
M. du Châtelet. Je n’ouvre mon opinion contré
l’inculpation qu’avec défiance, quand je vois qu elle
a contre elle un miniflre dont les talens font
connus, des militaires expérimentés, un comité
recommandable par la longue expérience de fes
membres, & dont l’avis eft unanime. Rien de
plus mauvais en général & pour les circonftances,
que le doublement qu’on vous propofe: il n’y a
jamais eu en France des régimens de quatre bataillons.
En Pruffe ils ne font de que deux & trois.
Tous les militaires qui ont de l’expérience ,
vous diront que des regimens de deux bataillons
font bien plus commodes dans toutes les occa-
fions pour les colonies & pour les vaiffeaux : il
faudrait deux bataillons, alors les régimens ne
feraient plus entiers ; on devrait les réunir. Il
vaut bien mieux envoyer dans les colonies des
corps complets que des corps morcelés. Si vous
briffez les régimens à deux bataillons , cela fera
quatre mille hommes de plus & douze cens officiers
; cela ne doit pas l’emporter fur de grands
avantages. Le miniflre, dit-on, eft d’avis de quatre
bataillons, mais c’eft par complaifance, ou vaincu
par les raifons du comité. Peu importe qu’ils foient
de la façon du comité ou du miniflre. Quant à
M. le maréchal de M u y , il avoit trouvé les régimens
de quatre bataillons établis , il m a dit
qu’il'ne les aurait pas formés. Quant à la cavalerie
, je conviens que les régimens de trois efca-
drons font trop foibles ; le nombre quarré eft le
meilleur; on pourrait les mettre à quatre, mais
point à fix. Au refte, il ne faut point d'incorporation,
ce feul mot fait frémir. J’en ai vu faire ,
elles ont occafionné dans les corps fix ans d’agitation.
Pouvez-vous les-adopter quand la guerre
eft prête à éclater ? Un officier incorporé fe trouverait
à la queue, tandis qu’il étoit a la tête.. . .
Je foutiens , contre l’avis du préopinant que,
circonftances & politique à part, l’incorporation
eft dangereufe pour l’infanterie & inutile pour
la cavalerie ; je fuis d’avis des brigades propefées
par M. Bouthiilier. Il faut qu’elles foient commandées
par un maréchal de camp non inamovible
, mais en ligne. Si le régiment eft bien, le
mérite en reviendra au colonel ; fi la brigade eft
bien, le mérite en reviendra au maréchal de
camp ; fi la divifion eft bien, le mérite en reviendra
au lieutenant-général. Ainfi laiffant a chacun
le mérite qui lui revient, je conclus à ce
qu’il n’y ait aucune efpèce d’incorporation.
M. de Cazalès demande que la difeuflion foit
fermée.
M. de Broglic. Les circonftances qu’on a oppofées
contiennent deux objets ; l’un eft relatif aux dif-
pofitions qui nous menacent, l’autre a la crainte
d’ajouter un nouveau ferment à l’agitation qui
exille déjà. Quant à là guerre , il élut oppofer aux
ennemis des forces égales à celles qu’ils mettent en
'avant. En réformant 30,000 hommes & ert ns
changeant rien aux bataillons, vous ferez oblioés de
prendre fur les régimens, & vous les rendre?
plus foibles encore qu’ils ne font. I l y a deux
ans , lorfqu’on forma un camp , les régimens
étoierit cenfés compofés de 1136 hommes; on
ne demanda que .900 hommes fous les armes
par régiment , les autres devant relier dans les
garnifons, & l’on eut avec peine les 9 0 0 hommes,
Douze régimens ont été doublés ; ainfi, par le
doublement, une partie de Yarmée reviendra , pour
ainfi dire , à fa première famille. Par exemple J
le régiment de Blaifois ne craindra pas d’étre
réuni avec celui de Picardie , Armagnac avec
Navarre , &c. Les incorporations pourroient être
dangereufes dans les temps ordinaires ; mais quand
on confidère ce qu’a fait l’affemblée nationale,
& les facrifices auxquels on s’eft fournis fans ré-
Mance , -on eft convaincu que le patriotifmé bien j
connu de Y.armée lèvera tous les obftacles.
