
que je vous propofe, en même temps qu’elle eft
un étai moral & infaillible de notre révolution ,
ne foit le feul moyen certain de nous foutenir
dans la .difette du numéraire que nous éprouvons?
Notre numéraire territorial, ou pour tranfporter ,
puifqu’il le faut, des mots connus dans une langue
nouvelle , notre numéraire fi&if étant fait
pour repréfenter le numéraire réel & le reproduire
, pouvons-nous douter que fon abondance
ne fade tôt ou tard ce que feroit l’abondance
d ’efpèceseffeéiives; je veux dire, d’élever le prix
des effets publics , de libérer le propriétaire de
ces effets des mains de fon'créancier, qui les
retient en nantiffement, & qui diâe à fon mal- I
heureux débiteur une loi ruineufe, de faire baiffer
fenfiblemeht l’intérêt dé l’argent, de faciliter les
escomptes, de multiplier les affaires, de remonter
le crédit, & fur-tout, de donner une plus
grande valeur aux biens nationaux ?
Quoi 1 feroit-il néceffaire de le dire ? on parle
de vendre , & l’on ne fourniroit au public aucun
moyen d’acheter ! On veut faire fortir les ;
affaires de leur ftagnation , & l’on fembleroit 1
ignorer qu’avec rien , on ne fait rien ; on fem- 1
bleroit ignorer qu’il faut un principe de vie pour
,fe remuer, pour agir & pour reproduire î Certes,
ce feroit-là vraiment le chef-d’oeuvre de l’invention
, la pierre philofophale des finances , f i , fans
argent & fans rien qui le rèmplace, fans crédit
quelconque, au fein d’une inertie qui nous tue,
nous trouvions le moyen de revivifier tout-à-coup
les affaires, & de reifufeiter comme par enchantement
, travail , induftrie, commerce , abondance
! Ce que nous pourrions attendre à peine
d’un miracle , nous pouvons l’efpérer des moyens
adaptés à notre but. C ’eft le numéraire qui crée
le numéraire ; c’eft ce mobile de l’induftrie qui
amène l’abondance ; c’eft le mouvement qui anime
tout, qui répare tout : au lieu que la misère eft
toujours misère; & qu’avec elle, fans courage,
fans expédiens pour en fortir , il n’y a qu’une
mine entière à envifager. Jettez donc dans la fo-
ciété ce genre de vie qui lui manque ; & vous
verrez à quel degré de profpérité & de fplendeur,
yous pourrez dans peu vous élever.
Combien , Meflieurs, avec tout le zèle qui
nous anime dans nos travaux, nous fommes tardifs
néanmoins en certaines chofes ! Combien
nous laiflons péricliter quelquefois la chofe publique
, faute de prendre une réfolution prévoyante
, & de favoir devancer les événemens !
C ’eft par les finances que l’ancienne machine a
péri; c’étoit affez dire que „la nouvelle ne pou-
voit fe conftruire & fe foutenir fans les réparer
inceffamment. C’eft par ce même défaut de moyens,
que nous avons éprouve durant nos travaux,
tant d’inquiétudes , de perplexités; & nous n’avons
adopté encore, à cet égard, aucun plan, aucune
marche sûre ! Nous nous fommes fauvés, il- y a
quelques mois, d’une . crife terrible ; quatre cens
millions à'tijjignats ont comblé le précipice qu’il
falloit franchir , & nous ont fait refpirer jufqu’à
ce jour. Voyons donc, confidérons comment cet
éclair^ de bien-être s’eft évanoui ; & s’il faut conclure
de l’état des chofes , que nous, ne devons
plus ufer de cette reffource, que l’expérience nous
en a fait fentir les dangers ; ou p lu t ô t s ’il ne
faut pas conclure que c’eft encore là le port du
'falùt !
