
mis T é cole dans le fanéluaire de la liberté publique
? C ’eft i c i , c’eft parmi vous , Meffieurs,
que fe formeront les vrais orateurs ; c’eft de ce
foyer que jailliront quelques étincelles qui même
animeront plus d’un grand poète. Leur ambition^
ne fe bornera plus à quelques malheureux prix
académique , qui à peine depuis cent ans ont
fait naître quelques ouvrages au-deffus du médiocre.
Il ne faut point appliquer-aux tems d«.
là liberté les idées étroites connues aux jours
de la fervitude. Vous avez affuré au génie le
librë ëxércicë 8c l’utile emploi xde fes facultés ,'
vous lui avez fait le plus beau des pré feus 3 vous
l ’avez rendu à lu i; vous l ’avez mis , comme-
l e peuple , en état de fe protéger lui-même.’
Indépendamment de ces prix que vous laifferez
iubfifter 3 la poélîe ne deviendra pas muette ;
& la France peut encore entendre de beaux
-vers , même après Meffieurs de Y académie fran-
-jpife.
Il eft un autre prix plus refpe&able, décerné
•tous les ans pa'r le même corps 3 d’après une fon-:-
.dation particulière 3 prix dont la confervation
iparoît d’abord recommandée par fa dénomination
même 3 la plus augufte de toutes les dénomina- :
t io n s , le prix de vertu.
T e l eft l’intérêt attaché à l’ objet de cette fondation
, qu’au premier apperçu des inconvenances
morales qui en réfultent, on héfite 3 on s’ efforce :
de repouffer ce fentiment pénible ; on s’ afflige
de la réflexion qui le confir me 3 on fe fait une
peine de le communiquer 8c d’ébranler dans autrui
les préventions favorables, mais peu réfléchies 3
qui protègent cette inftkution. Il le faut néan- ;
moins 3 car ce qui ., dans un régimè abfurde en
toutes fes parties , paroiffoit moins choquant ,
préfenté tout-à-coup une difformité révoltante
dans un fyftême oppofé 3 qui ayant fondé fur l a .
-raifon tout l’édifice focial, doit le fortifier par
e lle , 8c l’enceindre, en quelque forte, du rem-;
part de toutes les confidérations morales capables -
de l’ affermir 8c de le protéger. Ne craignons donc
pas d’examiner fous cet afpeéfc l’établiffement de
ce prix de v e r tu , bien fars que fi cette fondation
eft utile & convenable , elle peut, comme
là vertu , foutenir le coup-d’oeil de la raifon.
Et d’abord, laiffant à part cette affiche, ce
concours périodique, ce programme d’un prix
de vertu pour l'année prochaine, je lis les termes
de la fondation, & je vois ce prix, deftiné aux
vertus des citoyens dans la claffe indigente. Quoi
donc ? Qu’eft-ce à dire ? La claffe opulente a-t-elle
relégué la vertu dans la claffe des pauvres ? Non
fans doute. Elle prétend bien , comme l’au' re ,
pouvoir faire éclater des vertus. -Elle ne veut
donc pas du prix ? Non certes. Ce prix eft de
l’or ; le riche en l’acceptant fe croiroit avili.
J’entends ; il n’y en a point affez ; il ne le prendroit
pas? Le riche l’ofe d ire , 8c pourquoi ne
le prendroit-il pas? le pauvre le prend bien !
Tayez-vous la vertu î ou b ien l ’honorez-vous ?
Vous ne la payez pas, ce n’eft ni votre pré~
tention, ni votreefpérance. Vous l’honorez donc:!
