
Sans doute, Meilleurs, vous êtes affez fami-
liarifés avec les grandes affaires & 'les grandes
vues , pour ne pas vous étonner du .fonds iin-
menfe qu’un pareil rembourfement exige, & ne
pas redouter les effets d’une pareille diffufion de
richeffes au milieu de nous. La maffe d’eaux que
roulent les torrens & les rivières eft prodigieufe, _
mais c’eft dans l’Océan qu’elles fe verfent. Dès
long-temps notre fol eft altéré, defféché; & pendant
long-temps auffi, il abforbera ces eaux fécondantes
avant qu’il les refiife, & qu’elles crou-
piffent à la furface. 11 ne s’agit donc que de gar- .
der une proportion entre le befoin & le moyen
d’y pourvoir, de manière que l’un n’excède pas
l’autre. O r , Meilleurs, deux confédérations déci-
fives fe préfentent ici : c’eft que, d’un côté, nous
avons un befoin preffant' de- rappeller l’a&ivité,
la circulation dans nos affaires , de nous y rattacher
en quelque forte ; un befoin preffant de
moyens qui les favorifent : c’eft que, de l’autre.,
les ajjignats-monnotz , en même temps qu’il paient
la dette , nous fourniffent ces moyens d’émulation
, d’aâivité, de reftauration ; & quand lesbe-
foins à cet égard feront fatisfaits, le furplus des
ajjienats, s’il en eft , le trop plein, qu’on me paffe
cette exprefiîon, fe reversera naturellement dans
le paiement de la dette contraftée pouf l’acqui-
fition des biens nationaux. De cette manière ,. tous
les effets qu’on peut attendre d’une mefure bien
calculée feront obtenus ,• autant du moins que les
tirconftances peuvent nous permettre çle l’ef-
pérer.
C a r , Meffieurs, on diroit, à entendre certaines
perfonnes qui ne veulent jamais voir que le
côté défavorable ou incertain du parti que l’on
ropofe ; on diroit qu’il exifte dans les em-
arras où nous nous trouvons , & dont il faut
fortir, quoi qu’il en coûte*, une foule d’expédiens
tout prêts, qui n’ont ni inconvéniens , ni incertitudes
, & qui méritent' hautement la préférence ;
6 c , quand on examine ces prétendus expédiens,
on voit qu’ils nous jettent de Caribde en Sylla ;
qu’ils ne remédient en aucune manière au mal
qui nous preffe ; & qu’on y facrifie, je rie dis
pas le préfent à l’avenir ou l’avenir au. préfent,
mais l’un & l’antre , tandis qu’il importe fi fort
de tout concilier , de tout fauVer à la fois.
Quand la pénurie des efpèces nous tourmente ;
quand les métiers, les arts , les manufactures , le
commerce, demandent à grands cris d’être fubf-
tantés, eft-ce une mefure de reftauration, je vous
en fais juges, que celle qui ne met pas un écu
.réel ni fiâ if, dans les affaires ? que dis-je ! une
meftire qui exige elle-même des rembourfemens
futurs & fucceffifs, fans créer aucun moyen d’y
farisfaire ? Que fe propofe-t-on par-là ?• ne voit-
on pas le gouffre ? ou fi l’on veut nous y précipiter
?
Sachons le fixer , Meffieiirs; ou plutôt, pénétrons
nous de cette vérité:-tout fe.ranimera; les
affaires marcheront vers un rétabliffemêfit général *
les efprits, agités par le befoin ou par la crainte,
reprendront leur calme, quand l’induftrie fera
réveillée * quand les bras trouveront de l’occupation
, quand un l'effort énergique fera employé à
un mouvement néceffaire, quand enfin la circulation
des efpèces, par des moyens fages & faciles,
atteindra les claffes moins aifées de la fo-
ciété. Tout s’avance par l’ardeur & la confiance
infatigable de vos travaux , dans l’ouvrage de
notre conftitution. Mais s’il faut que la conftitu-
tion foit achevée pour rétablir tout-à-fàit l’ordre
& la profpèrité, croyez auffi’ qu’un commencement
d’ordre & de profpérité n’eft pas moins néceffaire
pour la faire marcher à fa fin. Croyez
qu’attendre tout d’e lle, c’eft la faire précéder de
trop de hafards ; c’eft peut-être l’expofer à être
renverfée , avant qu’elle ait atteint fa perfection.