Votre décret*, Meflieurs, au fujet de l’émiffion
des ajjignats-monnoie, pour la fomtne de quatre
cens millionsfut l’ouvrage de la néceflité , parce
que nous attendons oujours», pour nous exécuter,
l’inftant où nous fournies forcés par les circonf-
tances ; ce décret eût pu être l’ouvrage de la prudence
; & porté plutôt, il eût prévenu de grandes
angoiffes. Mais enfin, dès qu’il fut mis en
exécution, On vit un amendement fenfiblc dans
les affaires, l’intérêt de l’argent diminuer, les effets
reprendre faveur, le change avec l’étranger fe
rapprocher du cours ordinaire , les contributions
patriotiques' devenir plus nombreuses ; heureux
effets qui inconteftablement fe feroient foutenus,
développés, fi les ajfignats euffent eu une defti-
nation plus étendue, fi leur étniftion eût été plus
confidérable ,.fi les mefures prifes d’avance euffent
permis plus de promptitude dans cette émiflion;
& fi, enfin , ils euffent été divifés en fommes affez
foibles pour entrer dans les affaires de la partie
laborieufe du peuple.
Mais qu’arrive-t-il ? C’eft que ce papier numéraire
fe précipite bientôt dans les provinces dont
la capitale eft débitrice. Près de la moitié étoit
déjà cenfée en circulation par les billets de caiffe
que les ajignats ont remplacés. A mefure que
l’émiflion- s’en fait du tréfor public, un écoulement
rapide les porte loin de nous*, & nous laiffe
à-peu-près, pour la quantité du numéraire, dans
le même état qu’auparavant. Il n’eft donc pas
furprenant qu’après quelque temps, les mêmes
befoins fe faffenf fentir, & que Paris n’éprouve
pas aujourd’hui, dans les affaires,. l’aifahce qui
auroit eu lieu, fi tous les ajjignats euffent été ref-
ferrés dans la circulation municipale.
Eft-ce donc férieufement qu’on femble craindre
une efpèce de fubmerfion de ces ajjignats , fi on
les accroît en quantité fuffifante pour le paiement
de cette partie de la dette que j’ai indiquée ? Je
dis que la fociété eft diffoute , ou que nos ajjignats
valent des écus, & doivent être regardés
comme des écus. O r , eft-il quelqu’un qui puifle
nous dire quelles bornes on doit mettre au numéraire
, pour qu’il n’excède pas, dans un royaume
comme la France , les befoins de l’induftrie ma-
nouvrière, de l’induftrie agricole , de l’induftrie
commerciale ? Eft-il quelqu’un qui ait pu faire ce
calcul même dans l’ancien régime où tout étoit
•gêné, étranglé, par les -privilèges, les prohibitions
, les vexations de tojjte efpèce ? A plu*
, forte raifon dans ce nouveau lyftême de Uberté
j où le Commerce , les arts ; l’agriculture J
doivent prendre un nouvel effor ; & demanderont
fans doute , pour s’alimenter , de nouveaux
moyens dont l’imagination ne peut fixer l’étendue
? Eft-ce donc dans la difette effrayante où
nous nous trouvons, efbce à l’entrée de la carrière
où nous allons nous élancer, que nous pouvons
redouter d’être embarraffés de numéraire?
Ne fait-on pas* d’ailleurs, quelle que foit l’émif-
fion des ajjignats, que l’extin&ion s’en fera fuc-
cefliyement par l’açquifition des biens natio- ,
naux ?
Nous fommes citoyens, de la France ; ne graduons
donc pas toutes chofes fur l’échelle infi-
delle de Paris. Jufqu’à préfent les affaires n’y ont
été menées que par faccades. Quand le mouvement
irrégulier des efpèces les accumuloit fortuitement
fur cette place, on difoit que le numéraire
étoit abondant : mais bientôt après ,
le reflux ayant emporté & le fuperflu & le né-
ceffaire, on difoit que le ^numéraire étoit rare ;
& peut-être, dans ces deux cas, n’étoit-il pas entré
ni forti un écu de plus du royaume.
Nous avons donc beau être à Paris, ce n’eft pas
fur les mouvemens d’argent qui fe font fentir à
Paris, ce n’eft pas fur les opinions conçues à Paris,
quant au numéraire , que nous devons régler les
nôtres ; ce n’eft pas fur les erremens de la bourfe
de Paris, que nous devons combiner nos opérations.
Et je récufe, dans le fujet qui nous occupe,
le jugement de ces banquiers, ces agens-de-change,
ces agioteurs de profeflion, qui, accoutumés juf-
qu’ici à influer fur les finances , & à s’enrichir
des folies du gouvernement, voudroient nous engager
aujourd’hui à jouer l’on rô le , afin de continuer
à jouer le leur. Je penfe donc , du moins
quant à moi, & j’ai mille raifons de penfer que
nous aurons à l’avenir plus beloin de numéraire
que jamais ; & que la plus haute quantité que
nous en ayons jamais eue pourroit être plus que
doublée, fans que nous éprouvaflions ce furplus
que l’on femble craindre.