eh bien ! commencez par ne pas l’avilir en mettant
la richeffe au-djflus de la vertu indigente,
0 renverfement de toutes les idées morales ,
,né de l’excès de la corruption publique 8c fait
pour l'accroître encore l Mefurons de l’oeil l’a-
byme dont nous fortons : dans quel corps, dans
quelle compagnie eût-il été admis le ci devant
gentilhomme qui eût accepté le prix de vertu
dans une affemblée publique ? Il y avoit parmi
nous la roture de la vertu! retirez donc votre
or qui ne peut récompenfer une belle aélion du
riche. Rendez à la vertu cet hommage de croire
que le pauvre auffi peut être payé par elle , qu’il
a , comme le riche, une confcience opulente 8c
folvable , qu’enfin il p eu t, comme le riche ,
placer une bonne a&ion entre le ciel & lui. Lé-
giflateurs, ne décrétez pas la divinité'de l’o r ,
en le donnant pour falaire à ces mouvemens fu-
blimes, à ces grands Tacrifices , qui femblent
mettre l’homme en commerce avec fon éternel
auteur. Il feroit annullé votre décret, il l’ eft
d’avance dans l’anae du pauvre.... ou i, du pauvre,
au moment où il vient de s’honorer par un aéfce
généreux. Il eft commun, il eft par-tout le fentiment
qui attefte cette vérité. En ! n’avez-vous
pas. vu dans ces défaftres qui provoquent le fe-
cours général , n’ avez-vous pas vu quelqu?un de
ces pauvres , lorfqu’ au rifque dp fes jours 8c par
un grand a&e de courage , il a fauvé. l’ un de
fes femblables, je veux dire, le riche , l’ opulent,
l’heureux, car il les prend pour fès femblables ,
- dès qu’il faut les fecourir ; lorfqu’après le péril
1 8c dans le refte des effufions de fa reconnoiffance ,
| le riche fauvé préfente de l’or à fon bienfaiteur ,
à cet indigent, à cet homme dénué ; regardez
celui-ci, comme il s’indigne, il recule, il s’étonne,
il rougit......Une heure auparavant il eût mendié.
D’où lui vient ce noble mouvement? c’eft que
vous profanez fon bienfait, ingrat que vous êtes !
Vous corrompez votre reconnaiffimce, il a fait
du bien , il vient de s’enrichir, 8c yous le traitez
en pauvre 1 .Au plaifir célefte d’avoir fatisfait le
plus beau befoin de fon ame, vous fubftituez
la penfée d’un befoin matériel ; vous le ramenez
du ciél#à il eft quelque chofe,fur la terre où il n’eft
rien. O nature humaine ! voilà comme on t’honore!
quand la vertu t’élève à ta plus grande
hauteur , c ’eft de l’or qu’on vient t offrir , c’eft
l’aumône qu’on te préfente !
Mais, dira-t-on, cette aumône, elle a pourtant
été reçue dans des féances publiques 8c folemnelles !
eh ! qui ne fait, Meffieurs , ce qui arrive en ces
occafions ? le pauvre a fes amis qui le fervent à
leur manière & non pas à la fienne; q u i, ne
pouvant
•pouvant fans doute lui donner des fecours, le
conduifent où l’on en donne ; & avant ces derniers
tems, qu’étoit-ce que l’honneur du pauvre ?
& puis on lui parle de fê te s , d’accueils , d’ap-
plaudiffemens. Etonné d’occuper un moment ceux
qu’il croit plus grands que lu i, il a la foibleffe
fe tenir pour honoré. Qu’il attende.;
Plufieurs de vous, Meffieurs, ont affilié à quelqu’une
de ces affemblées où , parmi des hommes
etrangers à la claffe indigente, fe préfente l’inr
digence vertueufe, couronnée , dit-on ; elle attire
les regards , ils la cherchent, ils s’arrêtent fur
elle.... je ne les peindrai pas, mais ce n’eft point
là l’hommage que mérite la vertu. Il eft vrai
que le récit détaillé de l’aète généreux que l’on
couronne excite des applaudiffemens , des batte-
mens de mains.... J?ignore fi j’ ai mal v u ; mais
fecrettement bleffé de toutes ces inconvenances,
& obfervant les traits 8c le maintien de la per-
fonne ainfi couronnée , j’ai cru y voir , d’autres
l’ont cru comme moi, l’impreffion marquée d’une
fecrette & involontaire trifteffe, non l’embarras
de la modeftie, mais la ’gêne du déplacement.
O ! vous qu’on amenoit ainfi fur la fcène, âmes
nobles 8c honnêtes, mais fimples 8c ignorantes ,
favez-vous d’où vient ce mal-être intérieur qui
affeéte même votre maintien ? C ’eft que vous
portez le poids d’un grand contrafte, celui de
la vertu 8c du regard des hommes. Laiffons là ,
meffieurs , toute cette pompe puérile, tout cet
appareil dramatique qui montre l’immorale prétention
d’agrandir la vertu. Une conftitution,
de fages loix , le perfectionnement de la raifon,
une éducation vraiment publique, voilà lesfources
pures , fécondes, întariffables des moeurs, des
Vertus, des bonnes actions. L’ eftime , la confiance
, l ’amour de vos frères 8c de vos concitoyens....
hommes libres, hommes raifonnables,
recevez ces prix ; tout le refte, jouet d’enfant
ou falairê d’efclave.
