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Pour qu’un papier-monnoie refte à la hauteur du
titre de la création, il faut un grand crédit dans
le gouvernement ; il faut une grande confiance.
Examinons fi nous fommes dans des circonftances
qui puiflcnt nous faire efpérer ces grands effets
du crédit & de la confiance publique. Le règne
des charlatans eft paffé, & nulle jonglerie financière
ne peut déformais en impofer, Le crédit re-
pofe fur les bafes du gouvernement, fur la liquidation
de la dette, fur la perception des impôts.
Vous ne pourrez affûter l’impôt tant que le peuple
fera armé d’un bout du royaume à l’autre; tant que
vous n’aurez pas rendu au pouvoir exécutif tout
le reflort qu’il doit avoir. Si vous ne vous hâtez
de rétablir l’autorité du roi, nulle autorité ne forcera
les provinces à payer. Vous verrez la dette
publique accrue, fans efpoir de liquidation , la capitale
reftera feule écrafèe fous le poids du papier
que vous aurez créé.
Je vais dire une grande vérité : le défordre continuera
tant que le roi ne fera pas partie intégrante
du corps légifiatif ; car , quelle confiance peut-on
avoir dans une affemblée qui n’a pas de bornes
hors d’elle-même, & dont par confisquent tous les
décrets ne font que de (impies réfolutions que peut
changer aujourd’hui la pùiffànce qui lès a créés la
la veille ? . . . Comment efpérer quelque fuccès d’un
papier qui ne fera pas protégé, comme celui de
la caifle d’efcompte, par l’intérêt des banquiers....
On dit que les provinces demandent des ajjgnats;
mais l’autorité de l’affemblée nationale fera im-
puiflànte, malgré ce voeu, pour y forcer la circulation
du papier-monnoie. Quand on obéiroit, Vous
verriez commencer un difcrédit fubit. Alors s’éle-
vercient des fortunes odieufes , tous les défordres
de l’agiotage ; vous verriez des hommes vils ra-
mafler dans la boue ce papier difcrédité ? . . On
ne doit pas confâcrer une loi infâme & pleine de
déloyauté. Il n’eft pas de circonffance qui puifle
engager à abandonner l’honneur. Je demande donc
que l’aflemblée décrète une émiflion A'aJJgnats
forcés en valeur de 4 0 0 millions. — Si par impof-
fible l’aflemblée adoptoit le projet du comité, je
déclare à l’affemblée, & à la face du public qui
m’entend , que je protefte en mon nom , au nom
de mes commettans, de toutes les provinces du
royaume entier, au nom de l’honneur & de la
juffice, contre le déciet ci-defltis indiqué , qui entraîne
la ruine du royaume & le déshonneur du
trom François.
M. Pètion de Villeneuve. Depuis qu’il eft queftion
^ajjgnats pour fnppléer à la rareté du numéraire,
on les demande de toutes parts ; ils doivent être
forcés. Deftinés à remplacer ,.la monnoie, il faut
qu’ils en aient les attribut» ; le voeu paroît général.
Mais cela ne fuffit pas : examinons fi les ajjignats
forcés répondent au mal que vous voulez guérir.
Les monnoies ne valent que par ce qu’elles représentent;
ce font des valeurs de convention : fi le
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papier-monnoie eft indifpenfable, il n’eft point
immoral, ou bieft le falut du peuple n’eft pas la
fuprême loi. On attaque les ajjgnats par une théorie
fondée fur l’expérience. Confultons auffi l’expérience.
