
nous avons une richefle réelle à mettre etl circulation,
Ceux qui acheteroient des ‘biens nationaux
avec des quittances de finances , les achèteront également
avec des ajjignats ; .mais ceux qui n’en
pourront pas acheter avec leurs ajjignats, par le
befoin d’en difpofer pour quelqu’autre ufage, qu'au-
roient-ils fait de leurs quittances ? Ils les auroient
vendues à perte , pour fe procurer ces mêmes
. ajjïgnats; Ainfi YaJJignat, par cela même qu’il eft
entraîné pour quelque temps dans 'la circulation,
attelle fa double utilité ; & la quittance de finance
ne peut point le remplacer à cet égard. Suppo-
fons que la nation acquît tout à coup affez de
numéraire pour payer la dette ; qui pourroit fe
plaindre qu’elle l’appliquât à cet ufage ? qui pourront
fe récrier contre une telle operation , & la
repoufîer par fes conséquences ? Je foutiens que
nous avons un numéraire moins dangereux pour
nous libérer ; il h’eftpas à demeure ; il ne nous
furchargera: pas. Nos fonds territoriaux feiils font
permanens ; 8c c’eft un papier à temps qui les
repréfente. Ce papier, quoique fugitif, ne prendra
pas du moins le chemin de notre vâifl'elle,
de nos bijoux & de nos écus; (O n applaudit).
C ’eft donc une utile', une heureufté mefure pour
* la nation , quede remplacer fon numéraire par lés
affignats , tout en s'acquittant ' par-là de qe qu’elle
doit. C ’eft à tort que le même cenféur de notre,
projet diftingue , quant aux àjjignats, deux ordres
de perfonnqs; les débiteurs qui s’en déchargent,
& les créanciers qu’ils embarrafiênt. Car les mêmes
hommes, 'coüfidérés individuellement, étant pour
la plupart créanciers & débiteurs à da fois , peu
féiir importe de »quelque moyen d’échange qu'ils
{g fervent , pourvu qu8 cè moyen foit reconnu
valable, & qu’ils puiiïent le tranfmettre comme
ils l’ont reçu.
On a peine à comprendre que l'honorable membre
dont je parle , ait pu imputer aux ajjignats le
mauvais ufage , ou l’emploi détourné qu’on pour-
roit en faire ,. comme de lès feiiëfrer par malice ,
d’en acheter de l’argent afin de l’enfouir, d’acquérir
par leur moyen des biehs particuliers' & non nationaux.
Car mettez , je vous prie, des quittances
de finances à la place Üajjignats , & voyez fi la
jnaùvaife intention n’en tirera pas le même parti.
Mais, direz-vous , il faudroit vendre poiir cela les
quittances de financés, & il y'adroit trop à perdre.
J’avoue que je n’ai rien à répondre à une pareille
apologie des quittances de finances. Créer, des
ajjignats - monnoie , pourfuit l’orateur , qui perdront
un dixième fur les efpèces ; c’èft comme fi
l’on augmentoit le prix des efpèces d’un dixième,
e’eft élever l’éçü de fix livres à fix livres douze
fols. Je conviens d’abord que's’il n’y àvoit point
d'ajjignats, on ne . pourroit pas leur comparer-lés
écus , & qde ceux-ci ne gagneroient rien vis-à-vis
des ajjignats.> Mais 'alors des* écus! gagneroient une
foule qe chpfes , qu’ori achète aujourd’hui aü pair
avec YaJJignat, & l’on auroit Opour fix livres, non
pas feulement de qui fe paie aujourd’hui fix livres
douze fols, mais des valeurs peut-être de fept ou
huit livres. Or , j’aime mieux , à tous égards ,
que la rareté des écus leur fade gagner un peu
fur les ajjignats , que fi la plupart des chofes per-
doient beaucoup contre les écus. Je reviens donc
à cette vérité ; c’eft que YaJJignat gradue la valeur
des efpèces, & que la rareté feule de ces efpèces
en haiiffe le prix. Suivons l’orateur dans fes oh-
fervations fur le change , relativement à notre commerce
avec l’étranger, en fuppofant la perte future
qu’il attribué à Yajftgnat-monnoïe. Il en réfulte ,
dit - i l , qu’alors le François qui commerce avec
l’Angleterre , foit comme vendeur, foit comme
acheteur ', perdra fur le change. Mais pénétrons
plus avant , 8c pafTons du principe à la confé-
quence. Que les marchandifes angloifes renché-
riffént pour nous , dès-lors moins de conforama-
tion , moins de demandes pour les objets de fan-
tâifie , moins d’argent qui fort du royaume ; &
tout fe compenfe. Que les marchandifes françoifes
foient acqüifes à meilleur marché par les Anglois,
dès-lors il y aura plus de débit, plus de com-
mifiions; le prix hauffera , on gagnera d’un côté
ce qu’on perd de l’autre. Enfin, alimenter, raviver
notre induftrie, mettre la balance de notre commercé
en notre faveur, c’eft l’effentiel. Il n’y a
rien de plus'ruineux pour un pays, que d’y payer
l’argent au poids dq l’o r, d’y languir, de ne rien
manufaélùrer , de n’en rien exporter. Quelques in»
conyéniens , qui même font bientôt balancés par
des avantages , ne font rien au prix d’une telle
calamité, & les plus fines, les plus ingénieufes
argumentations contre les.ajjignats-ir.onnoïe , n’é-
branlerônt jamais la maffe des raifons & des faits
qui en établirent la néceffité.