J’ai arrêté vos regards, meffiëurs, fur chacune
des fondions académiques dont la réunion
montre fous, fon vrai jour l’utilité de cette compagnie
confidérée comme corporation. Ç ’ eft à
quoi je pourrons m’en tenir ; mais pour rendre
fenfible-1 efjprit général qui réfui te de ces éta-
bliffemens, j’ obferve que l’on p eut, que l’on doit
même regarder comme un monument académique ,
un ouvrage avoué par 1 'académie 3 8c çpmpofé
prefqu’officiellément par un de fes membres les
plus célèbres, d’Alembert fon fecrétàire perpétuel
: je parle du recueil des éloges académiques.'
Si 1 on veut s’amufer , philofopher, s’affliger
des ridicules attachés non pas aux lettres ( que
nous refpedons ) , mais aux corps littéraires ( que
nous ne révérons pas ) , il faut lire cette fan-
guliere^ colledion , qui de l’éloge des membres
ta it naître la plus fanglante fatyre de cette corn--
Affemblée Nationale. Tom. I I , Débats
pagnie. C ’eft là , c’eft dans ce recueil qu’on peut
en contempler, en déplorer les miferes, 8c remarquer
tous les effets vicieux d’une vicieufe
inftitution ; la lutte des petits intérêts, le combat
des paffions haîneufes, le manège des rivalités
mefquines, le jeu de toutes ces vanités
| ■ difparates 8c défafforties entre le ttré s, titrés ,
' mîtrés , enfin toutes les évolutions de ces amours-*
! propres hétérogènes, s’obfervant, fe careffant ,
fe heurtant tour-à-tour, mais conftamment réunis
dans l’adoration d’ un maître invifible & toujours
préfent.
Tels fo n t, à la longue , les effets de cette dégradante
dispofition , que fi l’on veut chercher*
l’exemple de la plus vile flaterie où des hommes
puiffetit defcèndre , on la trouvera , qui le croi-^
roit , non dans la coùr de Louis X IV ,mais dans
Cacadémie françoise. Témoin le fameux fujet du
prix propofé par ce corps laquelle des Vertus du
roi eft la plus digne d'admiration ? On fait que c®
programme, préfenté officiellement au monarque y
lui fit baiffer les yeux et couvrir fon vifage d un®
rougeur fubite 8c involontaire. Ainfi , un roi qu®
cinquante ans de règne , vingt ans de fuccès 8£
la confiante idolâtrie de fa cour avoient exercé
8c en quelque forte aguerri à foutenir les plus
grands excès de la louange , une fois du moins
s’avoua vaincu , 8c c’eft à l'académie françaifâf
qu’étoit réfervé l’honneur de ce triomphe. Se
nateroit-on que ce fût là le dernier terme d’un
coupable aviliffement ? On fe tromperoit. Il faut
voir , après la mort de Louis X IV , la fervitude
obftinée de cette compagnie punir , dans un de
lès membres les plus diftingués, le crime d’avoir
olé juger fur ies principes de lajuftice 8c de la
raifon , la gloire de ce règne, faftueux ; il faut
voir l'académie, pour venger ce prétendu outrai
ge à la .. mémoire du roi , effacer de la lifte académique
le nom du feul écrivain patriote qu’ell®
y eut jamais placé , le.refpeétable abbé de Saint-?
Pierre ; lâcheté gratuite , qui femble n’avoir eu
d’autre objet que de protefter d’avance contre
les tentatives futures ou poffibles de la liberté
françoife , 8c de voter folemnellement pour l’é?
ternité de l’esclavage national.
Je fais que le nouvel ordre de chofes rend
déformais impoffibles.de pareils fcandales , 8c
qu’il fauveroit même à l'académie une partie dé
fes ridicules accoutumés. On ne verrait plus
l’ avantage du rang tenir lieu de mérite, ni la-
faveur de la cour influer, du moins : au même
degré , fur les nominations. Non ; ces abus &
quelques autres ont difparu pour jamais ; mais
ce qui reftera , ce qui même eft inévitable , c’eft:
la perpétuité de l’esprit qui anime ces compagnies.
Envain tenteriez-vous d’organifer pour la
liberté des corps créés pour la fervitude ; toujours
ils chercheront, par le renouvellement de leurs
membres fucceffifs , à conferver, à propager 1^