
Je recommande à tous les bons citoyens qui
m’écoutent; je recommande à tous ceux de nos
collègues qui fe montrent fi ardens. pour faire la
conquête d'Avignon ; je leur recommande de méditer
dans leur patriotifine ce modèle de pétition
des colons américains , dans laquelle jé n’ai changé
que les noms. L ’identité eft ici évidente. Je les
défie hautement de m’afligner la moindre différence
, 8c de me dire comment ils pourvoient
blâmer la défe&ion des colonies, après avoir con-
facré la révolte des Avignonnois, après avoir
donné aux Anglais l’exemple d’une telle ufurpa-
tion. O h I fi jamais ce fatal projet s’exécute, je
rends fes auteurs & fes fauteurs refponfables des
guerres étrangères, des révoltes inteftines, & de
toutes les calamités qui en feront les fuites inévitables.
Je lesdéft once à la nation , comme ennemis
•de la patrie ; je les dénonce à l’uniyers , comme ennemis
du genre humain. M a i s n o n , non , je ne
veux ni les défier, ni les dénoncer. Je fens , fi
j ’ofe parler ainfi , que j’ai trop d’avantages dans
ce moment. Je ne veux point me fervir ici de
tous mes moyens. Faut-il me profterner devant
eux , pour mieux les défarmer ? Je les fupplie
donc, je les conjure, au nom de la France entière,
de pefer les conféquences du décret fatal
qu’on veut leur -arracher, & de fe demander à
•eux-mêmes, fi l’aéfe d’invafion d'Avignon ne fe-
Toit pas un manifefte ' juftificatif en faveur des
ennemis du dehors qui voudroient nous déclarer
la guerre , & en faveur des provinces, des villes
& des colonies qui voudroient fe révolter.? A h .!
ifi on a voulu perdre ces colonies précieufesqui
valent deux cens cinquante millions.,de revemi
annuel à l’état ; fi les infenfés qui ont ofé vous
dire que la France pouvoit facrifier impunément
itoutes ces poffeffions lointaines , entreprennent de
vous perfuader aujourd’hui que vous avez be-
foin à'Avignon ; fi le même parti a formé le complot
de ruiner le royaume , d’un côté par une
miférable conquête, de l’autre, par la feiflion la
plus défaftreufe ; enfin, fi nos légiflateurs philan-
tropes ont voulu , Meilleurs, vous préparer par
une indu&ion conforme aux règles de -la plus fédère
logique, à la perte prochaine & éternelle
«de toutes vos colonies, il faut avouer quïl étoit
impofllble de prendre un moyen plus adroit pour ;
y réuflir, qu’en vous propofant de décréter la
confifcation à !A v ig n o n en vertu dufeul voeu fup-
pofé des Avignonois.
Vous avez vu , Meflleurs, «il y a peu de jours , ‘
lorfque vous délibériez fur les pétitions des hommes
de couleur, vous avez vu que nous ne voulions
pas faire de cette queftion une affaire de parti.;
Nous avons prouvé, dans cette délicate & mémorable
.difcufiîon, que les défenfeurs de la vé- ;
-rité-, quels qu’ils fuffent, n’étoient jamais lios ad-
-verfakes. Nous nous fommes réunis loyalement •
à ce même parti qui nous fut toujours fi oppofé. {
^ious efpérons que le même amour de la jufiiee j
& de la patrie Va le rallier aux principes facrés
que nous revendiquons dans ce moment, pour
préferver la France de l’injufiice fcandaleufe dont
elle fe fouilleroit, en conquérant la ville $ A v ignon.
Ce décret funefte feroit le germe d’une
guerre inévitable. Vous n’avez pas oublié que
l’initiative de la guerre a été réfervée, par vous-
mêmes,, conftitutionnellement & excliifivement au
roi. O r î, une conquête , une invafion , enfin,
une fpoliation d’un fouverain étranger ne fe-
roit-elle pas au moins une propofition initiative
de guerre ? Le parlement d’Angleterre ,
dont nous devons lire les ffatuts dans cette affem-
blée, pour nous pénétrer des grands principes de
la légiflation , comme on étudie les cartes géographiques
, & les relations des voyageurs, quand
on va faire le tour du monde, le parlement d’Angleterre
n’a jamais ni fait ni propofé aucune conquête
à fes rois.
J ’entends ici la voix de M. de Menou ;
mais il m’efi impofiible de démêler, & fur-tout
de fuivre fesraifonnemens. S’il veut me répondre,
je fuis prêt à lui céder la' parole. Je le prie feulement
de ne s’adreffef qu’à moi feu !p ou r me
confondre, parce que jë n’ai chargé aucun de fes
voifins de le réfuter en mon nom.