Le papier-monnoie n’a jamais été que repré-
fentatif d’une propriété générale , fans repréfenter
jamais une propriété déterminée, fans avoir une
hypothèque pofitive, fans avoir une époque de
paiement toujours prévue. En Efpagne,à Venife,
une longue expérience prouve la bonté de notre
théorie. 11 faut convenir que les billets de Law
eufl'ent fàuvés l’état, fi l’émiffion n’eut été excef-
five ; cependant ces billets & tout autre exiftant
ne reffemblent pas du tout aux ajjgnats. L’or a-t-il
une valeur plus réelle que des biens mis en vente
& des ajjignats fur la vente de ces biens ? Si les
ajjignats reftent libres, la cupidité, les menaces
d’une dépréciation confidérable ; fi leur cours eft
forcé, ils feront difperfés dans une foule de mains
où. ils trouveront des défenfeurs : le bienfait des
ajjignats fera d’affurer la révolution, de rehaufl'er
le prix des ventes , en multipliant les acquéreurs ,
de ranimer le commerce & les manufa&ures, en
ravivant une circulation devenue languiffante par
la privation de fes agens : ces avantages peuvent-
ils être balancés par l’immoralité prétendue des
ajjignats forcés ? . . . . La loi forcera à prendre une
valeur pour ce qu’elle vaut réellement ; eft-ce une
chofe odieufe , que de partager entre fes créanciers
des prés, des terres, des vignes ? eft-ce une chofe
odieufe, que cette manipulation néceffaire pour
aflurer ce partage ? eft-ce autre chofe qu’un lingot
d’or divifé en pièces de monnoies ? eft-ce autre
chofe qu’une lettre-de-change, dont l’échéance eft
à la volonté du porteur ? qu’un billet portant intérêt,
& dont le porteur rétraâera à volonté l’échéance
ou le rembourfement ?
Quel intérêt fera attaché au papier-monnoie ?
Ce feroit une grande faute que de n’y en point
attacher du tout. Le meilleur papier, quand il ne
rapporte rien, n’eft préférable à l’efpèce que pour
fa commodité. Le papier qui porte intérêt eft au
contraire préférable fous beaucoup d’autres rapports;
il appelle forcément l’argent au lieu de
l’éloigner; s’il n’avok pas d’avantage fur l’efpèce,
l’argent continueroit à fe cacher dans les coffres;
fi l’intérêt étoit trop fort, il feroit à craindre que
les ajjignats ne fuffent de même enfouis. Le point
également éloigné des deux extrêmes eft donc
celui auquel vous devez vous fixer. Je propoferois
de donner aux ajjignats trois ou trois oc demi ail
plus. Quant à la quotité de l’émiflion, les uns’
demandent 800 millions, d’autres fe bornent à
400 : je crois qu’il faut ajouter à la fomme décrétée
une quantité à'ajjignats égale aux dettes ecclé-
fiaftiques. J’attache aulh un grand prix à l’idée de
créer les ajjignats à ordre.
Je demande donc, 1®. une émiflion de 400 millions
; plus, la fomme néceffaire pour acquitter
les dettes du clergé ; a°. le cours forcé des ajjignats ;
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4*. l’intérêt à trois pour cent; 40. une émiflion
très-prochaine; 5®. que les ajjignats foient à ordre.
Ce difcours eft très-applaudi.
La difcuflion eft fermée fur le fond.
On préfente un grand nombre d’amendemens fur
les trois premiers articles du projet de décret. —
Ils font écartés par la queftion préalable, à l’exception
de quelques légers changemens dans la rédac-
tion. — Les articles décrétés fe trouvent définitivement
conçus en ces termes :
Art. I. A compter de la préfente année, les
dettes du clergé (ont réputées nationales : le trêfor
public fera chargé d’en acquitter les intérêts & les
capitaux.
La nation déclare qu’elle regarde comme créanciers
de l’état tous ceux qui juftifieror.t avoir légalement
contra&é avec le clergé, & qui feront porteurs
de contrats de rentes affignés fur lui : elle
leur affeéle & hypothèque en conféquence toutes
les propriétés & revenus dont elle peut difpofer,
ainfi qu’elle fait pour toutes fes autres dettes.
II. Les biens eccléfiaftiques qui feront vendus
& aliénés, en vertu des décrets des 19 décembre 1789 & 17 mars dernier, font affranchis & libérés
de toute hypothèque de la dette légale du clergé,
dont ils étoient ci-devant grevés, & aucune oppo-
fition à la vente de ces biens ne pourra être admife
de la part deflits créanciers.
III. Les ajjignats créés par les décrets des 19 &
a i décembre 1789, auront cours de monnoie entre
toutes les perfonnes du royaume, & feront reçus
comme efpèces Tonnantes dans toutes les caifl'es publiques
& particulières.
Séance du 17 avril 1790.