Je pafte aux inconvéniens de détails oppofés i
à la formation des régimens de quatre bataillons,!
On dit que la fubordination fera bien plus diffi-J
cite ; mais il faut confidérer que les officiers qui
feront à leur tête auront des talens & d e longs]
fervices ; que pour la manoeuvre connue en guerre,
le colonel & le général ont à remplir des fonctions
femblables. On a obje&é que beaucoup de
garnifons ne pourroient pas contenir quatre ba-1
taillons; mais lorfque la comptabilité fera établie!
ifolément pour chaque bataillon, le régim ent ne!
fouffrira pas de fa divifion : quant au d é ta il d’économie
, c’eft encore la même chofe ; ca r un officier
particulier en fera chargé pour chaque bî41
taillon.
On demande à aller aux voix»
M. Regnaud. Ecoutez donc l’avis d’un officier* J
général qui a fervi pendant 30 ans. On a penlel
que les circonftances repoufloient lfincorporation. I
Si elle eft bonne, il faut toujours l’adopter ; mais eUy
eft mauvaife : on a dit que l'es gros corps font g
gner les batailles ; ce ne font pas les^ corps de
quatre bataillons , mais ceux que le général I
pour l’aélion ; c’eft par les jambes & la celenw
qu’on prévient l’ennemi & qu’on gagne les ba-1
tailles. Le comité s’appuie fur l’avis d'officiers-
généraux expérimentés qu’il dit avoir appelas3
fes féances ; mais l’opinion du comité ©toit pri ®
quand iis y ont été introduits j. le miniflre na
confenti à l’incorporation que parce qu’il avoi
cru s’accorder avec le comité. Je^ demande qj1
ces officiers-généraux foient appelles, & qu*"
taillent les motifs de leurs opinions; quant à wj,
j’ai fait mon apprentiftâge fous les meilleurs maut d
leurs leçons & mon expérience m’ont appris q11 j
deux bataillons fuffifent pour Former unrégi®en'
On demande à aller aux voix.
La difcufîion eft fermée à une grande niajorit
, On demande à entendre le rapporteur
{comité.
M. Regnaud de S. Jean d’Angely. II eft très-
L n fans doute d’entendre le rapporteur d’un comité,
quand la difeuflion n’eft pas fermée; dans
|ja circonftance préfente, un grand nombre de
Imembres qui, comme moi, n’entendent rien à la
matière qu’on traite , feront de l’avis du dernier
Lui a parlé.
! JW.lepréjîdent. Je pofe ainfi la queftion : y aurait
il incorporation ?
11 s’élève quelques débats.
M. lepréjîdent. Ç’eft ainfi que je l’ai pofée pour
la difeuflion , elle doit l’être de même pour la
Hécifion...
M. Arthur Dillon. Il faut pofer féparément la
jqueftion pour l’infanterie 8c la cavalerie. Je demande
la divifion.
. M. de Nouilles. Je ne chercherai jamais , par une
manière infidieufe de pofer la queftion , à entraî-
jner l’aflemblée dans une décifion qu’elle n’auroit
pas voulu prendre ; j’étois au commencement de
[la féance’; on a préfènté cette queftion à la dif-
■ cufîîon : -Doit — il y avoir une incorporation dans
[l'armée ? Il J ne peut pas y en avoir d’autre à
pofer.
La divifion eft rejettée.
L’aflemblée décrète qu’il n’y aura aucune efpèce
^’incorporation dans Yarmée.
Séance du 6 août i?ço.
M. delà Tour-du-Pin , miniflre de la guerre, eft
[Introduit ; il lit un mémoire.
