mais il ne connoîtra pas même célui qui l’exerce
pouf lu i , mais prefque toujours fon choix feroit
tombé fur un autre ; mais trop fouvent, en.effet,
cét irréguliér 8c faux repréfentant méritera peu
d’infpirer cette confiance fans bornes qui eft pour- gs*
tant lé premier befoin d’une fi haute fon&ion. fl ”
y a toute raifon d’appréhender qu’un homme nommé
par le prince , qui tient fon état du prince,
qui attend du prince feul l’amélioration de fon
é ta t , ne foit plutôt l’homme de la cour 8c du mi-
niftre, que l’homme du peuple 8c du citoyen. Que
deviendroit la liberté de chacun 8c la fureté de
I tous , là vengeance des crimes, & le maintien
de l’ ordre , 8c toutes les loix conftitutionnelles ?
Lions-nous étroitement aux principes.
Tout citoyen , par la force de l’aéte qui l’a in-
vefti de ce titre, jouit du droit d’ aeçufer ; quand il
, ne veut pas exercer par lui-même cette fonétion ,
il importe à fon repos de connoître celui qui
l’exercera pour lui. Donc lui feul peut 8c doit
nommer fqn repréfentant pour cette partie., donc
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