
leur prêter une fottife qui n'a.été dite par per-
ionne.
On a bien dit que l'établiffement de l'aca-
iim.it a été un encouragement à la culture des
lettres, 8t que le defir d'y être admis j>eut avoir
contribué, & a contribué en e f fe t . a fou tenir
en France la gloire des lettres ; mais la mauvaife
foi eft manifeftè à - fubftituer une proppfition
excluliveà une prôpolition qui nel'eft point, &
à expliquer une aflertion modérée St modefte,
par une exagération qui devient une véritable
abfurdité.
C'eft une affertion modérée & non exclufive ,
que de dire que le defir & l'efpoir d'être admis
dans une compagnie dont' lés membres etoiënt
honorablement diftinguéspar l'opinion publique,
a encouragé les lettres! contribué , conjointement
avecbeaucoup d'autres caufes; dont on
ne contefte pas l'action, affaire produire ce grand
nombre de bons ouvrages dont s'honore la lit-
térature-françoife ; St c'eft une affertion exclusive
, exagérée Sc fauffe par-Ü même, que de
dire que Corneille, Racine , Voltaire , Montef-
q uieu, n'ont écrit leurs immortels ; ouvragés qué
pour entrer à Y académie : impertinence que per-
' ionne n’a dit.
Quant aux rapprochemens que fait le critique;
de l'auteur de Cinna & de Rolyeu&e avec quelques
hommes de lettres dont les ouvrages , bons
pour leur temps , n'ont pas paffé à la poftérité ;
jobferverai d'abord que M. de Chamfort, qui
éft fort bon plaifant , ■ devrbit-.'dédâigner les
plaifanteries trop faciles & trop communes, deux
qualifications qui conviennent affurément à celle
qu’il fait ici.
Je répondrai enfuite à fon ingénieufe citation,
par ceS mots de d’Alembert dans la préfacé de
fes éloges 3 ce les noms de nos prédéceffeurs font
inferits dans le grand livre de la poftérité,
chacun à la place qu’ il nierite , 8c cette^ place
n’ eft pas toujours egalement favorable à leur
mémoire ; mais pourquoi Y académie le difli-
inuleroit-elle, comme li chaque place vacante
pouvoit toujours trouver à point nommé un mérite
éminent pour la remplir , & comme lï les
circonftances qui fe trouvent quelquefois contraires
aux intentions les plus louables , nous
avoient toujours permis de fuivre dans nos
élections la voix publique & le voeu des gens
de lettres ».
Cette affe&ation de citer quelques noms d’académiciens
obfcurs , dont les- Corneille & les
Racine peuvent n’ avoir pas ambitionne d etre
les confrères, ne fournit à M. de Chamfort
qu’un, bien .mauvais raisonnement, puifqu’il eft
aifé de lui répondre que ce n’eft pas pour être
le confrère de Racine que Boileau a voulu être
dé Vacadémïe} que Fénelon a fouhaité d’être
mèmbre- de la même compagnie qui s’honoroit
du nom de Bofluetr; & Maflillon de mettre fon
nom fur la même lifte où fe trouvoit celui de
Fénelon.
Dans toutes les chofés humaines, fe trouvent
mêlés le b on, le médiocre 8ç quelquefois le
mauvais. Les focietés les mieux compofées font,
foumifes à cette loi i on y goûte le b on , on y
fupporte le médiocre ; mais ce n’eft pas le mauvais
qu’on cherche dans les chofes dont on veut,
jouir.
Lorfque 1VT. de Chamfort a vécu avec des
gens de la cour 8c dés gens en: place , efpèce?
a hommes qu’ il pourfuit aujourd’hui avec un.
acharnement qui dégoûte jufqu’à leurs ennemis >,
ce n’étoit pas pour les ennuyeux, dont les fallons.
abondent, ' qu’il cultivort leur Société j c’ étoit
pour les gens de bonne compagnie qu’ il y tr'ou-
voit âufli quelquefois..