Je dis ( s’écrie auffi-tôt M. de Menou) que tous
vos raifonnemens font de vraies déclamations.
L ’affemblée nationale eft mécontente de là cour
de Rome. Le pape ne mérite pas que nous foyons
fi juftes à fon égard.
Eh ! qu’importent à des juges tous ces mêcôn-
tentemens, fur lefquels j’aurois tant de chofes à
dire ? Me prenez-vous donc pour un fuppliant1 qui
follicite votre générofité? La jufiiee eft-elle donc , à
votre avis, une grâce que vousnepenfiez devoir qu’à
vos amis ? La jufiiee ri’appartient-dle pas à tout lé
monde ? Quoi-1 vous convenez que la caufe du
pape eft jufte , & vous ofez dire à cette affem-
blée , que le pape ne mérite pas que nous foyons
juftes nous-mêmes ? il ne mérite pas votre jufiiee!
Ce n’eft pas de cela qu’il s’agit ( reprend M.
de Mehou ) ; j’ai voulu dire, quand vous m’avez
interrompu, qu’il n’étoit ici queftion que d’urfé
affairé politique. Vous nous avez parlé du parlement
d’Angleterre. O r , je foufiens qu’il y a une
grande différence, entre la puiffance de la cour
de Rome 8c les efeadres angloifes. Vraiment je
n’aUrbis pas conferllé à la nation de s’emparer
à'Avignon ,• fi cette ville appartenoit à l’Angleterre.
Je n’ai pas dit un mot de cela. Ne me
faites pas déraifonner, je vous en prie. J’ai dit
•tout le contraire; en développant mes1 principes
fur l’ufage que l’on doit faire de la force publiques
vous l’avez oublié, mais mon rapport en fait foi.
Non, Monfieur, je n’ai point oublié cette théorie
que vous nous avez expofée •; je veux vous
en- réftituer toute la gloire. Je vais- donc vous
faire raifonner d’après vous-même.; ce fera .ma
feule ma nière .' d e -vous faire déraifonner. Ecoutezànoî
donc de grâce ; & jugez fi j’ai bien faifi le
fyftême d’agrelfion que vous avez développé dans
■ cette tribune.
Selon la doârine de M. le rapporteur, routes
les fois qu’un état fe difpofe à une déclaration de
«guerre, il doit d’abord comparer fes moyens aux
refibürces de fon ennemi. Si l’adverfaire qu’il veut
attaquer eft plus püiflant que lu i, la raifon lui
«confeille d’éviter une agrefiion dans laquelle il
fuccomberoit. Si les forces refp.eélives font à-peu-
près égales, la prudence ne lui permet pas de fe
compromettre ., fans aucune certitude morale de
fuccès. S i , au contraire, il eft affuré de .combattre
.avec avantage un ennemi inférieur en moyens,
SI peut •& doit l’attaquer fans nul ménagement. •
Voilà , mot à mot , les principes lumineux que
vient de profeffer M. de Menou. Les conféquences
«en font fort claires; & èlles s’appliquent très-
naturellement à la cour de Rome, que nous
pouvons braver impunément.
E li bien ; Meflieurs !/ce fyftême qui vous eft
recommandé .par votre comité diplomatique 8c
par votre comité d'Avignon., ne m’étoit point inconnu.
Je me fouviens qu’il étoit de mode de le
•développer dans mon enfance.; & je veux vous
»en faire connoître aujourd’hui le véritable auteur,
dont M. de Menou ne vous a point parlé, quoiqu’il
fe foit mis avec lui, dans fon rapport, en pleine
Sc entière communauté de politique & de morale.
Il a exifté , au milieu de ce fiècle, un homme
fameux par la terreur qu’il infpiroit, & par la
haute valeur qui le fignaloit «dans Toute l ’Europe.