L’habilè orateur dont je parle, s’eft contenté,
dans fou projet .de décret, d’écarter les ajjignats
comme les ennemis les plus dangereux de fon dernier
plan de liquidation^ Il me fufnt donc, pour
écarter fôn' plan , d’avoir vengé contre lui les
Mais ici*, entre notre ligne territorial & ces
divers moyens de rembourfement , une grande
différence fe préfente à fon avantagé. Oeft la nation
qui paie l’intérêt de cès reconnuifiances, de
ces quittances mortes. Mais. YaJJignat agit , fructifie
, comme numéraire , entre les mains qui l’emploient;
& tandis qu’il cifculc , la hation perçoit
îïntêrêt des biens dont il eft le gage. ,
Et je né puis m'empêcher de. m’élever contre divers.
projets-d’à/Tociari^ , qui ont été prçfentés, entre.
iQsajJgnats-iiionnçfie, cçles quittances de finance,
l'oit contrats ou recohn.oifiances, peur le paiement
de la dette. Je m’élève, dis-je,^contre,cette afio-
ciation, comme n’ajoutant rien à la confiance due
aux' affignats r, ' comme compliquant la mefu^e ,
'coniirjê prodigtîant dés intérêts inutilès , comme
ouvrant ‘jà porto à des fpéculations dont les fuîtes
peuvent être pèrnicieufes.,Et quant à l'option làiflee
àux créanciers , dans quelquesfprojets ; entre les
affignats 8c les obligations territoriales , pourquoi
cette option a - t - e l l e été imaginée ? C’eft en
comptant, dit-on , fur la préférence qui fera donnée
aux affignats. Je demande fi une àufîi puérile
coxnbinailon eft digne de cette affemblée.
Je fais qu’en dernière analyfe , la nation ne
gagneroit rien à l’économie d’intérêt dont je viens
de parler , fi YaJJignat verïoit à tomber en diferé-
dit ; mais après tout ce que nous avons obfervé à cet égard , il nous eft permis de regarder cette
épargne d’intérêt comme quelque chofe. Nous devons
fur-tout en fentir la conféquence, dans les
circonftances où nous entrons.
L’impôt, dont le nom feul, jufqu’à préfent, a
fait trembler les peuples , mais qui doit préfenter
maintenant un tout autre afpeâ, l’impôt va recevoir
chez, nous une . nouvelle forme. Nos charges
feront allégées ; mais nous avons encore de grands
befoins. Le fardeau ci-devant plus divifé , & fup-
porté dans fes différentes parties, de jour à jour ,
pour ainfi dire , fe faifoit peut-être moins fentir,
bien qu’en fournie il.pefât cruellement fur la nation.
Aujourd’hui qu’il va fe concentrer en quelque
forte, & fe rapprocher plus près des terres, il
peut étonner le peuple, & lui fembler pénible à
porter. Cependant il n’eft aucun de. nous qui ne
fente combien le fuccès de cette grande opération
importe à celui de tout notre ouvrage. Nous
n’aurons rien fait pour la tranquillité 8c pour le
bonheur de la nation, fi ellé pouvoit croire que
le règne de la liberté eft plus onéreux pour elle
que celui de fa fervitude. (O n applaudit).