En écartant, comme de raifon , toute afltmi-
lation d’une iociété ainfl mêlée avec Y académie ,
&r eu égard feulement à l’ inégalité de mérite
littéraire , M. de Chamfort-peut donc nous permettre
de croire que Boileau, Fénelon & Maf?
fillon, en~ambitionnant une place a Y académie ,
jêtoiént lés yeux fur les hommes de mérite dont
ils vouloient devenir les .confrères.
M. de Chamfort entreprend enfuite de prou-
ver que :ces hommes célèbres n ont pas fait leurs
chef-d‘oeuvres pour entrer a /’académie , qu’ /Zr
i n'ont pas cfpéré d'être de /’acac^émie , que-, /’académie
n a pas été l'objet de leur ambition j 8c il
le prouve :
Pour Racine, parce qu’ z/ fut encouragé dés fa
première jeunejfe par les bienfaits de Louis X I V ,*
parce qu'après avoir fait Andromaqueêl Baja^et^
I il n étoit pas encore de /’académie, & enfin parce
(m il n’y fut admis que par la volonté connue de
■ Louis X I V 3 équivalente d une lettre de cachet.
Pour Boileau, parce qu’/7 croyoit s ’être ferme
les portes de cette compagnie par fes fat ires , 8c qu’il
n’y fut admis que par le développement de l'influence
royale.
Pour la Fontaine, parce qu’ il étoit fans ambition
^ & que fans Y académie Le fablier eut toujours
porté des fables.
Pour Quinault, parce q ue, fans la perfpeéfcive'
académique, i l eût toujours fa it des opéra pour
un roi qui en payoit f i bien les prologues.
Enfin pour Bofluet, Fénelon, Maflillon, parce
qu’appelés par leurs talens aux premières dignités
de l’eglife , ils n avoient pas befoin de ce foible
aiguillon pour remplit la deflinee de leur genie•
milite
Tout cela eft fi fort dépourvu de raifon, qu’en
le lifant je me dis à moLmême : Voilà pourtant
ce qu’on appelle un homme d’efprit. Et fefpère
communiquer mon étonnement à mes leéteurs.
Que Racine ait été encouragé par les bienfaits
de Louis XIV , cela -se prouve pas qu’il n’ a pas
été aiguillonné aufli par le defir de la gloire littéraire
8c des honneurs littéraires ; & M. de Chamfort
ne peut nier que Y académie ne-fût un honneur
littéraire.
Que Racine n’ ait été admis à Yacademie que
par la volonté connue de Louis X IV , 3c Boileau
par le développement de l’influencé royale, cela
rouveroit feulement que Louis X lVauroit obligé
académie à les recevoir ; mais non pas que l’ un
& l’autre ne defiroient pas d’y être reçus .; puifqu’il
eft fort naturel, au contraire, de fuppofer
que la volonté & l’influence de Louis XIV ne fe
feroient pas employées à les faire recevoir malgré
eux.
Que Racine, après Andromaque 8c Bajazet,
ne fût pas encore de Y académie , cela ne prouve
point qu’il n’eût pas dès-lors l’envie d’en être,
il avoit- lieu de s en-étonner, ainfi que M. de
Chamfort ; mais' qui lui a dit qu’il ne s’en plai- jf
gnoit pas.
Quant à ce retardement de l’admiflion de
Racine & de Boileau , ceux qui ont étudié l’hif-
toire de' l’académie avec d’autres vues que celles
de la décrier, lavent qu’ il eut des caufes qui
exeufent Y académie.