Meflieùrs, je me préparois à mettre fous vos
[yeux le nouveau travail que le roi m’a commandé
We faire fur Yarmée ; mais fa majeflé , convaincue
taue le retour de l’ordre & de la difeipline dans
|es différent corps qui s’en font écartés , doit in-
iifpenfablement précéder, ou même préparer tous
P changemens militaires qu’elle p'ourroit tenter, 1 3 1 , avant tout, vous informer de la licence
[effrénée > où je ne fais quel génie ennemi de la
jrrancè ne cefle d’entraîner une partie de nos trou-
j p Lé nombre des régimens féditieux & mutins
pfccroit journellement ; chaque courrier annonce
[ne nouveaux défordres , & la fucceflion des jours
p e lt plus, pour le meilleur des rois, qu’une fuite
fontinue & rapide de chagrins accablans & de
[Nouvelles dèfaftreufes.
ces étranges fénats, & chaque jour ils ofent- davantage.
Matières politiques , affaires de finance,
réglemens de - police , tout eft de leur refiort,
tout clevienrTobjet de leurs turbulentes délibérations.
C ’eft dans ces funeftes comités que fermentent
fans-ceffe les plus violentespaffions ; là triomphent
toujours les plus féditieux & les plus emportés ; là
s’eft préparée, là s’eft réfolue la détention du lieutenant
colonel de Poitou, deux fois mis en prifon
par fes propres foldats. Ce font ces mêmes &
dangereufes communications qui ont enhardi une
partie de Royal-Champagne àrefufer de reconnoî-
tre pour fous-lieutenant, un des fous-officiers que
le’ roi venoit d’élever à ce grade où l’appelloient
fes fervices & fon ancienneté. C ’eft encore de
ces foyers de révolte &; d’audace que partent
ces pétitions fcandaleules qui viennent de toutes
parts affaillir l’autorité.
Il n’eft plus de pouvoir qui ne foit méconnu ;
une partie de Yarmée négocie tous les jours par
fes envoyés avec le miniftère, & mon cabinet eft
fréquemment rempli de foldats députés, qui viennent
m’intimer fièrement les internions de leurs com-
mettans ce font leurs expreffions. Tant que le.
mal a refté concentré dans chaque régiment, tant
que nul concert entre différens corps n’a menacé
l’état de ligues dangereufes, fa majefté, qui déjà
vous avoit confié fes inquiétudes fur l’in difeipline.
dont elle voyoit dès-lors éclater d’alarmans fymp-
tomes , n’a pas cru vous devoir affliger chaque
jour par les récits de nouveaux défaftres. Elle
efpéroit toujours le retour de l’ordre , du temps,
du zèle des officiers, de la vigilance de l’admi-
niftration, & fur-tout de l’efficacité de votre in-,
tervention : mais le mal empire & fe propage à
chaque ioftant ; ce n’eft plus un corps particulier;
qui délibère & prononce fur fes intérêts ; ce font fept régimens qui forment dans Strasbourg un
congrès militaire où chacun fournit trois députés.
Je n’accompagnerai d’aucune réflexion le récit de
ce fait ; mais les plaies profondes que firent à
l’empire Romain de femblables excès ; mais les
maux occafionnés chez un peuple voifin , dans
le fiècle dernier, par de pareilles afîbciations de
foldats enthoufiaftes & faâieux, fontv autant d'ef-
frayans avis que vous donne l’hiftoire. Repréfen-
tans des François, hâtez-vous d’oppofer la mafle
de leurs volontés à ce torrent d’infurre&ions militaires
; n’attendez pas que de nouveaux orages,
viennent le groflir : peut-être alors les plus fortes
digues feroient infuffifantes pour arrêter fa furie.
Je ne me laflerai point de le répéter ; la nature
des chofes exige impérieufement que le corps militaire
jamais n’agifle que comme inftrument. Uniquement
fait pour exécuter la volonté générale,
tant au - dedans qu’au - dehors de l’état , il doit
lui-même être fans volonté. Il faut qu’indifférent,
comme les corps phyfiques , foit, au .repos , foit
au mouvement , iî attende toujours que la loi,
vienne le mouvoir dans le temps , dans le fens.