Eh ! Meffieurs, fi vous aviez dans les mains un
moyen fimple & déjà éprouvé de multiplier les
défenfeurs de la révolution , de les unir par l’intérêt
aux progrès de vos travaux; fi vous pouviez
réchauffer par quelque moyen , en faveur de
la conftitution , ces âmes froides , qui, n’apperce-
vant dans les révolutions des gouvernemens que
des révolutions de fortune , fe demandent : que
perdrai-je ? que gagnerai-je ? Si vous pouviez
même changer en amis & en foutiens de la conftitution
, fes détracteurs. & fes ennemis, cette multitude
de pe'rfonnes fouffràntes, qui voient leur
fortune comme enfevelie fous les ruines de l’ancien
gouvernement, & qui accufent le nouveau
de leur détreffe ; f i , dis-je, il exiftoit un moyen
de réparer tant de brèches , de concilier tant d’intérêts
, de réunir tant de voeux, ne trouveriez-vous
pas que ce moyen joindroit de grands avantages
à celui de faire face à nos befoins, & que la
faine politique devroit s’empreffër de l’accueillir?
O r , confidérez , je vous fupplie , les affignats-
monnoie fous ce point de vue : ne rempliffent-ils
pas éminemment cette condition ? Vous héfite-
riez à les adopter comme une mefure de finance,
que vqk$ les embrafferiez comme un infiniment
sûr & aCiif de la révolution. Par-tout où fe placera
tin ajjiçnat-monnoie , là sûrement repofera
avec lui un voeu fecret pour le crédit des ajjignats,
un defir de leur folidité ; par-tout où quelque
partie de ce gage public fera répandue, là fe trou-
: veront des hommes qui voudront que la coriver-
fion de ce gage foit effectuée, que les ajjienats
foient échangés contre des biens nationaux ; &
comme enfin le fort de la conftitution tient à la
sûreté' de cette reffource, par-tout où fe trouvera
un porteur d'ajfïgnats, vous compterez un défen-
feur néceftàire de vos mefures, un créancier in-.
téreffé à vos fuccès.
Il faut donc ouvrir une,mine plus riche, plus
abondante, dont les parties fe répandent, partout
du moins où des parcelles d’or peuvent pé^
A S S
hêtref. C’eft alors qu’on fera fufprîs de fetôri-
nante diffufion à'affignats , qui peut avoir lieu
fans que la furabondance fe manifefte; car la ri-
cheffe n’eft pas dans la claffe où fe trouve la plus
nombreufe population ; & nos ajjignats-monnoie,
qui font les nouveaux figries de cette richeffe,
font de trop forte foraine pour être parvenus
encore jufqu’à cette claffe*
Quand j’ai propofé de comprendre les titulaires
des offices fupprimés, parmi ceux qui doivent
toucher inceffamment l’acquit de leurs créances ;
je n’ai peut-être paru que jtifte , équitable dans
cette propofition ; mais elle entre auffi dans les
mêmes vues politiques qui me dirigent, en donnant
la préférence au parti des affignats-monnoie.
Sans doute,. Meffieurs , il n’eft aucun de nous
qui ne fente que la finance des offices eft non-
leulement une dette facrée pour la nation, mais
une dette inftante dont on ne peut différer le
paiement fans s’expofer aux plus juftes reproches.
La nation a pu exiger des titulaires le facrifice
de leur état ; mais la nation doit leur laiffer du
moins la difpofitiôri de leur fortune. Ces créanciers
publics font eux-mêmes , pour un très-grand
nombre, débiteurs du prix de leurs charges. En
acquittant ces charges,. non-feulement vous paierez
une dette , mais vous fournirez à une férié
de débiteurs le moyen de remplir leurs engageo
n s .
Quel -poids , Meffieurs, ne vient pas fe joindre
à cette confidération, fi vous penfez à l’importance
qu’il y a , pour la chofe publique, à ce que
le corps immenfe de la judicature fupprimée loit
payé fur-le-champ par des ajjîgnats qu’il fera forcé
alors de foutenir par intérêt , s’il ne le fait par
patriotifme ? Les officiers étant ainfi acquittés par
une monnoie légale, c’eft alors qu’ils feront vraiment
expropriés. La vénalité des charges a du
moins cela de commode : elles ont été achetées ;
on les rembourfe, .& tout eft fini. Les titulaires
feront donc dépouillés par-là dernier rayon
d’efpérance ; êc cette partie de la révolution, qui
tient à la grande réforme des corps judiciaires,
fera confommée fans retour.