J1 étoit né fans fortune., il aimoit la dépenfe., il
vouloit s’enrichir. Toujours avide & toujours prodigue
, il a voit raffemblé autour de lui une foule
de braves qu’attiroit à fa fuite l’opinion univer-
felle que l’on avoit conçue de fon courage & de
:fes talens. Dès qu’il fe vit à la tête de cette
•.troupe d'élite., il comprit, en chef habile., qu’il
'devait ménager le fang de fes compagnons, tou-
rjoiirs impatiens d’affronter à fa voix les plus grands
•dangers. Sa maxime confiante étoit comme celle
de M. de Menou., qu’il ne falloit jamais attaquer
O’ennemi, quand on étoit le plus foible. Loiii de
îtenter ces téméritésbfiliantes, que le fuccès lui-
même ne juftifie pas toujours aux yeux des fages,
i l mettoit alors fa gloire à éviter le combat, tantôt
par Je choix des polies .où il fe rendoit inattaquable,
tantôt par des .retraites imprévues., dont
i l avoit la fierté de ne jamais rougir. I l fuyoit
•fans honte, quand il ri’appercevoit aucun autre
.moyen de falut. Voilà déjà une première analogie
de fes principes, avec la doébine politique de M.
lie rapporteur. Il y a plus, Meflieurs, & la parité
va devenir parfaite. .Quand le réfultat de fes
manoeuvres l’expofoit à combattre à armes égales,
i l penfoit, comme M. de Menou, que la prudence
du commandement ne lui permettoit de rien
ilivrer au -hafard. I l -ne .compromettoit point. ;fa ré-
jpntaüon <qu fa fortun«j il .évitait ces combats iadéds
& incertains, dont il ne pouvoit pas fe promettre
de grands avantages. î r s ’élevoit au-deflus
des jugemens vulgaires; il fouffroit patiemment
la centure de fes frères d’armes, dont l’ardeur ne
calculait point les événemens, & ne voyait dans
un combat , que la gloire ou le butin. Il réduifoit
alors tout fon talent à là fageffe de fes précautions
défenfives ; & il redoutoit noblement pour autrui,
le danger qu’il ne craignit jamais pour lui-même.
Mais lorfque, par fes difjpofitions favantes ou
adroites, il parvenoit à rencontrer ou à envelopper
un ennemi inférieur en nombre, il s’aban-
donnoit alors à toute l’impétuofité de fa valeur;
il provaquoit , il pouffoit fes compagnons d’armes
au carnage ; il déclaroit qu’il ne paieroit la
rançon d’aucun prifonnier ; il n’accordok point .de
quartier aux vaincus ; & il ne croyok avoir
triomphé du parti le plus foible, qu’aprèsl’avoir
entièrement exterminé. Cet homme, Meffieurs,
dont vous avez fouvent entendu fans doute vanter
•la haute vaillance ; cet homme, dont M. de Menou
a parfaitement expofé la théorie qu’il vous
propofe aujourd’hui d’adopter, & qu’il a humblement
appropriée à vos comités réunis ; cet homme
rare enfin ., que vous êtes tous fi impatiens de
connoître., s’appelloit Louis Mandrin !
M. le rapporteur trouvé-t-il a préfent. que je
le fàffe bien raifonner; & demande-it-il la parole
pour me répondre.-?
Je vois avec fatisfaélîon, mais fans furprrfe„
qu’un pareil rapprochement fuffit pour réfuter,
dans cette tribüne;T’immora!ité des principes auxquels
M. de Menou a été obligé de recourir,
pour juftifier vos entreprifes contre le pape. Tai
befoin de defeendre à des comparaifons qui vous
pénètrent tous d’horreur, pour me faire entendre
de vos tribunes qu’on a féduites, qu’on a fou-
levées contre m o i, & qui rougiffent dans ce moment
de leur afîbciation involontaire, avec le bri>
gand le plus forcené de ce fiècle. On n’a négligé
aucun moyen dans cette difeuflion pour égarer le
peuple : je ne dois en omettre aucun pour l’éclairer,
& pour diriger fa haine contre les véritables corrupteurs
de l’opinion publique J ’entends publier
à grands cris dans- les rues de cette capitale.; que
-dis-je ;? vous l’entendezon publie e n co re a u tour
de cette enceinte, au moment même .où je
vous parle , qu’il s’agit , pour la nation fran-
çoife., en s’emparant d'Avignon., dé gagner cent
-millions de biens eccléfiaftiques, & foixante millions
d’impôts ; tandis que le revenu total du
Comtat Venaiflin & d’Avignoq ne s’élève pas
.annuellement à dix millions. Voilà de quels mé-
prifables menfonges on n’a pas honte de fe .ferv
ir, pour abufer un peuple qui croit tout, &
permet tout durant le long fommeil de notre gouvernement
, mais dont le réveil.fera terrible., quand
il connoîtra les perfides qui favent bien .aujour-
.d’hui qu’il faut le féduirè, pour le dénatiirer.
Il ignore fans doute^ .c.e peuple fi .avide, sque