Nous pouvons affoiblir maintenant cette redoutable
difficulté ; nous pouvons diminuer les impofi-
. lions de toute la différence qui exifte entre l’intérêt
qu’on attachera aux quittances de finance ,
ou autres inftrumens de liquidation , & le revenu
«Tune maffe de biens nationaux , équivalons au
.capital de ces quittances. Nous pouvons les diminuer
encore de la différence entre l’intérêt de la
fomme des quittances qu’on voudroit donner en
rembourfement des .divers offices , celui que
perçoivent aujourd’hui leurs titulaires. En rafiem-
blant ces deux objets , dont l’évaluation dépend
du rapport entre ces différens intérêts, on peut
afîùrér à la nation, pendant plufieurs années, une
grande épargne , fi l’on acquitte par des ajjignats
la dette actuellement; échue. Il eft bien d’autres
épargnes qui feroient le fruit de cette mefure ;
mais il en rêfultera évidemment un moins im-
pofé pour les François. Or , fi le parti des ajjignats
préfente d’ailleurs tant d’avantages , & fi
nous pouvons les regarder comme un ritre d’une
folidité fi parfaite, qu’on ne doive point en craindre
l'altération , vous fentez quelle prépondérance y
ajoute le foulagetnent qu’ils apportent au fardeau
des fubfides ; vous fentez même quel accueil ce;te
économie peut valoir à la mefure des affignats, &
Comment le public - fera difpofé à fayorif«r leur
Ajfemblée Nationale, Tome II. Débats,
fuccès par la confiance ; vous fentez combien votre
fyftême général d’impôt trouvera' plus dû facilité à
être adopté, en le préfenrant comme un rcfultat
diminué d’une fomme fi èçnfidérable ; vous fentez
enfin quel avantage ont encore ici les ajjignats,
qui, en allégeant les impofitions, en facilitent de
plus'le paiement par leur qualité circulante : ail
lieu que les quittances de finances, avec tous les
autres vices, aggravent les charges de l’état , &
ne fourniffent aucun moyen de les fupporter.
Quand je réduis la création des ajjignats-mov.-
noie à Ja fomme ftri&ement néceffaire pour le
paiement de la dette a&uellement exigible, c’eft;
que nous devons leur laiffer tout l’appui d’un gage
étendu , & que la jufte confiance qu’il importe
de leur affiirer, nous preferit , à cet égard , des
bornes inviolables. Et je ne conçois pas comment
l’on a inféré de mon précédent difeours
fur ce fujj.et, que je comprénois dans cette dette
exigible , celle qui rigoureufement n’eft pas exi gible,
celle qui ne l’eft point encore, & qui né
le.fera qu’avec,le temps. Je ne comprends pas que
quelques perfonnes fe foient effrayées de ma-pre-
pofition , comme fi j’avois demandé la création de
deux milliards d',aJJignats-monn<Âe , tandis que je
n’ai pas articulé une feule fomme. Quand même
la maffe des fonds nationaux 8c difponibles pourroit
s’élever à trois milliards, pouvons-nous eonm-
ter fur cette fomme ? Nous favons bien que tout eft
à vendre ;• mais la fleur des biens attirera les premiers
preffemeus ; & quant au refte , une partie peut
refter long-temps fans acheteurs. La prudence nous
oblige donc à borner l’apperçu de cette richefïe
territoriale à deux milliards. Joignons aux quatre
cens millions à!ajjignats répandus , une réferve à-
peu-prés égale pour les befoins futurs & contin-
gens ; refte au-delà d’un milliard pour l’acquit de
cette partie de la (dette publique , à laquelle on
peut donner le plus ftriâement le nom d’exigible.
Si nous favions nous réunir fur les objets
que je viens de mettre fous vos yeux ; fi nous
favions écarter les nuages d’une fan fié défiance,
d’où peuvent encore partir les tempêtes ; fi, nous
ralliant aux vérités qui fauvent, nous n’avions
d’ardeur que pour les défendre 8c les propager ,
toute incertitude, toute crainte cefferoient, oc.la
reftauration dé nos affaires feroit très-prochaine.
Rien n’eft plus fragile que la confiance., puifqu elle
dépend toujours, en quelque p o jn td e l’opinion ;
l’ébranler eft donc un grand tort , quand elle
repofe fur de bonnes bafes , quand elle peut faire
le filut de nation. Tous François, compatriotes
& frères , nous ne pouvons ni périr , eî nous
fauver les uns fans les autres : en nçus élevant
au - deffus des circonftances paffagères , fâchons
voir que les mêmes intérêts nous commandent les
mêmes voeux, nous preferivent le rnç-mç langage.-
( On applaudit ).
Comment donc fouffrir , dans la grande affaire
qui nous occupe ^ qu’on emploie plus de mouye-
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