M. Prugnon. Attachera- t-on des intérêts au y. ajjignats
? quel intérêt leur donnera-t-on ? V oilà la
queftion que vous devez examiner aujourd’hui.Vous
avez décidé que les ajjignats feront forcés , &. vous
deviez le faire, ou bien vos ajjgnats auroient été
nuis : s’ils eufl'ent été nuis , vous enfliez dû chercher
un autre moyen ; & fi vous n’aviez pas trouvé
ce moyen , il auroit fallu écrire fur le front de
la conftitution , ce qu’on écrivit fur la tombe d’une
beauté romaine, f u i t . Les créanciers de l’état
pourront dire, vous nous devez depuis long-tems dédommager
par des intérêts ; ils pourront dire, vous
nous devez des intérêts jufqu’au rembourfement;
vous nous aflignez des fonds qui produifent des
fruits , vous nous devez les fruits de ces fonds.....
Le capitalifte qui, aflïs fur fa caifle, enchaîne la
fociéte , & qui ne connoît que la cupidité & l’avarice
, a befoiii d’être tenté par l’intérêt : attachez
donc des intérêts aux ajjgnats. Cette conclufion
paroît jufte au premier coup-d’ceil ; cependant,
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en entrant dans le fond de la matière, on trouv«
plufieurs raifonnemens par lefquels elle paroît attaquée
d’une manière vi&orieufe. Vous faites un aJJ~
gnat qui vaut un écu ; cet écu eft deftiné à payer
des intérêts ; il ne fauroit donc en porter. Un écu
portant intérêt, offre deux idées irréconciliables.
C ’eft déjà un grand avantage pour le papier, qui
vaut un écu, de pouvoir être pris forcément comme
un écu ; il eft injufte d’attacher un intérêt à cette
efpèce d’écus , les autres n’en portant pas. Ou
YaJJgnat eft bon, ou il ne l’eft pas ; s’il eft bon ,
comme je n’en doute point, il n’a pas befoin d’intérêt
; s’il eft mauvais, l’intérêt ne le rendra pas
bon; il prouvera qu’il eft mauvais, & qu’on s’en
eft défié, même en le créant. Long-temps les billets
de caifle ont été reçus fans inquiétude; ils ont
même été defirés, & vous voulez qu’une nation
doute de fes propres billets , lorfiju’ils ont derrière
eux de fuperbes propriétés pour hypothèque. En
Efpagne, à Vienne, en Sardaigne, des billets d’état
circulent & portent intérêt ; mais dans des pays
où règne le pouvoir arbitraire, quelle bafe a ce
papier ? Il eft placé entre deux autres papiers ;
l’édit qui l’a établi, & celui qui va le fupprimer ;
il eft placé entre une fuppofition & la banqueroute ;
c’eft pour cela qu’il a fallu féduire les acheteurs
de ce papier, en y attacliant des intérêts....
Je propofede créer, i°. pour 4 0 0 mi lions &'ajjgnats
, portant intérêt à 5 pour 10 0 , & qui refte-
roient dans la caifle de l’extraordinaire ; 2®. pour
4 0 0 millions de billets-monnoie, qui ne porteront
point d’intérêt ; ce font ceux-là qui ferviroient à
payer vos créanciers. Les billets & les ajjgnats auroient
tous la même valeur ; ils porteroient un
numéro correfpondant. Ceux qui ne voudroient pas
garder des billets, les échangeraient contre des
ajjgnats qui ne fortiroient de la caifle de F extraordinaire
que dans le cas de cet échange. Ainfi
jamais il n’y auroit plus de 4 0 0 millions en circulation.
M. le marquis de Gouy d*Arjy, Il importe de
répondre en deux mots au préopinant, quoique
fes obfervations ne foient pas parfaitement dans
l’ordre du jour. Si chacun étoit libre de prendre
des ajjgnats ou des billets-monnoie, un homme
qui auroit un billet, & qui voudroit le garder pendant
huit jours, iroit l’échanger contre un ajjgnàt
pour retirer des intérêts pendant ce tems, & recnan-
geroit fon ajjgnat contre ùn billet; delà un mouvement
énorme qui exigeroit une adminiffration
très-difpendieiife. L’étar ne cefferoit pas d’être chargé
des intérêts dont le préopinant croyoit le libérer
par le moyen qu’l} a préfenté. Il a prétendu que
cette charge très confidérable eft fans aucun objet.
Il auroit pu remarquer que l’état éteindra avec des
ajjgnats qui lui coûteront trois pour cent des créances
dont les intérêts font à cinq & à fix.
Je pafle à la queftion. De la manière dont elle
fera décidée dépendra le fuccès de votre opéra-
ration ; & vous favtz que de ce fuccès dépend le