Dans ces momens fur-tout, ne faut-il pas réparer,
mille échecs portés à la fortune publique
& aux fortunes particulières ? ne faut-il pas adouc
ir , par un remède général, les maux particuliers
qui font une fuite inévitable du bien public
que vous avez fait ? On doit louer fans doute le
zèle & le courage de cette affemblée , qui travaille
fans relâche à porter par-tout l’économie,à
fupprimer toutes les dépenfes du fife, qui ne font
pas juftes & néceffaires. Mais il n’en eft pas
moins vrai que ces prodigalités journalières du
gouvernement étant retranchées, il en réfultera
momentanément dans les villes où fe raffembloient
fes favoris, moins de confommation , moins de
travail, moins d’aifance. Une nation qui paie à
elle-même, ne fouffre pas de la multitude de fes
paiemens, & même de la légèreté de les dépenfes,
comme fouffriroit une nation tributaire envers
les nations étrangères. Il réfulte du moins
chez celle-là, de la force de fes recettes & de
fes dépenfes , un grand mouvement d’argent &
d’affaires, dont le bien-être du peuple, il eft vrai,
n’eft pas l’objet , mais dont le peuple tire toujours
quelque parti pour fa fubfiftance;.
Maintenant que les chofes font ramenées à la
vraie fource de la profpérité -publique , fi nous
voulons parvenir à cette profpérité* fans une intermittence
cruelle & des ffecouffes dangereufes,
il nous faut abfolument, & c’eft un devoir que
nous impofe l'ouvrage neuf & de longue haleine
que nous élevons, il nous faut promptement
pourvoir à çe nouveau déficit d’argent, de circulation
, que nous avons peut-être en partie occa-
fionné par des retranchemens & des reformes néceffaires.
Dans les grandes villes fur-tout, où le
peuple mal-aifé abonde, il faut un moyen aérif
qui mette en mouvement tant d’autres, moyens,
& qui nous faffe paffer au nouvel ordre de chofes
, à fes lents & heureux effets, en foutenant
du moins notre exiftence, en prolongeant, en faveur
de la nouvelle conftitution, la bienveillance
publique, qui ne tient pas long-temps" contre la
mifere. Et pefez* Meflieurs, je vous prie, cette
confidération : car fi nous faifons pou fier au peuple
, dans fon défefpoir , un feul regret fur l’ancien
état des chofes, que nous ayons pu lui épargner,
tout eft perdu ; nous n’avons qu’à quitter le
gouvernail, & livrer le vaiffeau à la merci des
vents & de la tempêté.
Mais j’attefte ici la convi&ion profonde que j’ai
de cette vérité : c’eft qu’avec l’ardeur, la perfé-
vérance , le courage inébranlable que nous avons
montrés jnfqu’ic i, & qui ne nous abandonneront
pas; avec le patriotifme général qui n’eft pas
douteux, fi nous devons donner uue fecouffe aux
affaires, les arracher à cette mortelle léthargie
dont elles ne demandent qu’à fortir , au moyen
d’une émiflion prompte & abondante du numéraire
fiélif en notre pouvoir , nous ferons pour
la chofe publique ce qui le préfente de mieux à
faire ; nous agirons comme ces médecins habiles,
q u i, en ayant égard à toutes les indications de la
maladie , pourvoient néanmoins au mal le plus
inftant ; qui, s’ils ne guériffent pas encore, prolongent
la vie , & donnent enfin à la nature le
temps de guérir. Ainfi, nous écarterons ces plans
fubtils, qui ne refpe&ent point affez les principes
févères de la juftice , qui repofent fur des opinions
bifarres & particulières ; enfin qui ont tout
en v u e , excepté ce qu’il y a de plus naturel, de
plus preffé & de plus facile.
Si je parlois à des hommes moins éclairés que
vous fur les affaires , je releverois ici une imputation
, dirai-je une chicane faite aux ajjignats ,
pour les attaquer dans fleurs effets. Je vous mon-
trerois comment, il n’eft pas vrai tju’ils aient contribué
à la rareté du numéreire. Tant que la caiffe
d’efeompte a foit honneur à fes engagemens, en