
Cette marche du gouvernement arbitraire étoit .
fur-tout obfervée dans Y armée , qu’il a toujours regardée
comme fon domaine particulier ; viftime
du defpotifme dont elle étoit l’inftrument, aucun
corps n’a fenti plus cruellement l’effet de ces coth-
binaifons oppofées à la juftice , au bien des individus
, au bien général de la nation, mais habilement
calculées pour l’intérêt d’un petit nombre d’hommes
& poiir le maintien de la puiffance abfolue. L’admif-
•fion au fervice , en qualité d’officier, étoit interdite
à quiconque-ne jufüfioit pas de plufieurs degrés
<le nobleffe ; ceux qui y entroient en qualité de
foldats étoient condamnés , quels que fuffent leurs
talens-, à ne les-exercer jamais que dans des emplois
Subalternes; à peine admis à devenir officiers, ils
fè troüvoient arrêtés au premier grade ., & quels
que fuffent leur mérite & leurs fervices , la loi
plaçoit devant eux un obftacle infurmontable. Cette
féparaticn rigôureufe.entre les foldats & les officiers
ie trouvoit prefqu’également entre lesdeux clafl'es qui
diftinguoient .ceux-ci, tandis -que des nobles peu
favorifés confommoient leur vie fans avancement
dans.les gradés inférieurs: ceux de la cour les franchisant
rapidement , ne daignant pas même les
occuper tous., arrivoient promptement aux premiers
honneurs militaires , & les poffédoient exclufive-
meht. Ce que les premiers n’obtenoient préfque jamais
par l’ancrenneté de leur fervice, les gens de la j
cour le recèvoient comme un droit, avant l’âge
de raifon. Ainfi, pour chaque fervice, il exiftoit
line cafte particulière ; perfonne n’avbit intérêt de
fe faire des vertus & de fe rendre utile à fon pays;
car on voyoit fa place marquée par fa naiffance, f
& il y avoit auffi peu à craindre de fe voir privé
par fon ineptiè, des grades importans auxquels elle
vous avoit deftinés , qu’il y avoit peu à efpérer
de franchir par fa capacité, des obftaclés qu’un
préjugé décourageant avoit placé devant vous.
Sous un tel ordre de chofes, les injuftices particulières
aggravoient encore à tout moment l’injuftice
des loix & de l’opinion ; dans la carrière limitée
•qu’il étoit permis de parcourir, on fe voyoit fans ■
•’ceffe traverfé par des faveurs & des paffe-dreits. Le
gouvernement avoit fans ceffe, à côté de Y armée
labourieufe & aéHve, une armée d’officiers fans aâi-
v ité , qui attendaient le moment d’obtenir les grades
que les autres avoient mérités. Des changemens continuels
rendoient encore la fituation de l’armée fer-
van t plus inquiète & plus incertaine. Chaque mi-
niftre, intéreffé à fe faire des créatures , boüle-
verfoit l’ordrè établi pour favorifer les hommes :
qu’il vouloit attacher à fa fortune, & le gouver- ■
nement fembloit fe plaire à marquer fa puiffance, i
en méconnoiffant les règles que lui-même avoit
établies. Enfin, la carrière militaire , qui , pour un
petit nombre d’hommes, ofïroit une fuite affurée
dVvantagès & d’honneurs , étoit pour- le- refte de
la nation, une épreuve continuelle d’opprefîion , :
d’humiliation & d’ingraritude.
De pareils abus à réformer font une des tâchés
les plus fatisfaifantes que vous ayez à remplir*'
mais il ne fuffit pas de les condamner, il faut mettre i
à leur place des loix juftes & fages ; & c’eft ici qu’une |
méditation profonde & néceffaire , pour (aifir le
point jufte auquel la raifon doit s’arrêter, pour pofer
des principes durables , liés à la conffitution, puifés
dans la juftice, approuvés par l’expérience, & pro. I
près à concilier le bonheur dès individus avec ces
inftitutiôns militaires ,• d’o ù . dépendent effemielle-
ment le fuccès des armées & la tranquillité des!
empires.
Avant de vous foumettre les réfultats que nous I
avons adoptés fur le mode d’admiffion & d’avan-1
cernent , nous devons vous préfenter les confidéra-
tions qui nous y ont conduits.