L e jtifte enthoufiafme qu’avoient infpiré les
chef-d’oeuvres du grand Corneille , donnoit à
beaucoup de gens de lettres & de gens de la
tour des préventions injuftes contre les talens de
fon jeune rival. Le public eft communément ex- !
clufif dans fon admiration. Il femble craindre qu’ on
ne^ trouble fes jouiffances actuelles en lui en offrant
de nouvelles. C ’eft cetobftacle même que
Louis XIV voulut écarter, guidé, non par cet
inftinél des tyrans que M. de Chamfort veut
voir par-tout, mais par fon bon goût & fon bon
éfprit. Mais ce tort envers l’auteur d’Andromaque
& de Bajazet étoit le tort du public ,
autant que celui de Y académie y & nous n’avons
nulle raifon de croire que Y académie n’en eft pas
revenue la première.
Il n’y a ni plus d’exa&itude ni plus de bonne
foi dans ce qu’avance M. de Chamfort relativement
à Defpréaux. ce Les traits de fatire que Def-
préaux s’étoit. permis contre plufieurs membres
de Y académie lui fermèrent long-tems , dit d’A lembert
, l’ entrée de cette compagnie j mais
enfin le tems.de la juftice .arriva. Il eft v ra i,
que l’équité feule ne détermina pas les fuffràges
en fa faveur ; la protection du monarque fit taire
le reflbntiment ^ 8cc. »
On voit aifément la différence du récit de
M. de Chamfort d’avec celui de d’Alembert, &
dans- celui-ci feul le langage de la juftice 8c de
la rai fou.
Il étoit très-naturel que les épigrammes de
Defpréaux lui euffent fait des ennemis de ceux
qu’il avoit maltraités, & qu’ils euffent quelque
eloignement à fe le donner pour confrère. Quel-
qu’eftime que mérite le talent , c’eft trop demander
aux hommes , que de vouloir qu’ ils
l’aiment 8c le, recherchent avec empreffement ,
lorfqu’on s’eri eft fervi contr’eux. C ’eft beaucoup
que le tems de la juftice arrive , quoiqu’un
peu plus tard , 8c que Y équité l’emporte , quoi-
qu’aidée de quelqu’autre motif.
• On eft encore- étonné de voir ce retardement
de l’admiflion de Boileau, & ce développement
de l’influence royale employés à prouver que
Boileau vvefpéroit pas èc n’a pas defiré d’être de
Y académie j car quelle liaifon y a-t-il entre le
fait & -la conféquence qu’en tire M. de Chamfort
?
La Fontaine en effet eut peu d’ambition ; mais
il a cependant écrit comme tous ceux qui écrivent
pour être lu , pour être loué , pour obtenir
l’eftime que méritoit fon talent j & lorfque fes
fuccès lui eurent appris le feçret de ce talent
unique , il a defiré d’en recueillir l’ avantage qu’il
voyoit recherché par d’autres hommes à talens ,
& il a fo H ici té une place à Y académie. Toutes
les fubtilités de M. de Chamfort n$ peuvent obf-
curcir ce fait.
L’expreflion ingénieufe de madame de la Sablière
pour peindre le talent de cet homme rare ,
ne peut pas fervir de bafe à un raifonnement
férieux , & le défaut de logique fe montre à en
faire ufage.
Le talent le plus vrai 8c le plus facile peut
être - aflîmilé fans doute à un bel arbre qui porté
fes fruits dans la fai fon ; mais l’ arbre lui-mêmé
pour donner de beaux fruits , a dû être greffé ,
taillé, cultivé ; 8c Tefprit ne produit pas les fiens
fans une culture bien plus opiniâtre , fans une
préparation bien plus' longue & des efforts bien
plus foutenus.
Nous favons par quelques détails de la vie de
la Fontaine , 8c par le petit nombre de fes ouvrages,
dont les fables font la meilleure partis,
que ce charmant recueil a été le fruit de beaucoup
de réflexions & de tems.
O r , pour fuivre un travail quel qu’il fo i t ,
l’homme a befoin de motifs. Il a beau être pouffé
par fon talent, il faut encore l’animer dans fa
carrière.. Le. defir d’une plus grande aifance &
celui de la gloire littéraire font communément
les. motifs qui foutiennent les homme*, de lettres