Et fuivèz, je vous prie , Meffieurs , le cours
des ajjîgnats & leurs effets, relativement, à la vente
des biens nationaux. Les mefures qu’on vous pro-
pofe font - elles comparables à la diffénrination'
des ajfignats, pour étendre , pour faciliter cette
vente, pour mettre l’accraifition de ces biens à la
portée de toutes les claffes de la fociété, & des
millions d’individus qui la compofent ? On vous
propofé d’entaffer des maffes de contrats dans les
mains des capitaliftes. Ces capitaliftes eux-mêmes
font «ntaffés dans les grandes villes. C ’eft à Paris
fur-tout que les porte-feuilles font gonflés d’effets
royaux : voilà où l’on veut établir l’échange des
contrats contre les propriétés nationales. O r ,
comment croire qu^cet échange foit fort animé,
fi l’on compare le produit de ces contrats à celui
des terres ; fi l’on penfe que, fur cent porteurs
de contrats, il n’y en a pas un peut-être à qui
ce placement d’argent puiffe convenir ? Les fonds
nationaux fe vendent donc peu, & fe vendront
mal de cette manière ; ou du moins, ceux qui fe
vendront, ce fera en fuite de quelque fpécula-
tïon confidérable. Les capitaliftes réuniront ces
fonds en grande maffe ; & les acquifitions , comme
on le penfe bien, feront afforties en général à
l’efpèce d’acquéreurs que l’on y appelle.
Eft-ce là , Meffieurs, ce que nous devons, à’
nos frères , à nos. concitoyens de toutes les
claffes, répandus dans tons les départemens de,
ce royaume ? Travaillons-nous pour créer un
nouvel ordre de grands propriétaires fonciers ,
qui donnent plus au luxe Bc à la ruine des cam-.
pagnes, qu’à l’art de fertilifer la terre, & d’étendre
les bienfaits de l’agriculture ? Ne travaillons-
nous pas, au contraire, pour rétablir l’égalité pari
la liberté ; pour faire reverfer fur les terres le produit
des arts, du commerce, de l’iiiduftrie labo-
rieufe ; pour répartir, avec le plus d’égalité pof-
fible, les avantages de la fociéte & les dons de
la nature ; pour mettre de petites poffeffions territoriales
à la portée des citoyens peu moyennes
comme nous voudrions pouvoir en faire paffer les
fruits dans les mains des. plus indigens ?
Soyons donc conféquens à nos principes. Cef-
fons de regarder les capitales, comme fi- elles
formoient tout le royaume; & les capitaliftes qui
les habitent , comme s’ils formoient le gros de
la nation ; 03% dans la liquidation de la dette nationale
, préférons les moyens les mieux appropriés
à l’avantage du plus grand nombre ; puif-
qu’enfin c’eft le grand nombre# qui fupporte la
dette, & que c’eft du fonds commun qu’elle s’acquitte.
J’infifte donc fur ce que l'intérêt des ci-devant
provinces, aujourd-hui les départemens, foit particuliérement
confulté dans le parti que nous allons
prendre. J’infifte fur ce que l’on écarte tout projet
dont la conféquence feroit d’appeller les capitaliftes
à l’invafion des biens nationaux, & fur
çe que les créanciers de l’état foient rembourfés,
en fuivant la jufte diftinCtion que j’ai préfentée,
J’infifte fur ce que ce rembourfement fe faffe,
fans aucune métamorphofe arbitraire des créances,
mais ail moyen du papier précieux que nous
pouvons délivrer ; papier qui arrivera aux biens
nationaux par fa deftination naturelle , après avoir
fécondé dans fon cours les différentes branches
d’induftrie ; papier qui ne commencera pas par
tomber au hafard dans des mains plus- ou moins
avides, niais qui fera livré d’abord à la elaffe des
créanciers les premiers en titre ; papier qui commencera
fon cours fous les aufpices de la juftice ,.
& qui le continuera comme un infiniment de bien-
faifance publique.
Car eft-il douteux, Meffieurs, que l’émiffioa
d'a/fîmacs faits avec l’abondance & dans le Iput
K k k k a