L’admiffion au grade defoldat s’effe&ue par un I
engagement. Cette forme, néceffaire pouraffurerI
que dans aucun temps l’état ne fera fans défenfeurs,
doit être foumife à des regl.es qui garantirent qiiel
ce' contrat ne fera déformais que l’effet d’une vo-J
lonté libre, qui proferivent les manoeuvresodieufesl
qui long-temps ont fait l’inquiétude des familles I
& le défefpoir de ceux qui en étoient l’objet,&|
qui même préfentent des . facilités à ceux quivoü-l
droient revenir fur un engagement imprudent. Ces j
règles feront le fujet d’un rapport particulier. |
La progreffion de l’avancement doit conduire dil
grade de folda't aux premiers honneurs militaires, i
Je préfenterai bientôt les principes fuivant lefquelsl
votre comité a penfé qu’il devoit avoir lieu. Cettel
expofttion fera le fécond objet de mon rapport. Le
premier eft l’examen des queftions relatives à l’ad-j
million immédiate au grade d’officier.
J’examinerai donc , i°. la queftion çle fttvoirfil
cette admiffion immédiate au grade d’officier, eft
néceffaire ; 2°.. les règles auxquelles, en l’admèt-l
tant, il fera jufte de la foumettre. 4
Sur la néceffité d’admettre au grade d’officier,’!
fans avoir paffé par ceux qui .lui font inférieurs:,j
. votre comité a penfé que cette règle admife chez
‘ tous les peuples, & fans laquelle il n’a jamais exiftè
ÿ armée , étoit preférite par la loi même de la
nature, & parffa durée de la vie. Il feroit iihpof-j
fible , en effet, qu’un nombre fuffifant d’officiers;
arrivât dans la force de l’âge aux premiers grades!
du .co ,i mandement, fl chacun avoit été obligé de les
parcourir tous , à commencer par celui de foldat.j
L’intérêt du fervice d’ailleurs ’exigeant que parmij
les officiers , les uns présentent lès qualités dm
s’acquièrent p âr i’expériericé dans les grades inie-j
rieurs, tandis que d’autres arrivant immédiates
ment,, à la faveur d’examens publics , avec unej
éducation plus Soignée, préfenteront des connoih
Tances théoriques, & fur-tout Inaptitude àsctfi
biner, à réfléchir la feience de. leur état.
Nous avons donc ; cru qu’il .étoit utile & meffi^
indifpenfable au fervice, qu’une partie des fousj
lieutenans : arrivât à' ce grade fans avoir' été tort1
de parcourir ceux qui lui font inférieurs.
Mais comment .déterminer quels font les citoyens
,i devront jouir de cet avantage ?' Vous avez aboli
Jes diftinéhons de naiffance; & il faut faire plus:,
il faut que -les que ces loix que vous porterez foient telles; diftinélions ne puiffent reparoître fous allié
e forme, & que les miniftres ne puiffent.pas
‘un jour faire revivre par le fait des privilèges que
lvos loix ont; fait difparôître.
Or, c’eft fur quoi nous ne pourrions compter:,
file pouvoir' d’admettre au-grade d’officier étoit
attribué au roi. Mais indépendamment de cet. in-
[convénient, votre comité a penfé qu’aûcune raifon
I d’utilité publique ne pouvoit porter à lui attribuer
i cette prérogative , & que de plus puiffantes raifons
dévoient, au contraire, .nous en éloigner.,
Lorfqp’un offieier a déjà Servi, la capacité dont
lil a fait preuve peut être un mqtif de preffer fon;
! avancement ,-•■ &; ce pouvoir,, dans certains ;ças & flve.c
[des règles preferites, êtrf déféré au roi. Mais au,
! nioment où de jeunes citoyens fe' deftinent .au mé-
jtier des armes , aucune raifon d’intérêt public ne
peut donner au'gouvernement'le droit çle rejetter
les uns & d’admettre les autres. Cette prérogative'
arbitraire augmente roit fon.pouvoir parles moyens'
d’influence & dè corruption, ‘ fans que la Société ên
reçût aucuil .dédommagement.
| En pùifant dans les règles de votre cônïlitütiôn,:
,i dans les maximes générales de là liberté','"tôtit ce
[qui pouvoit compatir avec l’organifation d’une ar-
lm , votre c'oiïiité a fait. entrer dans fès difpofi- tions tout ce que les principes militaires peuvent,
[accorder d’influence fiir‘ l’àvancenient, au choix &•,
[à l’eftime des compagnons d’armes. Mais ce fÿftêmçj
[pur de l’éleâtiôn, J'mais l’éleaidji fur-tout par les
(inférieurs ’, lui à pàru une idée ■ inâdmifîible, def-
ttruélive de' toute difeipiirié,' tendant'à -faire paffer
toute l’autorité dans ceux qui doivent obéir, dé van t
prefque toujours mettre à là tête des troupes ceux
(qui- flatteroiènt leurs paffions, pour capter leur
[faveur,ou- ceux qu'r, par un excès' d’indulgence,
fe feroient montrée les moins propres à les commander
; Condiiifant enfin l’armée ■’a; un tel degté
[d’indépendànce., que la tranquillité des eitôÿerfs
la liberté publique en feroient bientôt menacées.- ;
j Le peuple doit nommer fès magiftrâts pour; con-
jferver fon pouvoir. Les foldàts ne peuvent nommer
leurs officiers-fans détruire l’autorité qui fait la force
i déSj arth(es. ..
La liberté dé Rome fut perdue quand les. légions,
i nommèrent (leîirs chefs ; car elles nommèrent bientôt
les empereur^.. Ces empereurs: élus. .dans. les
^amps, firent,cju peuple leur- yi(ftime.&furent eux-
®emes le jouet'ides caprices de leurs'foldats. L’indif-
cipline de 1'armée amena l’oppreffion des citoyens.
[-Lempire fut fans gouvernement & parvint bientôt
a fe diffoudre. - -
de vos’ principes,le mode qui lui a paru devoff
les ^remplacer.
. .11 eft dit dans la déclaration- des droits, que chacun
eft admiffible à tous les emplois publics,-à raifon
de fa capacité, & fans autre diftinétion que celle
des qualités,perfonnelles ; c’eft à cette diflinéfion
feule que ?nons. avons cru que l’avantage d’arriver
immédiatement au grade d’officier devoit être attri-,
bué, & nous l’av-ons fait dépendre d’un temps
d’étude & duféfultat d’examens inftitués par la loi.
Cette méthode offre le gage le plus sûr, qu’aucun
n’aura été admis- fans avoir un certain degré de
capacité;,, ;
. Il refaite donc de nos opinions, relativement à
l’admiflip'n au fervice, qu’une partie des officiers
de Yartfh'e doit priver par le grade.de fous-lieutenant
, lans avoir -parcouru ceux-qui lui font inférieurs,
&;que cet avàmagè doit être attribué à la
feule capacité coriftàtée par un ou plufieurs examens
publics..
Maintenant je dois vous foumettre les vues qui
nous ont diriges relativement à l’avancement. Il
eft évident que l’avancement progreffif aux diffé-
rÇPs;grîldes , depuis; le funple folçlatjufqu’au général •
d* armée 9 ne fauroit- s’opérer que-par deux moyens
l’ancienneté de, choix.
.Mais run & l’autre font plus ou moins applicâ-,
blés, fuivant l’importance des gradés & l’influénce
de leurs''fondions ; le choix fur-tout eft fufceptible
d’une multitude de modifications.
L’avancement par ancienneté a l’avantagê^de fermer
la porte aux préférences injuftes; àT l’intrigue 6c
à. ]a fa veur ; il doit être adopté, toutes lès fois que
la néceffité abfolue du fervice n’exige pas que l’on
sien écarte. - , . - ' - , -
Mais cette néceffité arrive par deux raifons. La
première eft l’impoffibilité de laifter parvenir aux
grades des hommes fur la capacité defquels on ne
pourroit avoir aucun,e; garantie. La fécondé eft la
iîéeeffité,dê;faire arriver quelques.perfonnes dans la
vigueur; :d&j;l?âgo » aux premières places du com-
mandemer/t 5 & Rouvrir aux talens un moyen de fe.
développer pour le plus grand-avantage de leur
patrie. Voici le réftiltat de ces vues générales.,
■ L’avancement depuis le grade de foldat jufqu’à-
celui de fous-lieutenant, ne peut, à de foibles
exceptions près f être donné qu’au .choix.
Depuis le grade de fous-lieutenant jufqua celui ,
de ; capitaine, l’ancienneté doit, au contraire, être
feule, admife.
Àu-deffus du grade de capitaine & jufqu’à celui.
de général d'armée ,■ l’ancienneté- doit continuer à
conférer une partie.des places ; mais il doit auffi
en être attribué aux choix , & à mefure qu’on s’élève,
avoù\plus de pa^t; ,aux,promotions^ & l ’ancienneté
doit en avoir moins /'parce que plus-des ■ fondions
à ; remplirfoin importantes ;& ; difficiles -, plus il
devient néceffaire^ qu’ùrie partip. au . mcins.’de ceux
; qui y font .portésfoient. des liomnies diftingues
par leurs talens. ; plus il devient néceffaire que les